CAA de MARSEILLE, 8ème chambre - formation à 3, 28/05/2019, 17MA00696, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme E...B...a demandé au tribunal administratif de Nîmes de condamner le centre hospitalier Louis Pasteur de Bagnols-sur-Cèze à lui verser la somme de 337 616 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis à la suite, d'une part, de sa vaccination contre l'hépatite B et, d'autre part, de l'absence d'information sur les risques liés à cette vaccination.
Par un jugement n° 1302536 du 19 décembre 2016, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 20 février 2017, MmeB..., représentée par la
SCP d'avocats Pellegrin-Soulier, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nîmes du 19 décembre 2016 ;
2°) d'annuler la décision du 19 juillet 2013 par laquelle le directeur du centre hospitalier Louis Pasteur de Bagnols-sur-Cèze a rejeté sa demande indemnitaire ;
3°) de condamner le centre hospitalier Louis Pasteur de Bagnols-sur-Cèze à lui verser la somme de 287 616 euros en réparation des préjudices résultant de la sclérose en plaques dont elle est atteinte, imputée à sa vaccination contre le virus de l'hépatite B, ainsi que la somme de 50 000 euros en réparation du préjudice résultant de l'absence d'information sur les risques liés à cette vaccination, assorties des intérêts légaux ;
4°) d'ordonner une expertise ;
5°) de mettre à la charge du centre hospitalier Louis Pasteur de Bagnols-sur-Cèze la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- sa maladie a été reconnue imputable au service par un jugement rendu le 9 juillet 2009 par le tribunal administratif de Nîmes ; elle est en droit d'obtenir la réparation des conséquences dommageables de cette affection ; en outre, le centre hospitalier Louis Pasteur de Bagnols-sur-Cèze a manqué à son obligation contractuelle de sécurité de résultat puisqu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour sauvegarder sa santé ;
- elle est en droit d'obtenir, à ce titre, la somme de 227 616 euros en réparation de son préjudice matériel ainsi que la somme de 60 000 euros en réparation des souffrances endurées et de son préjudice d'agrément ;
- son employeur ne l'a pas informée des effets indésirables du vaccin contre l'hépatite B et des risques encourus ;
- elle est en droit d'obtenir la somme de 50 000 euros en réparation du préjudice en résultant ;
- il y a lieu d'ordonner une expertise, compte tenu de la dégradation de son état de santé.
Par un mémoire, enregistré le 9 mai 2017, le centre hospitalier Louis Pasteur de Bagnols-sur-Cèze, représenté par MeD..., demande à la Cour de rejeter la requête et de mettre à la charge de Mme B...la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que la requête est mal dirigée et que les moyens soulevés par Mme B...ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 29 mars 2019, la clôture de l'instruction a été fixée au 15 avril 2019 à 12 heures.
Par un mémoire, enregistré le 14 avril 2019, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, représenté par
MeC..., conclut à sa mise hors de cause.
Par une ordonnance du 15 avril 2019, la clôture de l'instruction a été reportée au 30 avril 2019 à 12 heures.
Par lettre du 29 avril 2019, les parties ont été informées que l'arrêt à intervenir était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de l'irrégularité du jugement attaqué faute pour le tribunal d'avoir respecté l'obligation de mettre en cause l'organisme social auquel la victime est affiliée.
La procédure a été communiquée à la Mutuelle nationale des hospitaliers et des professionnels de la santé et du social qui n'a produit aucun mémoire.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Tahiri,
- les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public,
- et les observations de MeA..., substituant MeD..., représentant le centre hospitalier Louis Pasteur de Bagnols-sur-Cèze.
Considérant ce qui suit :
1. Par une décision du 6 août 2009, prise en exécution du jugement du 9 juillet 2009 du tribunal administratif de Nîmes qui est devenu définitif, le directeur du centre hospitalier Louis Pasteur a reconnu l'imputabilité au service de la sclérose en plaques dont Mme B...est atteinte, le tribunal administratif ayant constaté que le premier symptôme clinique de cette maladie est survenu dans un " bref délai " suivant les injections qui lui avaient été prodiguées pour assurer, dans le cadre de sa formation, sa vaccination contre le virus de l'hépatite B et qu'elle ne présentait, antérieurement à sa vaccination, aucun antécédent de cette pathologie. L'intéressée ayant été reconnue comme n'étant plus apte à exercer son service, elle a ainsi été mise à la retraite pour invalidité imputable au service. Par lettre du 10 juin 2013, elle a demandé au centre hospitalier la réparation de l'ensemble des préjudices patrimoniaux et extra patrimoniaux qu'elle subit du fait de cette maladie. S'étant vue opposer un refus par décision du 19 juillet 2013, elle a saisi le tribunal administratif de Nîmes d'une demande tendant à la condamnation du centre hospitalier à lui verser la somme de 287 616 euros en réparation des préjudices subis à la suite de la sclérose en plaques dont elle est atteinte ainsi que la somme de 50 000 euros en réparation du préjudice résultant de l'absence d'information sur les risques liés à sa vaccination contre l'hépatite B. Elle fait appel du jugement du tribunal administratif de Nîmes du 19 décembre 2016 qui a rejeté sa demande.
Sur la régularité du jugement :
2. En vertu de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, l'assuré social ou son ayant droit qui demande en justice la réparation d'un préjudice corporel qu'il impute à un tiers doit indiquer sa qualité d'assuré social. Cette obligation, sanctionnée par la possibilité reconnue aux caisses de sécurité sociale et au tiers responsable de demander pendant deux ans l'annulation du jugement prononcé sans que le tribunal ait été informé de la qualité d'assuré social du demandeur, a pour objet de permettre la mise en cause, à laquelle le juge administratif doit procéder d'office, des caisses de sécurité sociale dans les litiges opposant la victime et le tiers responsable de l'accident.
3. Il résulte des pièces versées au dossier de première instance que le tribunal administratif de Nîmes a statué sur la demande d'indemnité présentée par Mme B...sans avoir communiqué cette demande à la Mutuelle nationale des hospitaliers et des professionnels de la santé et du social à laquelle celle-ci est affiliée. Eu égard au motif qui a conduit le législateur à édicter l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, la violation de ces prescriptions constitue une irrégularité que la Cour, saisie de conclusions d'appel tendant à l'annulation du jugement qui lui est déféré, doit relever d'office. Il y a lieu, dès lors, d'annuler le jugement en cause du tribunal administratif de Nîmes.
4. La Cour ayant mis en cause la Mutuelle nationale des hospitaliers et des professionnels de la santé et du social, il y a lieu d'évoquer et de se prononcer sur la demande présentée par Mme B...devant le tribunal administratif de Nîmes.
Sur les conclusions indemnitaires présentées par MmeB... :
En ce qui concerne le moyen opposé par le centre hospitalier Louis Pasteur de Bagnols-sur-Cèze tiré de ce que lesdites conclusions seraient mal dirigées :
5. Si les dispositions de l'article L. 3111-9 du code de la santé publique mettent à la charge de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales la réparation des préjudices directement imputables à une vaccination obligatoire, elles réservent expressément les " actions qui pourraient être exercées conformément au droit commun ". Ainsi, ces dispositions ne sauraient faire obstacle à l'application des dispositions statutaires relatives aux accidents de service et aux maladies professionnelles ainsi qu'à l'action dont dispose tout agent public, victime d'un tel accident ou d'une telle maladie, pour obtenir de la personne publique qui l'emploie soit, en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire à la rente viagère d'invalidité ou à l'allocation temporaire d'invalidité à laquelle il peut prétendre, destinée à réparer ses préjudices patrimoniaux d'une autre nature que ceux indemnisés par cette rente ou cette allocation ainsi ses préjudices personnels, soit, dans le cas où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette collectivité, la réparation intégrale de l'ensemble de son préjudice.
6. Par suite, le centre hospitalier Louis Pasteur de Bagnols-sur-Cèze n'est pas fondé à soutenir que les conclusions indemnitaires présentées à son encontre par Mme B...devraient être rejetées comme mal dirigées.
En ce qui concerne l'imputabilité au service de la maladie dont est atteinte MmeB... :
7. L'autorité de chose jugée dont sont revêtus les motifs du jugement du tribunal administratif de Nîmes du 9 juillet 2009 rappelé au point 1 fait obstacle à ce que l'imputabilité au service de la sclérose en plaques dont est atteinte Mme B...soit à nouveau discutée dans le cadre de la présente instance qui tend à la réparation par son employeur, le centre hospitalier Louis Pasteur de Bagnols-sur-Cèze, des préjudices résultant pour elle de son affection. Dès lors, le centre hospitalier Louis Pasteur de Bagnols-sur-Cèze qui a, du reste, lui-même reconnu l'imputabilité au service de cette maladie, ne saurait utilement faire valoir que les injections de vaccin contre l'hépatite B reçues par l'intéressée ne sont pas la cause de sa maladie.
En ce qui concerne les conclusions fondées sur la faute du centre hospitalier :
8. En premier lieu, si Mme B...reproche au centre hospitalier Louis Pasteur de Bagnols-sur-Cèze d'avoir procédé, en 1990 et en 1992, à sa vaccination contre le virus de l'hépatite B sans l'informer préalablement des risques encourus, il ne résulte pas de l'instruction que les connaissances scientifiques contemporaines de ces injections permettaient de délivrer une quelconque information sur la survenance de la sclérose en plaques. Par suite, aucune faute ne peut être reprochée à ce titre au centre hospitalier Louis Pasteur de Bagnols-sur-Cèze.
9. En second lieu, si Mme B...soutient que le centre hospitalier Louis Pasteur de Bagnols-sur-Cèze aurait manqué à son obligation de sécurité de résultat en ne prenant pas les mesures nécessaires pour sauvegarder sa santé, elle ne précise pas de quelles mesures il s'agit et n'établit pas, ainsi qu'il lui incombe de le faire, que cet établissement hospitalier aurait commis une faute de nature à engager sa responsabilité à son égard.
En ce qui concerne les conclusions fondées sur la responsabilité sans faute du centre hospitalier :
10. Sur le fondement de la responsabilité sans faute du centre hospitalier, Mme B...ne peut prétendre à la réparation que de ses préjudices personnels et, le cas échéant, des préjudices patrimoniaux non réparés forfaitairement par la pension d'invalidité qu'elle perçoit. L'état du dossier ne permettant toutefois pas à la Cour de se prononcer sur l'étendue de ses droits à réparation, il y a lieu d'ordonner une expertise aux fins précisées dans le dispositif du présent arrêt.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1302536 du 19 décembre 2016 du tribunal administratif de Nîmes est annulé.
Article 2 : Il sera, avant de statuer sur la requête de MmeB..., procédé à une expertise médicale contradictoire. L'expert aura pour mission de :
1°) se faire communiquer les documents médicaux utiles à sa mission, examiner Mme B...et décrire son état actuel ;
2°) déterminer la date de consolidation de l'état de santé de Mme B...ainsi que les préjudices extrapatrimoniaux (déficits fonctionnels temporaire et permanent, préjudices esthétiques temporaire et permanent, souffrances endurées, préjudice d'agrément, préjudice sexuel et préjudice d'établissement) en relation directe avec la sclérose en plaques dont elle est atteinte.
3°) fournir toutes précisions complémentaires que l'expert jugera utile à la solution du litige et de nature à permettre d'apprécier l'étendue des préjudices subis par MmeB....
Article 3 : L'expert accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Il prêtera serment par écrit devant la greffière en chef de la Cour. L'expert déposera son rapport au greffe de la Cour en deux exemplaires et en notifiera copie aux parties dans le délai fixé par la présidente de la Cour dans sa décision le désignant. Avec leur accord, cette notification pourra s'opérer sous forme électronique. L'expert justifiera auprès de la Cour de la date de réception de son rapport par les parties.
Article 4 : Tous droits et moyens des parties, sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt, sont réservés jusqu'en fin d'instance.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E...B..., au centre hospitalier Louis Pasteur de Bagnols-sur-Cèze, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et à la Mutuelle Nationale des Hospitaliers et des professionnels de la santé et du social.
Délibéré après l'audience du 7 mai 2019, où siégeaient :
- Mme Helmlinger, présidente,
- M. d'Izarn de Villefort, président assesseur,
- Mme Tahiri, premier conseiller.
Lu en audience publique le 28 mai 2019.
N° 17MA00696 2