CAA de DOUAI, 3ème chambre, 19/03/2024, 23DA00053, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner l'Etat à lui verser la somme totale de 65 000 euros, portant intérêts au taux légal à compter de la date de réception de sa demande indemnitaire préalable et capitalisation des intérêts, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis en raison de faits de harcèlement moral et de l'absence de protection de son état de santé.
Par un jugement n° 2009121 du 22 novembre 2022, le tribunal administratif de Lille a rejeté ses demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 11 janvier 2023, le 31 janvier 2023, le 10 novembre 2023 et le 1er février 2024, Mme A..., représentée par la SCP Gros-Hicter-D'Halluin, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) par l'effet dévolutif, de condamner l'Etat à lui verser une somme de 64 800 euros en réparation des préjudices moral et patrimonial subis, avec intérêts de droit et capitalisation ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le tribunal a commis une erreur d'appréciation en refusant de qualifier de harcèlement moral, au sens de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983, les agissements qu'elle a subis de la part de son employeur ;
- la responsabilité pour faute de l'Etat est engagée tant en raison des faits de harcèlement moral dont elle a été victime qu'en raison des manquements de celui-ci à son obligation de protection de la santé de son agent ;
- dès lors que sa pathologie anxiodépressive consécutive aux agissements dont elle a été victime a été reconnue imputable au service, elle est également fondée à rechercher la responsabilité sans faute de l'Etat ;
- elle a droit au versement d'une somme de 50 000 euros réparant ses souffrances physiques et morales et notamment une somme de 5 420 euros correspondant à son déficit fonctionnel permanent, évalué par l'expert médical à 5 % ;
- elle est en droit d'obtenir le versement d'une somme de 14 800 euros réparant la perte de revenus professionnels connexes qu'elle tirait régulièrement de sa participation à des actions de formation ou à des jurys de concours administratifs.
Par un mémoire en défense, enregistré le 15 septembre 2023, le garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête et à la confirmation du jugement attaqué.
Il soutient que les moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 5 février 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 19 février 2024 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le décret n° 65-773 du 9 septembre 1965 ;
- le décret n° 85-603 du 10 juin 1985 ;
- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Frédéric Malfoy, premier conseiller,
- les conclusions de M. Nil Carpentier-Daubresse, rapporteur public,
- et les observations de Me D'Halluin pour Mme A....
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... A... est fonctionnaire titulaire du corps des directeurs des services de greffes judiciaires, et a occupé, à compter du mois de mars de l'année 2008, les fonctions de directrice du greffe du tribunal d'instance de Lille. Elle a été placée en congé de maladie ordinaire du 14 novembre au 3 décembre 2017 pour un état anxiodépressif, reconnu imputable au service par une décision du 13 janvier 2020 et a de nouveau été placée en arrêt de travail à compter du 17 décembre 2018, sans reprise d'activité depuis cette date. Le 2 octobre 2020, par la voie de son conseil, soutenant être victime de faits de harcèlement moral et de manquements de son employeur à ses obligations en matière de santé et de sécurité au travail, Mme A... a sollicité du ministre de la justice le versement d'une indemnité de 65 000 euros réparant les préjudices moral et financier qu'elle estimait en lien avec ces agissements fautifs.
2. Mme A... a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner l'Etat à lui verser la somme totale de 65 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis en raison de faits de harcèlement moral et de l'absence de protection de son état de santé, avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception de sa demande indemnitaire préalable et capitalisation des intérêts. Mme A... relève appel du jugement du 22 novembre 2022 par lequel ce tribunal a rejeté ses demandes.
Sur les conclusions à fin d'indemnisation :
3. Les dispositions qui instituent, en faveur des fonctionnaires victimes d'accidents de service ou de maladies professionnelles, une rente d'invalidité en cas de mise à la retraite et une allocation temporaire d'invalidité en cas de maintien en activité doivent être regardées comme ayant pour objet de réparer les pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par un accident de service ou une maladie professionnelle. Les dispositions instituant ces prestations déterminent forfaitairement la réparation à laquelle les fonctionnaires concernés peuvent prétendre, au titre de ces chefs de préjudice, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions. Ces dispositions ne font, en revanche, obstacle ni à ce que le fonctionnaire qui subit, du fait de l'invalidité ou de la maladie, des préjudices patrimoniaux d'une autre nature ou des préjudices personnels, obtienne de la personne publique qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, ni à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre la collectivité, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette collectivité.
En ce qui concerne la responsabilité pour faute de l'Etat :
4. Mme A... soutient que la pathologie anxiodépressive dont elle souffre est directement imputable à des fautes commises par son employeur en raison, d'une part, d'agissements de harcèlement moral dont elle aurait été victime en sa qualité de directrice du greffe du tribunal d'instance de Lille et, d'autre part, de manquements à l'obligation de garantir sa santé et sa sécurité au travail.
S'agissant du harcèlement moral :
5. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. / Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la rémunération, la formation, l'évaluation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : / 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. / Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus ".
6. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral.
7. Il résulte de l'instruction qu'au début du mois d'avril 2011, alors qu'elle occupait les fonctions de directrice du greffe du tribunal d'instance de Lille, Mme A... a, conjointement avec la vice-présidente chargée de l'administration de ce tribunal, rédigé un rapport portant sur les effectifs de la juridiction qui a été remis au premier président de la Cour d'appel de Douai et au procureur général près ladite cour. Dans ce rapport, étaient signalées la situation alarmante du tribunal d'instance, en sous-effectifs et la difficulté à le faire fonctionner dans des conditions normales. A la suite de ce signalement, le garde des Sceaux, ministre de la justice a confié à l'inspection générale des services judiciaires (IGSJ), une mission de contrôle portant sur le fonctionnement du tribunal d'instance de Lille. Dans son rapport remis au cours du mois de décembre 2012, l'IGSJ a notamment relevé un mal-être au travail exprimé par certains agents du greffe, imputé au management autoritaire de la directrice de greffe, situation qualifiée de préoccupante rendant nécessaire un changement de comportement de Mme A... dans son mode de gestion des ressources humaines, motif pour lequel les membres de l'inspection ont formulé une recommandation n° 5 préconisant à la vice-présidente du tribunal d'instance de Lille et à sa directrice de greffe, " de veiller à rétablir un climat serein au sein de la juridiction ".
8. Mme A... soutient que la remise du rapport de l'IGSJ marque le commencement d'une série d'agissements de son employeur, visant notamment à la contraindre de quitter ses fonctions de directrice de greffe du tribunal d'instance de Lille, qu'elle qualifie de harcèlement moral.
9. En premier lieu, Mme A... se plaint de ce que le rapport rédigé par l'IGSJ aurait été " à charge et orienté ", notamment en ce que le rapport définitif aurait omis de faire état des observations qu'elle avait formulées en réponse au paragraphe 1.2.3.3 du pré-rapport intitulé " une souffrance au travail révélée à la mission ", dans lequel les inspecteurs généraux relataient que plusieurs agents avec lesquels ils s'étaient entretenus avaient associé cette souffrance au travail au comportement managérial de la directrice de greffe, à qui ils reprochaient " une grande rigidité, en érigeant de nombreuses règles qui laissent peu de place à l'initiative " et de manifester son autorité " par une attitude parfois excessive et inadaptée aux situations et aux interlocuteurs, pouvant être vécue comme dévalorisante et humiliante ". Si le rapport définitif de l'inspection ne comporte pas les observations de Mme A... sur ce paragraphe la concernant personnellement alors même qu'elle en avait pourtant produit, ce dont atteste une magistrate ayant travaillé au greffe du tribunal d'instance de Lille en tant que directrice de greffe adjointe " placée " durant le second semestre et début 2013, une telle circonstance ne saurait par elle-même révéler le caractère partial de l'inspection dès lors qu'en tout état de cause, Mme A... a été entendue par les membres de l'IGSJ et que les observations de la vice-présidente du tribunal apportaient sur ce point des explications permettant d'exprimer le point de vue de la directrice de greffe. En outre, s'il ressort des observations de la vice-présidente consignées dans le rapport définitif ainsi que de l'attestation précitée, la confirmation des réactions de désapprobation que le pré-rapport et le rapport ont pu susciter chez certains agents de greffe et la plupart des magistrats, y compris parmi les chefs de juridiction, une telle circonstance ne saurait par elle-même invalider les opinions divergentes que certains agents ont pu exprimer personnellement auprès des membres de l'inspection. Enfin, s'il est constant que dès le mois de mars 2013, il a été demandé à la vice-présidente du tribunal d'instance et à sa directrice de greffe de justifier des mesures prises et mises en œuvre pour tenir compte des recommandations formulées dans le rapport de l'IGSJ, cette circonstance ne saurait révéler une volonté de mettre l'intéressée en difficulté.
10. En deuxième lieu, si Mme A... soutient avoir fait l'objet, en 2013, de propositions humiliantes de mutation dans des postes de niveau inférieur à celui qu'elle occupait, telles notamment celle concernant un poste nouvellement créé d'adjointe au directeur de greffe du TGI de Cambrai, l'attestation qu'elle produit au soutien de cette affirmation, émanant d'un ancien agent du greffe qui n'y était plus en fonction, ne permet pas de le confirmer.
11. En troisième lieu, Mme A... soutient qu'à partir de la fin de l'année 2017, elle a de nouveau fait l'objet de pressions visant à l'obliger à quitter ses fonctions et que, pour parvenir à cette fin, les services du ministère de la justice ont diligenté une nouvelle mission d'inspection en mai 2018. Il résulte de l'instruction que, par une lettre datée du 9 novembre 2017, le premier président de la cour d'appel de Douai, la procureure générale et la première présidente de chambre ont demandé au sous-directeur des ressources humaines des greffes de recevoir Mme A... pour la convaincre de solliciter sa mutation en faisant état de ce que " la situation des fonctionnaires du tribunal d'instance de Lille est devenue à ce point préoccupante que nous avons dû procéder à la délégation d'une greffière en urgence au tribunal de grande instance de Lille en raison de la souffrance au travail dans laquelle elle se trouvait [Mme A...]". Les magistrats ont conclu leur courrier en indiquant que " si Mme A... persistait dans son refus de quitter son poste, seule une enquête administrative diligentée dans les plus brefs délais permettrait de faire évoluer la situation ". La teneur de ce courrier fait apparaître que les convocations à l'entretien du 17 octobre et du 13 novembre 2017 ne visaient pas exclusivement à assurer un suivi des recommandations formulées à Mme A... et à connaître l'état d'amélioration des difficultés relationnelles depuis l'inspection initiale de 2012, mais également à envisager son avenir professionnel dans d'autres fonctions que celles de directrice du greffe du tribunal d'instance de Lille. Un courriel daté du 24 janvier 2018 du sous-directeur des ressources humaines des greffes fait état d'un constat partagé par Mme A... de la nécessité d'un changement d'affectation, tant pour elle-même que pour les agents du tribunal d'instance de Lille concernés par la situation décrite dans le courrier d'alerte du 9 novembre 2017, d'un mal-être en lien avec le management de la directrice de greffe toujours ressenti par certains d'entre eux, relayé par les organisations syndicales. Il résulte de l'instruction que la recherche de mobilité, notamment sur un poste de directrice générale adjointe au tribunal de grande instance de Nice, ne résultait pas de l'initiative et de la volonté de Mme A... ainsi qu'il ressort d'un courriel du 12 février 2018 adressé au sous-directeur des ressources humaines et des greffes où elle écrit avoir " fini par accepter l'idée d'une éventuelle mobilité, dans la mesure, bien sûr, où celle-ci resterait mon choix ". Pour autant, si ses recherches de mobilité n'ont pu aboutir rapidement, il ne ressort pas de la lettre de mission confiée à la nouvelle inspection diligentée en mai 2018, qui fait état d'une mission d'inspection de fonctionnement du greffe du tribunal d'instance de Lille " afin de procéder à toute constatation utile sur les dispositifs mis en œuvre en matière d'organisation, de gestion des services et des ressources humaines " que celle-ci aurait eu pour seul objet d'accélérer le départ de Mme A.... Par ailleurs, il ne résulte pas de l'instruction que les suspicions de situations de souffrance au travail auraient été infondées dès lors que, dans ses écritures, Mme A... concède se souvenir qu'une collaboratrice, en 2017-2018, se serait plainte d'être harcelée. Enfin, comme l'a relevé le tribunal, les conditions insistantes dans lesquelles le directeur délégué à l'administration interrégionale judiciaire s'est enquis, auprès de la directrice de l'institut régional d'administration (IRA) de Lille, de l'effectivité de la participation de Mme A..., en janvier 2019 au jury de concours d'admission au recrutement d'attachés de la fonction publique d'Etat, alors qu'elle se trouvait en congé de maladie, n'étaient pas sans rapport avec la mission d'inspection relative au fonctionnement du greffe du tribunal d'instance de Lille et ne visaient pas à la discréditer auprès de la directrice de l'IRA de Lille ou des services préfectoraux.
12. Au vu de l'ensemble de ces éléments, et malgré la circonstance que l'intéressée a été placée en congé de maladie pour un syndrome anxiodépressif reconnu imputable au service du 14 novembre au 3 décembre 2017, puis a de nouveau été placée en arrêt de travail pour cette même pathologie à compter du 17 décembre 2018, sans reprise d'activité depuis cette date, les agissements que Mme A... impute à l'administration, sont justifiées par des considérations étrangères à tout harcèlement moral.
S'agissant de la méconnaissance de l'obligation de protection de la santé et de la sécurité au travail :
13. Aux termes de l'article 23 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Des conditions d'hygiène et de sécurité de nature à préserver leur santé et leur intégrité physique sont assurées aux fonctionnaires durant leur travail ". Aux termes de l'article 2-1 du décret du 10 juin 1985 relatif à l'hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu'à la médecine professionnelle et préventive dans la fonction publique territoriale : " Les autorités territoriales sont chargées de veiller à la sécurité et à la protection de la santé des agents placés sous leur autorité ".
14. Si Mme A... soutient que l'Etat a commis une faute en ne prenant pas de mesures pour protéger sa santé, il ne résulte pas de l'instruction, au regard notamment des éléments mentionnés précédemment, qu'il aurait méconnu cette obligation. Par suite, l'appelante n'est pas fondée à demander la condamnation de l'Etat à l'indemniser des préjudices qu'elle estime avoir subis au titre de la méconnaissance par celui-ci de ses obligations en matière de protection de la santé et de la sécurité de ses agents.
En ce qui concerne la responsabilité sans faute de l'Etat :
15. Il résulte de ce qui a été énoncé au point 3, que la responsabilité de l'Etat peut être engagée à l'égard du fonctionnaire, même en l'absence de faute, y compris pour la première fois en appel, dans l'hypothèse où celui-ci démontrerait avoir subi, du fait de la pathologie imputable au service dont il souffre, des préjudices personnels ou des préjudices patrimoniaux d'une autre nature, pour ces derniers, que ceux réparés forfaitairement par l'allocation d'une rente viagère d'invalidité en cas de mise à la retraite ou d'une allocation temporaire d'invalidité en cas de maintien en activité.
S'agissant des préjudices à caractère patrimonial :
16. Mme A... soutient qu'elle tirait des revenus supplémentaires de sa participation régulière, chaque année, en tant qu'intervenante à des sessions de formation notamment auprès de l'Ecole nationale de la magistrature, du CNFPT, de l'Université de Douai ainsi qu'en tant que membre du jury d'examen de l'institut régional d'administration de Lille. Il résulte de l'instruction que les activités accessoires de Mme A..., auxquelles elle a dû renoncer à compter de la fin de l'année 2018, lui procuraient annuellement un complément de revenu moyen d'environ 3 700 euros. Toutefois, eu égard au caractère accessoire de ces activités dont la reconduction ne constitue pas un droit pour l'agent, ce préjudice présente un caractère purement éventuel. Dans ces conditions, la demande de versement d'une indemnité de 14 800 euros liée à la perte de revenu supplémentaire de quatre années depuis 2018 ne peut qu'être rejetée.
S'agissant des préjudices personnels :
17. D'une part, il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise établi le 22 août 2023 par un médecin psychiatre agréé, que Mme A..., dont l'état a été déclaré consolidé avec séquelles à la date précitée, est atteinte d'une incapacité permanente partielle au taux de 5 % en rapport avec les troubles anxieux dont elle est atteinte, sans état antérieur. Mme A... étant âgée de soixante-trois ans à la date de consolidation de son état de santé, il sera fait une juste appréciation du préjudice résultant de son déficit fonctionnel permanent en l'évaluant à la somme de 5 420 euros.
18. D'autre part, il résulte de l'instruction, que les arrêts de travail du 14 novembre au 3 décembre 2017 reconnus imputables au service par la décision du 13 janvier 2020 sont, selon les conclusions du médecin psychiatre agréé ayant examiné Mme A... le 30 août 2019, en lien avec un syndrome anxiodépressif majeur avec une tonalité anxieuse importante, marquée par une atteinte narcissique profonde dont la consolidation, selon le rapport d'expertise cité au point précédent, n'a été fixée qu'à compter du 22 août 2023. Dans ces conditions, les souffrances physiques et morales endurées par Mme A... depuis cette période sont en lien direct avec sa maladie reconnue imputable au service. Par suite, il sera fait une juste appréciation des souffrances physiques et morales subies par Mme A..., en lui allouant une somme globale de 3 000 euros.
19. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède, que l'Etat doit être condamné à verser à Mme A... la somme de 8 420 euros au titre de ses préjudices personnels. Par suite, Mme A... est fondée à demander la réformation du jugement attaqué dans cette seule mesure.
Sur les intérêts et leur capitalisation :
20. Mme A... a droit aux intérêts au taux légal sur la somme de 8 420 euros à compter du 5 octobre 2020, date de la réception de sa demande indemnitaire préalable.
21. La capitalisation des intérêts ayant été demandée pour la première fois dans sa requête de première instance, il y a lieu de faire droit à cette demande à compter du 5 octobre 2021, date à laquelle était due, pour la première fois, une année entière d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Sur les frais liés au litige :
22. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, qui est la partie perdante dans la présente affaire, la somme de 2 000 euros, dont Mme A... demande le versement sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : L'Etat est condamné à verser à Mme A... la somme de 8 420 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 5 octobre 2020 et les intérêts échus à la date du 5 octobre 2021 seront capitalisés à cette date et à chaque échéance annuelle ultérieure pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Lille du 22 novembre 2022 est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera une somme de 2 000 euros à Mme A... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience publique du 5 mars 2024 à laquelle siégeaient :
- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,
- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur,
- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 mars 2024.
Le rapporteur,
Signé : F. Malfoy
La présidente de chambre,
Signé : M-P. Viard
Le greffier,
Signé : F. Cheppe
La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
Le greffier,
F. Cheppe
No 23DA00053 2