CAA de LYON, 3ème chambre, 27/03/2024, 23LY03456, Inédit au recueil Lebon
Vu les procédures suivantes :
Procédure contentieuse antérieure
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 15 octobre 2021 par lequel la communauté d'agglomération Annemasse-Les Voirons a prononcé son licenciement pour inaptitude physique.
Par un jugement n° 2108550 du 26 septembre 2023, le tribunal administratif de Grenoble a annulé cet arrêté.
Procédures devant la cour
I- Par une requête, enregistrée le 9 novembre 2023 sous le numéro 23LY03456, et un mémoire en réplique enregistré le 21 février 2024, la communauté d'agglomération Annemasse-Les Voirons, représentée par Me Tissot, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 26 septembre 2023 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal ;
3°) de mettre à la charge de M. A... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est entaché d'irrégularité en raison d'une insuffisante motivation concernant le moyen d'annulation retenu ;
- le tribunal a dénaturé les écritures de la requête de première instance ;
- elle était en situation de compétence liée pour procéder au licenciement de M. A... ;
- les moyens invoqués par M. A... en première instance ne sont pas fondés ;
- le rejet des conclusions indemnitaires doit être confirmé.
Par un mémoire en défense enregistré le 29 janvier 2024, M. A..., représenté par Me Laumet, conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) à la condamnation de la communauté d'agglomération Annemasse-Les Voirons au versement de la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral ;
3°) à ce que soit mise à la charge de la communauté d'agglomération Annemasse-Les Voirons une somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les moyens invoqués ne sont pas fondés ;
- la décision en litige est insuffisamment motivée ;
- le jugement doit être infirmé en ce qu'il a rejeté sa demande de condamnation à l'indemniser du préjudice moral qu'il a subi.
II- Par une requête, enregistrée le 9 novembre 2023 sous le numéro 23LY03457, la communauté d'agglomération Annemasse-Les Voirons, représentée par Me Tissot, demande à la cour :
1°) d'ordonner, sur le fondement de l'article R. 811-15 du code de justice administrative, le sursis à l'exécution du jugement du tribunal administratif de Grenoble du 26 septembre 2023 ;
2°) de mettre à la charge de M. A... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens de sa requête au fond sont sérieux.
Par deux mémoires en défense, enregistrés les 29 janvier et 4 mars 2024, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, M. A..., représenté par Me Laumet, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la communauté d'agglomération Annemasse-Les Voirons une somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 30 janvier 2024, la clôture de l'instruction a été fixée, dans cette instance, en dernier lieu, au 21 février 2024.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code général de la fonction publique ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le décret n°86-68 du 13 janvier 1986 ;
- le décret n°2003-1306 du 26 décembre 2003 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la Cour a désigné Mme Emilie Felmy, présidente-assesseure, pour présider la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Felmy, présidente-assesseure,
- les conclusions de M. Deliancourt, rapporteur public,
- les observations de Me Métier, représentant la communauté d'agglomération d'Annemasse-Les Voirons,
- et les observations de Me Laumet, représentant M. A....
Deux notes en délibéré, enregistrées les 12 et 20 mars 2024, ont été produites respectivement pour M. A... et pour la communauté d'agglomération d'Annemasse-Les Voirons dans l'instance n° 23LY02356.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., adjoint technique principal de 2e classe, employé par la communauté d'agglomération d'Annemasse-Les Voirons, a été placé en congé de maladie ordinaire du 12 septembre 2017 au 11 octobre 2018 puis en disponibilité d'office pour raison de santé jusqu'au 11 septembre 2021. Il a demandé au tribunal administratif de Grenoble l'annulation de l'arrêté du 15 octobre 2021 par lequel le président de la communauté d'agglomération a prononcé son licenciement. La communauté d'agglomération relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Grenoble a annulé cet arrêté et lui a enjoint de réexaminer la situation de M. A..., et demande qu'il soit sursis à son exécution. M. A..., dont les conclusions indemnitaires ont été rejetées par ce même jugement, forme un appel incident sur ce point.
2. L'appel et la demande de sursis à exécution présentés par la communauté d'agglomération d'Annemasse-Les Voirons étant formés contre un même jugement et ayant fait l'objet d'une instruction commune, il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. D'une part, aux termes de l'article 19 du décret du 13 janvier 1986 susvisé : " La mise en disponibilité peut être prononcée d'office à l'expiration des droits statutaires à congés de maladie prévus au premier alinéa du 2°, au premier alinéa du 3° et au 4° de l'article 57 de la loi du 26 janvier 1984 et s'il ne peut, dans l'immédiat, être procédé au reclassement du fonctionnaire dans les conditions prévues aux articles 81 à 86 de la loi du 26 janvier 1984. / La durée de la disponibilité prononcée en vertu du premier alinéa du présent article ne peut excéder une année. Elle peut être renouvelée deux fois pour une durée égale. Si le fonctionnaire n'a pu, durant cette période, bénéficier d'un reclassement, il est, à l'expiration de cette durée, soit réintégré dans son administration s'il est physiquement apte à reprendre ses fonctions dans les conditions prévues à l'article 26, soit, en cas d'inaptitude définitive à l'exercice des fonctions, admis à la retraite ou, s'il n'a pas droit à pension, licencié. ". Il résulte de ces dispositions qu'en cas d'inaptitude physique définitive, le licenciement d'un fonctionnaire ne peut être légalement envisagé que si son admission à la retraite est exclue.
4. D'autre part, s'agissant du régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales, aux termes de l'article 7 du décret du 26 décembre 2003 : " Le droit à pension est acquis : ... 2° Sans condition de durée des services aux fonctionnaires rayés des cadres pour invalidité résultant ou non de l'exercice des fonctions. ". Aux termes de l'article 30 de ce décret : " Le fonctionnaire qui se trouve dans l'impossibilité définitive et absolue de continuer ses fonctions par suite de maladie, blessure ou infirmité grave dûment établie peut être admis à la retraite soit d'office, soit sur demande. " et aux termes de l'article 31 : " Une commission de réforme est constituée dans chaque département pour apprécier la réalité des infirmités invoquées, la preuve de leur imputabilité au service, les conséquences et le taux d'invalidité qu'elles entraînent, l'incapacité permanente à l'exercice des fonctions (...) / Le pouvoir de décision appartient dans tous les cas à l'autorité qui a qualité pour procéder à la nomination, sous réserve de l'avis conforme de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales. ". L'article 36 du même décret prévoit que " Le fonctionnaire qui se trouve dans l'incapacité permanente de continuer ses fonctions en raison d'une invalidité ne résultant pas du service peut être mis à la retraite par anticipation soit sur demande, soit d'office dans les délais prévus au troisième alinéa de l'article 30 (...) ". Enfin, aux termes de l'article 39 de ce décret : " Le fonctionnaire qui se trouve dans l'incapacité permanente de continuer ses fonctions en raison d'une invalidité ne résultant pas du service peut être mis à la retraite par anticipation soit sur demande soit d'office (...). L'intéressé a droit à la pension rémunérant les services prévue au 2° de l'article 7 et au 2° du I de l'article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite sous réserve que ses blessures ou maladies aient été contractées ou aggravées au cours d'une période durant laquelle il acquérait des droits à pension. ". Il résulte de ces dispositions qu'il appartient à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales, lorsqu'elle est saisie d'une demande tendant à la mise à la retraite d'un fonctionnaire pour invalidité assortie du bénéfice du droit à pension, d'une part, d'émettre un avis sur le bien-fondé de la demande de mise à la retraite pour invalidité, d'autre part, de décider si l'intéressé a droit à une pension. L'intervention de la décision de mise à la retraite pour invalidité d'un fonctionnaire, prise par l'autorité ayant qualité pour procéder à sa nomination, étant subordonnée à l'avis conforme de la caisse, cet avis est susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir de la part du fonctionnaire concerné lorsqu'il est défavorable. Enfin, lorsque l'invalidité ne résulte pas de l'exercice des fonctions, la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales est tenue de vérifier, d'une part, si le fonctionnaire se trouve dans l'incapacité permanente de continuer ses fonctions au sens des articles 30 et 39 et, d'autre part, s'il a droit au bénéfice d'une pension sans condition de durée de services, conformément à l'article 39, dans le cas où ses blessures ou maladies ont été contractées ou aggravées au cours d'une période durant laquelle il acquérait des droits à pension.
5. L'illégalité d'un acte administratif, qu'il soit ou non réglementaire, ne peut être utilement invoquée à l'appui de conclusions dirigées contre une décision administrative que si cette dernière a été prise pour son application ou s'il en constitue la base légale. S'agissant d'un acte non réglementaire, l'exception n'est recevable que si l'acte n'est pas devenu définitif à la date à laquelle elle est invoquée, sauf dans le cas où l'acte et la décision ultérieure constituant les éléments d'une même opération complexe, l'illégalité dont l'acte serait entaché peut être invoquée en dépit du caractère définitif de cet acte.
6. Il ressort du jugement attaqué que pour annuler l'arrêté en litige, le tribunal s'est fondé sur un vice de procédure, lié à la contradiction qui aurait entaché l'avis de la commission de réforme du 26 août 2020 par lequel celle-ci a estimé que l'état de santé de M. A... ne justifiait pas une retraite pour invalidité, et le procès-verbal correspondant à la séance de cette commission rappelant l'avis du comité médical du 15 juillet 2020 selon lequel M. A... était inapte à exercer toutes fonctions.
7. Toutefois, d'une part, ainsi que la communauté d'agglomération le fait valoir, ce moyen, qui n'était au surplus pas invoqué en première instance et n'était pas d'ordre public, était inopérant au vu de la situation de compétence liée dans laquelle elle se trouvait, comme dit au point 10. D'autre part, à supposer que le tribunal, qui a également estimé que l'avis de la commission de réforme à l'origine de la décision de la CNRACL du 19 mai 2021 refusant à M. A... le bénéfice de la retraite pour invalidité avait conduit l'établissement public à licencier ce dernier, ait entendu se fonder sur l'exception d'illégalité de la décision précitée de la CNRACL, l'arrêté portant licenciement de M. A... n'a pas été pris pour l'application de la décision de la CNRACL. Celle-ci n'en constitue pas davantage la base légale ni ne forme avec l'arrêté de licenciement une opération complexe, dès lors qu'elle n'a pas été spécialement prévue en vue de l'adoption dudit arrêté. Par suite, ce moyen qui était également inopérant ne pouvait davantage être retenu par le tribunal.
8. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. A... à l'encontre de la décision de licenciement contesté.
9. Il ressort des pièces du dossier que, par un premier avis du 30 janvier 2019, le comité médical a estimé que M. A... était inapte à l'exercice de ses fonctions de gardien de déchèterie. A la suite de sa demande formée le 11 octobre 2019, par laquelle M. A... a sollicité son placement à la retraite pour invalidité, le comité médical a estimé, par un second avis du 15 juillet 2020, que cet agent était inapte totalement et définitivement à ses fonctions et à toutes fonctions. Par un avis du 26 août 2020, la commission de réforme a estimé que " l'état de santé de M. A... ne justifie pas une retraite pour invalidité ", en relevant dans son procès-verbal que celui-ci était, conformément à l'avis du comité médical, inapte à exercer toutes fonctions, définitivement. A la suite de ce dernier avis, la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales a refusé, par une décision du 19 mai 2021, de reconnaître à M. A... un droit à pension d'invalidité, en précisant qu'un tel droit est acquis à l'agent reconnu inapte de manière absolue et définitive à l'exercice de ses fonctions, lorsque cette inaptitude résulte d'une affection contractée ou aggravée depuis l'affiliation obligatoire au régime et au cours d'une période valable pour la retraite.
10. Pour procéder au licenciement de M. A... à compter du 12 septembre 2021 en raison de son inaptitude définitive à l'exercice de ses fonctions, la communauté d'agglomération a relevé que celui-ci avait épuisé ses droits à congés de maladie, que la CNRACL avait refusé sa demande de mise à la retraite pour invalidité et que la période de disponibilité d'office, déjà renouvelée deux fois, devait parvenir à son terme le 11 septembre 2021. En application des dispositions, rappelées au point 3, de l'article 19 du décret du 13 janvier 1986, et dès lors qu'ainsi qu'il vient d'être dit, M. A... présentait une inaptitude à l'exercice de ses fonctions et que son droit à pension lui avait été refusé, l'administration était, en dépit de l'apparente contradiction résultant de l'analyse de l'inaptitude de l'agent à exercer ses fonctions et de l'absence d'invalidité constatée par la commission de réforme, en situation de compétence liée pour procéder au licenciement de celui-ci. Il en résulte que l'ensemble des autres moyens invoqués par M. A... en première instance et en appel sont inopérants et doivent être écartés pour ce motif.
11. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement attaqué ni de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que la communauté d'agglomération Annemasse-Les Voirons est fondée à soutenir que c'est à tort que, par ce jugement, le tribunal administratif de Grenoble a annulé l'arrêté du 15 octobre 2021 du président de cet établissement public.
Sur les conclusions d'appel incident :
12. En l'absence d'illégalité entachant l'arrêté du 15 octobre 2021, les conclusions indemnitaires de M. A..., présentées en appel par la voie de l'appel incident, ne peuvent en tout état de cause qu'être rejetées.
Sur les conclusions à fin de sursis à exécution du jugement :
13. Le présent arrêt rejetant l'appel de la communauté d'agglomération Annemasse-Les Voirons, il n'y a plus lieu de statuer sur sa demande de sursis à exécution.
Sur les frais liés au litige :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la communauté d'agglomération Annemasse-Les Voirons, qui n'est pas la partie perdante dans les présentes instances, une somme au titre des frais exposés par M. A.... Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de la communauté d'agglomération présentées sur ce même fondement.
D E C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 23LY03457 de la communauté d'agglomération Annemasse-Les Voirons.
Article 2 : Le jugement du 26 septembre 2023 du tribunal administratif de Grenoble est annulé.
Article 3 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Grenoble, ses conclusions d'appel ainsi que le surplus des conclusions de la requête n° 23LY03456 sont rejetés.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la communauté d'agglomération Annemasse-Les Voirons et à M. B... A....
Délibéré après l'audience du 12 mars 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Emilie Felmy, présidente de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
M. Joël Arnould, premier conseiller,
Mme Bénédicte Lordonné, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 mars 2024.
La présidente rapporteure,
Emilie FelmyL'assesseur le plus ancien,
Joël Arnould
La greffière,
Sandra Bertrand
La République mande et ordonne au préfet de la Haute-Savoie en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
2
N°s 23LY03456, 23LY03457