CAA de MARSEILLE, 2ème chambre, 04/10/2024, 23MA01156, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision04 octobre 2024
Num23MA01156
JuridictionMarseille
Formation2ème chambre
PresidentMme FEDI
RapporteurM. Nicolas DANVEAU
CommissaireM. GAUTRON
AvocatsSELARL ALVAREZ & ARLABOSSE (SOLLIÈS-PONT)

Vu la procédure suivante :


Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler l'arrêté du 7 juillet 2020 par lequel le maire de Salernes a retiré l'arrêté du 9 juin 2020 la plaçant provisoirement en congé d'invalidité temporaire imputable au service, d'annuler la décision du 25 septembre 2020 du maire de Salernes portant rejet de son recours administratif, d'enjoindre à la commune de reconnaître l'imputabilité au service de son invalidité temporaire et d'ordonner le cas échéant une expertise médicale.

Par un jugement n° 2003141 du 17 mars 2023, le tribunal administratif de Toulon a rejeté la requête de Mme A....


Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 12 mai 2023 et 17 juillet 2023, Mme A..., représentée par Me Alvarez, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulon du 17 mars 2023 en tant qu'il a, à son article 1er, rejeté sa requête ;

2°) d'annuler l'arrêté du 7 juillet 2020 et la décision du 25 septembre 2020 ;

3°) d'enjoindre à la commune de Salernes de reconnaître l'imputabilité au service de son invalidité temporaire ;

4°) d'ordonner le cas échéant une expertise médicale afin de déterminer si l'incapacité temporaire de Mme A... justifie un placement en congé pour invalidité temporaire ;

5°) de mettre à la charge de Mme A... la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
- l'arrêté du 7 juillet 2020, l'avis de la commission de réforme et la décision portant rejet de son recours gracieux sont entachés d'une insuffisance de motivation ;
- sa déclaration d'accident du travail n'est pas tardive, l'altercation avec la maire qui a eu lieu le 16 mars 2018 étant un élément déclencheur d'une maladie imputable au service ;
- cet arrêté ainsi que la décision portant rejet de son recours gracieux sont entachés d'une erreur manifeste d'appréciation ; sa pathologie psychique doit être reconnue comme étant une maladie d'origine professionnelle ; l'entretien qu'elle a eu avec la maire le 16 mars 2018 doit être regardé comme un accident de service ; les conclusions de l'expertise sur laquelle s'est fondée la commission départementale de réforme sont contestables ;
- en cas de doute sur l'existence d'un lien entre son affection et son activité professionnelle, une expertise médicale devrait être ordonnée.


Par deux mémoires en défense, enregistrés les 15 juin 2023 et 4 septembre 2023, la commune de Salernes, représentée par Me Campolo, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de Mme A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :
- la déclaration d'accident de service a été adressée tardivement à l'administration ;
- les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés ;
- la demande d'expertise est irrecevable et n'est pas justifiée.


Vu les autres pièces du dossier.


Vu :
- le code de la sécurité sociale ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le décret n° 2019-301 du 10 avril 2019 ;
- le décret n° 87-602 du 30 juillet 1987 ;
- le code de justice administrative.


Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.


Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Danveau,
- et les conclusions de M. Gautron, rapporteur public.



Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., adjointe administrative principale de première classe exerçant ses fonctions au sein de la commune de Salernes, a fait l'objet d'un arrêt de travail délivré le 16 mars 2018 jusqu'au 15 avril 2018, suite à une altercation survenue avec la maire de la commune. Dans l'attente de l'avis de la commission de réforme sur l'imputabilité au service de son état de santé, Mme A... a été placée en congé d'invalidité temporaire imputable au service à titre provisoire, par arrêté du 9 juin 2020. Suite à l'avis défavorable rendu par la commission de réforme, le maire a décidé, par un arrêté du 7 juillet 2020, de retirer son arrêté du 9 juin 2020. Mme A... relève appel du jugement du 17 mars 2023 du tribunal administratif de Toulon en tant qu'il a, à son article 1er, rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté précité du 7 juillet 2020 et de la décision du 25 septembre 2020 par laquelle le maire de Salernes a rejeté son recours administratif.


Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne la légalité externe :

2. L'arrêté du maire de Salernes attaqué, qui vise les textes applicables, notamment le décret n° 87-602 du 30 juillet 1987 relatif à l'organisation des conseils médicaux, aux conditions d'aptitude physique et au régime des congés de maladie des fonctionnaires territoriaux et l'arrêté du 4 août 2004 relatif aux commissions de réforme des agents de la fonction publique territoriale et de la fonction publique hospitalière, la déclaration d'accident de service de Mme A... ainsi que l'avis défavorable de la commission de réforme du 1er juillet 2020, mentionne que l'instruction de la déclaration d'accident de service est désormais achevée et conduit au rejet de la demande de Mme A... et qu'il y a lieu, en conséquence, de procéder au retrait de l'arrêté ayant placé l'agent en congé pour invalidité temporaire imputable au service, à titre provisoire. Dès lors, l'arrêté précise les motifs de droit et de fait sur lesquels l'autorité territoriale a fondé sa décision. Le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de cet arrêté doit, par suite, être écarté.


3. L'avis du 1er juillet 2020 de la commission de réforme précise l'objet de sa saisine portant sur l'"imputabilité au service de l'accident du 16/03/2018 ", se fonde expressément sur le rapport d'expertise du Docteur C... et explicite de manière suffisamment précise les raisons pour lesquels un avis défavorable est émis, en indiquant notamment que l'échange survenu entre Mme A... et son supérieur hiérarchique n'est pas de nature " à justifier un arrêt de travail au titre du congé pour invalidité temporaire imputable au service " et constitue un " recadrage parfois nécessaire dans le déroulement de carrière d'un agent ", en ajoutant que " le comportement de l'agent est à l'origine de cette situation ". Ainsi, l'avis comporte, de manière suffisante, les motifs qui le fondent et permettait à Mme A... de les comprendre et de les discuter utilement, quand bien même il n'apporte pas de détail sur le comportement reproché à l'agent. Le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de l'avis de la commission de réforme doit, par suite, être écarté.


4. Les moyens critiquant les vices propres dont la décision de rejet d'un recours gracieux serait entachée ne peuvent être utilement invoqués à l'appui d'une requête tendant à l'annulation de l'acte qui a fait l'objet de ce recours gracieux et de la décision rendue sur ce recours. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de la motivation de la décision portant rejet du recours gracieux de Mme A... doit être écarté comme inopérant.


En ce qui concerne la légalité interne :

5. Aux termes de l'article 57 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale dans sa version alors en vigueur : " (...) Le fonctionnaire en activité a droit : / (...) 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. (...) Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite, à l'exception des blessures ou des maladies contractées ou aggravées en service, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à la mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident, même après la date de radiation des cadres pour mise à la retraite. / Dans le cas visé à l'alinéa précédent, l'imputation au service de l'accident ou de la maladie est appréciée par la commission de réforme instituée par le régime des pensions des agents des collectivités locales. (...) ".

6. Les droits des agents publics en matière d'accident de service et de maladie professionnelle sont réputés constitués à la date à laquelle l'accident est intervenu ou la maladie diagnostiquée. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... a eu une altercation avec la maire de la commune, alors qu'elle était en service, le 16 mars 2018, et s'est rendue chez son médecin qui l'a placée le même jour en arrêt de travail pour un " burn out ". Dans ces conditions, la situation de Mme A... doit être regardée comme entièrement régie par les dispositions précitées de l'article 57 de la loi du 26 janvier 1984, et non celles énoncées aux II et IV de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983, qui ne sont pas applicables aux situations constituées avant l'entrée en vigueur, le 13 avril 2019, du décret du 10 avril 2019 relatif au congé pour invalidité temporaire imputable au service dans la fonction publique territoriale pris pour son application.

7. Un accident survenu sur le lieu et dans le temps du service, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice par un fonctionnaire de ses fonctions ou d'une activité qui en constitue le prolongement normal présente, en l'absence de faute personnelle ou de toute autre circonstance particulière détachant cet événement du service, le caractère d'un accident de service. Constitue un accident de service un évènement survenu à une date certaine, par le fait ou à l'occasion du service, dont il est résulté une lésion, quelle que soit la date d'apparition de celle-ci. Sauf à ce qu'il soit établi qu'il aurait donné lieu à un comportement ou à des propos excédant l'exercice normal du pouvoir hiérarchique, lequel peut conduire le supérieur hiérarchique à adresser aux agents des recommandations, remarques, reproches ou à prendre à leur encontre des mesures disciplinaires, un entretien, notamment d'évaluation, entre un agent et son supérieur hiérarchique, ne saurait être regardé comme un événement soudain et violent susceptible d'être qualifié d'accident de service, quels que soient les effets qu'il a pu produire sur l'agent.
8. Mme A... soutient avoir subi, le 16 mars 2018, sur le lieu et le temps du service, une agression verbale de la part de la maire de Salernes, à l'origine d'un syndrome dépressif et d'un stress post traumatique. Elle a détaillé cette altercation dans sa déclaration d'accident de service, en mentionnant " Agression verbale : violence verbale de ma hiérarchie, propos injurieux, rabaissant. Colère injustifiée envers ma personne d'une brutalité extraordinaire, en présence de mes collègues de travail et une personne extérieure à la mairie. Cet accident intervient dans une ambiance de travail délétère ". Toutefois, hormis sa seule déclaration, et celle d'une collègue de travail, ayant seulement vu " une silhouette de dos, devant le bureau de Mme A... " puis la maire sortir de ce bureau " très énervée, en vociférant ", aucun élément, notamment aucun témoignage, ne vient corroborer la nature et la portée des propos alors échangés, en dépit des témoins présents, et notamment pas les certificats de son psychiatre ou de sa psychothérapeute, qui se bornent à rapporter ses déclarations. L'évènement violent et soudain allégué, qui est contesté par la commune, ne peut ainsi être tenu pour établi. Par ailleurs et à supposer même qu'un tel évènement puisse être regardé comme établi, la commune de Salernes fait valoir que l'entretien qu'a eu la maire de Salernes avec Mme A... avait pour objet d'évoquer avec l'agent son attitude vis à vis de la maire, qui avait adressé des courriels répétés à celle-ci dont certains sur sa messagerie personnelle. L'intéressée admet elle-même que la teneur du dernier message envoyé sur cette messagerie privée, qui a donné lieu à l'entretien litigieux, était maladroite. Il ressort ainsi de ces éléments que cet entretien, qui avait pour objet de rappeler à l'agent ses obligations professionnelles et en particulier le respect dû à sa hiérarchie, a pour cause le comportement de l'agent. Par voie de conséquence, Mme A... n'est pas fondée à soutenir qu'elle aurait été victime d'un accident imputable au service.


9. Une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service.


10. Antérieurement à l'entrée en vigueur, évoquée au point 6, des dispositions du IV de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 issues de l'ordonnance du 19 janvier 2017, aucune disposition ne rendait applicable aux fonctionnaires relevant de la fonction publique territoriale, qui demandaient le bénéfice des dispositions combinées du 2° de l'article 57 de la loi du 26 janvier 1984 et de l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite, les dispositions de l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale instituant une présomption d'origine professionnelle pour toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans des conditions mentionnées à ce tableau. Mme A... ne peut, par suite, utilement se prévaloir de ces dispositions.

11. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... a présenté une déclaration d'accident de service et non de maladie professionnelle pour l'incident précité du 16 mars 2018. Cette déclaration, qui mentionne uniquement, au titre des faits en cause, l'altercation verbale évoquée au point 8, ne saurait ainsi, eu égard à cet objet et aux éléments qu'elle comporte, être regardée comme une demande de reconnaissance d'une maladie professionnelle. En tout état de cause, si la requérante produit un certificat médical de son psychiatre du 27 février 2020 attestant d'un " trouble de stress post traumatique " qui serait consécutif à cette altercation, la requérante n'établit pas l'existence d'un lien direct entre cette pathologie et l'exercice de ses fonctions. En particulier, elle ne justifie pas que ses troubles d'origine psychologique seraient la conséquence de conditions de travail dégradées depuis 2014 ainsi qu'elle l'allègue. A cet égard, les éléments dont elle se prévaut, tels qu'une altercation avec un autre agent en mars 2014, dont les faits, tels qu'ils sont présentés par la requérante, sont contestés par la commune au vu des témoignages produits, un refus opposé en 2015 à sa participation pour l'organisation des élections départementales pris selon elle au motif de son activité syndicale, un courriel du maire adressé à Mme A... en 2016 sollicitant des explications sur l'envoi d'un message à une personne extérieure, la nomination en 2017 d'un agent en qualité de responsable du service Etat civil, élection, urbanisme et accueil ou deux demandes d'entretien avec la maire non satisfaites en 2018, ne permettent pas d'établir un lien direct entre sa maladie et son activité professionnelle. Le certificat médical précité de son psychiatre, l'attestation de suivi psychothérapeutique établie par ce même médecin et l'expertise psychiatrique faite à sa demande le 4 octobre 2022, peu circonstanciée, ne sauraient suffire à établir que l'altercation litigieuse, dont le caractère violent n'est au demeurant pas établi eu égard aux éléments exposés au point 8, et qui avait pour cause le comportement personnel de l'agent, serait l'élément déclencheur d'une pathologie présente depuis plusieurs années, en lien direct avec l'exercice de ses fonctions ou des conditions de travail propres à susciter son développement.

12. Il résulte de ce qui précède que le maire de la commune de Salernes était fondé, suite à l'avis défavorable rendu par la commission de réforme le 1er juillet 2020, à prendre l'arrêté contesté retirant l'arrêté du 9 juin 2020 qui avait placé provisoirement Mme A... en congé d'invalidité temporaire imputable au service.


13. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin, d'une part, de se prononcer sur le moyen tiré de la tardiveté de la déclaration d'accident de service de la requérante, d'autre part, d'ordonner une expertise, que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande. Ses conclusions à fin d'annulation et celles présentées à fin d'injonction doivent par voie de conséquence être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Salernes, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que Mme A... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme A... une somme au titre des frais exposés par la commune de Salernes et non compris dans les dépens, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la commune de Salernes présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et à la commune de Salernes.
Délibéré après l'audience du 19 septembre 2024, où siégeaient :
- Mme Fedi, présidente de chambre,
- Mme Rigaud, présidente assesseure,
- M. Danveau, premier conseiller.


Rendu public par mise à disposition au greffe, le 4 octobre 2024.

N° 23MA011562