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CAA de NANCY, 4ème chambre, 21/09/2021, 19NC03225, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante : Procédure contentieuse antérieure : M. A... C... a demandé au tribunal des pensions de Metz l'annulation de la décision du 3 mai 2017 du ministre de la défense qui a refusé de lui accorder le bénéfice d'une pension en qualité de victime civile des évènements qui se sont déroulés en Algérie entre le 31 octobre 1954 et le 29 septembre 1962. Par un jugement n° 17/00011 du 14 mars 2019, le tribunal des pensions de Metz a rejeté sa demande. Procédure devant la cour : La cour régionale des pensions militaires de Metz a transmis à la cour administrative d'appel de Nancy, en application du décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 relatif au contentieux des pensions militaires d'invalidité, la requête présentée par M. C..., enregistrée à son greffe le 10 octobre 2019. Par un mémoire complémentaire enregistré le 21 janvier 2020, M. C..., représenté par Me Giustinati, demande à la cour : 1°) d'annuler le jugement du tribunal des pensions de Metz du 14 mars 2019 ; 2°) d'annuler la décision de rejet du ministre de la défense du 3 mai 2017 ; 3°) de faire droit à sa demande de pension militaire d'invalidité en raison des blessures subies pendant la guerre d'Algérie le 22 octobre 1961 ; 4°) de statuer, ce que de droit, sur les dépens. Il soutient que : - le critère de nationalité française ne peut plus lui être opposé au regard de la décision du conseil constitutionnel 2017-690 QPC du 8 février 2018 ; - le ministre des armées ne pouvait pas subordonner la preuve de l'imputabilité de son infirmité à un fait de guerre en Algérie à la production obligatoire d'un constat officiel contemporain au fait. Par deux mémoires en défense, enregistrés le 15 janvier 2020 et le 14 décembre 2020, la ministre des armées conclut au rejet de la requête. Elle fait valoir que : - il ne peut plus se prévaloir de ce que la pension militaire d'invalidité lui a été refusée pour défaut de nationalité française car dès la première instance, le ministère a sollicité du tribunal des pensions que M. C... ne soit pas débouté de sa demande sur le critère tenant à la nationalité française, lequel ne peut plus lui être opposé depuis le 8 février 2018 ; - il n'apporte pas d'éléments établissant que l'infirmité invoquée a bien son origine dans une blessure ou une maladie causée par l'un des faits prévus à l'article L. 124-11 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre. M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 7 novembre 2019. Vu les autres pièces du dossier. Vu : - le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ; - la loi n° 63-778 du 31 juillet 1963 ; - la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ; - la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 ; - le décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 ; - le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique : - le rapport de Mme Roussaux, première conseillère, - et les conclusions de M. Michel, rapporteur public. Considérant ce qui suit : 1. M. C..., de nationalité algérienne, né le 31 décembre 1942, a sollicité l'octroi d'une pension militaire d'invalidité en qualité de victime civile en faisant valoir qu'il a été blessé par balle à son domicile au cours d'une opération de l'armée française en Algérie le 22 octobre 1961. Par décision du 3 mai 2017, le ministre de la défense a rejeté sa demande. M. C... relève appel du jugement du 14 mars 2019 par lequel le tribunal des pensions de Metz a rejeté sa demande d'annulation de la décision du 3 mai 2017 par laquelle le ministre de la défense a refusé de lui octroyer la pension sollicitée. Sur le bien-fondé du jugement : 2. Aux termes de l'article L. 113-6 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre dans sa version applicable au litige : " Les personnes ayant subi en Algérie entre le 31 octobre 1954 et le 29 septembre 1962 des dommages physiques, du fait d'attentats ou de tout autre acte de violence en relation avec la guerre d'Algérie, bénéficient des pensions de victimes civiles de guerre. (...) ". Aux termes de l'article L. 124-11 du même code dans sa version applicable au litige: " Pour l'application des dispositions de l'article L. 113-6 relatif à la réparation des dommages physiques subis en relation avec la guerre d'Algérie, ouvrent droit à pension les infirmités ou le décès résultant :1° De blessures reçues ou d'accidents subis du fait d'attentats ou de tout autre acte de violence en relation avec cette guerre ;(...) ". Enfin, aux termes de l'article L 124-20 du même code : " Il appartient aux postulants de faire la preuve de leurs droits à pension en établissant que l'infirmité invoquée a bien son origine dans une blessure ou dans une maladie causée par l'un des faits prévus aux sections 1 et 2 du présent chapitre ". 3. Il résulte de ces dispositions qu'il appartient au postulant victime civile de guerre, de faire la preuve de ses droits à pension en établissant notamment que les infirmités qu'il invoque ont leur origine dans une blessure ou une maladie causée par l'un des faits de guerre énoncés aux articles L.124-1 et suivants du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre. 4. La décision attaquée du ministre de la défense du 3 mai 2017 a notamment été prise au motif de l'absence de production de documents établissant l'imputabilité des affections à un fait de guerre par un constat officiel établi par la gendarmerie ou un organisme habilité. Ce défaut de pièce officielle, non prévue par les textes, ne pouvait pas justifier un refus d'octroi d'une pension militaire d'invalidité sur le fondement des dispositions précitées. Ainsi, ce motif retenu dans la décision attaquée est entaché d'erreur de droit. 5. Toutefois, pour établir que la décision attaquée était légale, la ministre des armées invoque, dans ses écritures communiquées à M. C..., un autre motif, tiré de ce que sa décision aurait pu également être prise au motif de ce que les documents joints par M. C... étaient insuffisants pour établir l'imputabilité de son affection à un fait de guerre en Algérie. 6. Il résulte de l'instruction que pour établir la preuve, qui lui incombe, du lien de son infirmité avec un fait de guerre au sens des articles L. 124-1 et suivants du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, M. C... produit deux attestations sur l'honneur datées du 1er septembre 2017 selon lesquelles il a été blessé par balle le 22 octobre 1961, une autre d'un médecin de l'hôpital de Tiaret datée du 14 juillet 2014 qui mentionne qu'il a été opéré d'une plaie par balle le 22 octobre 1961, un compte rendu d'un cabinet de radiologie en Moselle qui fait état de ce que le patient " allègue des séquelles de blessures par balle ancienne " et enfin un procès-verbal d'enquête préliminaire du 9 octobre 2019 de la gendarmerie nationale d'Algérie relatant que le requérant a été blessé par balle accidentellement lors d'une opération de l'armée française en Algérie. Toutefois, ces témoignages contemporains relatent des faits datant de plus de 50 ans et l'attestation du médecin de l'hôpital de Tiaret se borne à préciser que le requérant a été " opéré le 22 octobre 1961 pour plaie abdominale par balle " sans autre précision. Dans ces conditions, les pièces produites par M. C... ne sont pas de nature à démontrer un lien direct et certain entre sa blessure par balle et le fait de guerre invoqué. 7. Ainsi, il résulte de ce qui précède que le ministre des armées aurait pris la même décision s'il avait entendu se fonder initialement sur ce motif qu'il y a lieu de substituer à celui du défaut de constat officiel entaché d'erreur de droit. 8. Ce seul motif suffit à justifier le refus d'accorder à M. C... une pension militaire d'invalidité. Par suite, la circonstance que le ministre des armées ne pouvait pas, par un second motif, lui opposer le défaut de nationalité française est sans incidence sur la légalité de ce refus. 9. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal des pensions militaires de Metz a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision lui refusant la révision de sa pension en qualité de victime civile de fait de guerre. Sur les dépens : 10. Les dispositions de l'article R. 761-1 du code de justice administrative font en tout état de cause obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance, la partie perdante, les dépens, lesquels sont au demeurant inexistants dans la présente instance. D E C I D E : Article 1er : La requête de M. C... est rejetée. Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... et à la ministre des armées. 3 N° 19NC03225
Cours administrative d'appel
Nancy
CAA de BORDEAUX, 2ème chambre, 13/07/2021, 19BX04045, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante : Procédure contentieuse antérieure : M. D... B... a demandé au tribunal des pensions militaires de Bordeaux d'annuler la décision du 3 juillet 2017 par laquelle la ministre des armées a rejeté la demande de révision de sa pension présentée au motif de l'aggravation de ses infirmités et de la prise en compte de trois nouvelles infirmités tenant à un reflux gastro-oesophagien, une névralgie et une impuissance érectile totale. Par un jugement n° 17/00030 du 6 juin 2019, le tribunal des pensions militaires de Bordeaux a, tout d'abord, annulé la décision en cause en tant qu'elle refuse la révision de la pension de M. B... pour une " névralgie sciatique dans le territoire de L5 droit ", une " impuissance érectile totale " dont le taux d'invalidité est fixé à 20 %, un " reflux gastro-oesophagien " et une " névralgie cervico-brachiale sur hernie cervicale C6-C7 " dont le taux d'invalidité est fixé à 10 %, deuxièmement, reconnu le droit de l'intéressé à la majoration prévue au deuxième alinéa de l'article L. 18 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre et, enfin, rejeté le surplus des conclusions de la demande. Procédure devant la cour : Par une requête enregistrée à la Cour régionale des pensions de Bordeaux le 16 juillet 2019 et à la cour administrative d'appel le 17 octobre 2019, et des mémoires, enregistrés le 4 février 2020, le 4 janvier 2021, le 22 janvier 2021, ainsi qu'un mémoire récapitulatif produit le 23 mars 2021 à la demande de la cour faite en application de l'article R. 611-8-1 du code de justice administrative, la ministre des armées demande à la cour : 1°) à titre principal, d'annuler ce jugement en tant qu'il accorde à M. B... un droit à pension au taux de 20 % pour l'infirmité " impuissance érectile totale ", un droit à pension de 10 % pour l'infirmité " névralgie cervico-brachiale sur hernie cervicale C6-C7 " et le bénéfice des dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 18 du code des pensions militaires d'invalidités et des victimes de guerre ; 2°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise médicale afin de déterminer si M. B... remplit les conditions pour bénéficier de la majoration pour tierce personne prévue par les dispositions de l'article L. 18 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre pour une période temporaire de trois années à compter du 19 mars 2015 ; 3°) de rejeter les conclusions présentées par M. B... par la voie de l'appel incident. Elle soutient que : - contrairement à ce que soutient M. B..., ses demandes de révision de pension n'ont pas été perdues ; - s'agissant de l'infirmité tenant à une impuissance érectile totale, c'est à tort que le tribunal a retenu son imputabilité à la blessure par balle de 1984 alors que l'atteinte du nerf pudendal aurait entraîné des conséquences immédiates, que M. B... n'a pas signalées ; - s'agissant de l'infirmité tenant à une névralgie cervico-brachiale sur hernie cervicale C6-C7, le jugement est entaché d'un défaut de motivation faute de préciser en quoi cette infirmité justifiait un taux de 10 % et était en relation médicale directe, certaine et déterminante avec l'accident de service du 8 avril 1984 ; un tel lien, de même qu'un tel taux, ne sont, en outre, pas établis ; - c'est à tort que le tribunal a retenu que M. B... remplissait les conditions pour lui accorder le bénéfice des dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 18 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre alors qu'il n'est pas établi qu'il serait obligé de recourir de manière constante à l'assistance d'une tierce personne ; le jugement est insuffisamment motivé sur ce point ; la cour pourra ordonner une expertise médicale afin de déterminer si M. B... satisfait aux conditions fixées pour bénéficier de l'allocation spéciale prévue par l'article L. 18 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ; - l'appel incident formé par M. B... relève d'un litige distinct de l'appel principal de sorte que, présenté après l'expiration du délai d'appel, il doit être rejeté comme irrecevable ; - le bien-fondé de la demande de M. B... présentée sur le fondement du troisième alinéa de l'article L. 18 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre n'est justifié par la production d'aucun document médical. Par des mémoires en défense, enregistrés le 24 décembre 2019, le 17 décembre 2020, le 6 janvier 2021, le 5 février 2021, le 8 février 2021 ainsi qu'un mémoire récapitulatif produit le 17 février 2021 à la demande de la cour faite en application de l'article R. 611-8-1 du code de justice administrative, M. B..., représenté par la SCP Tucoo-Chala, demande à la cour : 1°) de rejeter la requête de la ministre des armées ; 2°) par la voie de l'appel incident, d'annuler la décision du 3 juillet 2017 en tant qu'elle refuse de réviser sa pension pour tenir compte des séquelles en aggravation de la fracture ouverte de son fémur droit, de la paralysie incomplète du nerf crural droit, de la paralysie incomplète du nerf sciatique droit portant essentiellement sur le sciatique poplité externe, de la paralysie du nerf sciatique droit, d'un syndrome névrotique post-traumatique et en tant qu'elle lui refuse le bénéfice du troisième alinéa de l'article L. 18 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ; 3°) d'ordonner une expertise médicale avant dire droit afin de se prononcer sur une éventuelle paralysie complète du nerf crural droit, de déterminer le taux d'invalidité entraîné par la paralysie du nerf sciatique droit, de déterminer les pathologies nouvelles évoquées par son médecin et d'apprécier si elles étaient déclarées à la date de la demande, de déterminer le taux d'invalidité et l'origine de son reflux gastro-oesophagien, de déterminer si les infirmités " paralysie incomplète du nerf crural droit - amyotrophie de 3 cm de la cuisse - déficit de la force de flexion de la cuisse sur le bassin - aréflexie achilléenne " et " paralysie incomplète du nerf sciatique droit portant essentiellement sur le sciatique poplité externe ", prises isolément, l'auraient obligé à recourir d'une manière constante aux soins d'une tierce personne ; 4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à verser à son conseil au titre des article L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il soutient que : - il résulte du nouvel avis médical sollicité par l'administration elle-même qu'il peut prétendre à un taux d'infirmité global de 100 % et plus seulement de 95 %, de sorte que son recours est bien fondé ; il doit être ordonné une expertise afin qu'un médecin indépendant évalue ses infimités ; - contrairement à ce que soutient la ministre des armées, son appel incident ne porte pas sur un litige distinct de l'appel principal et est recevable ; - s'agissant de l'infirmité n° 1 " séquelles de fracture ouverte per et sous trochantérienne par balle du fémur droit - coxarthrose pensionnée au taux de 45 % ", c'est à tort que le tribunal a estimé qu'elle n'était responsable que d'un taux d'invalidité de 5 % alors que son médecin a retenu une aggravation de l'infirmité à 40 + 25 % ; - s'agissant de l'infimité n° 2 " paralysie incomplète du nerf crural droit - Amyotrophie de 3 cm de la cuisse - déficit de la force de flexion de la cuisse sur le bassin - aréflexie achilléenne ", c'est à tort que le tribunal a rejeté sa demande au motif de l'absence de constatation d'aggravation à la date du 19 mars 2015 au vu des constations médicales concluant à un taux d'invalidité de 40 + 15 % ; il doit être ordonné une expertise médicale afin de déterminer une éventuelle paralysie complète du nerf crural droit ; - s'agissant de l'infirmité n° 4 " paralysie incomplète du nerf sciatique droit portant essentiellement sur le sciatique poplité externe, son médecin a conclu à un taux d'invalidité de 45 % ; - s'agissant de l'infirmité n° 5 " syndrome névrotique post-traumatique ", son aggravation est établie contrairement à ce qui a été retenu par les premiers juges ; son médecin a retenu un taux d'invalidité de 30 % + 20 ; il doit être ordonné une expertise afin de déterminer les pathologies nouvelles dont fait état ce dernier et d'apprécier si elles étaient déclarées le 19 mars 2015 ; - il doit être ordonné une expertise afin qu'un médecin se prononce sur l'imputabilité des " nouvelles infirmités " à l'évènement du 8 avril 1984 ainsi que sur le taux d'invalidité correspondant ; - s'agissant de l'infirmité n° 7 " reflux gastro-oesophagien ", une expertise s'impose également compte tenu du caractère contradictoire des avis médicaux déjà émis ; - c'est à tort que les premiers juges ont retenu qu'il ne remplissait pas les conditions fixées au troisième alinéa de l'article L. 18 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ; il doit être ordonné une expertise médicale sur ce point ; - les moyens soulevés par la ministre des armées ne sont pas fondés. M. B... a été admis au maintien de plein droit du bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 3 juin 2021 modifiant la décision initiale du 3 octobre 2019. Vu les autres pièces du dossier. Vu : - le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ; - la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ; - le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique : - le rapport de Mme A... C..., - les conclusions de Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, rapporteure publique, - et les observations de Mme E..., représentant la ministre des armées. Considérant ce qui suit : 1. M. B..., né le 5 février 1964, a été blessé par balle le 8 avril 1984 alors qu'il effectuait son service militaire. Il était titulaire d'une pension militaire d'invalidité définitive au taux global de 95 %, qui lui a été concédée par un arrêté du 4 novembre 2013 en raison de séquelles de fracture ouverte et de coxarthrose du fémur droit, d'une paralysie incomplète du nerf crural droit, d'une névralgie sciatique dans le territoire de L5 droit, d'une paralysie incomplète du nerf sciatique droit et d'un syndrome névrotique post-traumatique. Par une demande du 19 mars 2015, M. B... a sollicité la révision de sa pension pour aggravation des infirmités pensionnées, ainsi que la prise en considération de nouvelles infirmités tenant à un reflux gastro-oesophagien, une névralgie et une impuissance érectile totale. Il a également sollicité le bénéfice des dispositions de l'article L. 18 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre. La ministre des armées a rejeté cette demande par une décision du 3 juillet 2017. Elle relève appel du jugement du tribunal des pensions militaires de Bordeaux du 6 juin 2019 en tant qu'il a partiellement annulé sa décision du 3 juillet 2017, et M. B... demande par la voie de l'appel incident l'annulation du surplus de ce jugement. Sur la recevabilité de l'appel incident : 2. Aux termes de l'article R. 811-2 du code de justice administrative : " Sauf dispositions contraires, le délai d'appel est de deux mois. Il court contre toute partie à l'instance à compter du jour où la notification a été faite à cette partie dans les conditions prévues aux articles R. 751-3 et R. 751-4-1 (...) ". 3. Il résulte de l'instruction que le jugement du tribunal des pensions militaires de Bordeaux du 6 juin 2019 a été notifié à M. B... le jour même par courrier électronique, avec l'indication des voies et délais de recours. Ainsi que le soutient la ministre des armées, le mémoire de M. B..., enregistré au greffe de la cour le 24 décembre 2019, a ainsi été présenté après l'expiration du délai d'appel, que la demande d'aide juridictionnelle présentée par l'intéressé le 18 septembre 2019 n'a pas été susceptible de proroger. Par suite, M. B... n'est pas recevable à demander à la cour la réformation du jugement en ce qui concerne les infirmités " séquelles de fracture ouverte per et sous trochantérienne par balle du fémur. Coxarthrose droite ", " paralysie incomplète du nerf crural droit. Amyotrophie de 3 cm de de la cuisse. Déficit de la force de flexion de la cuisse sur le bassin. Aréflexie achilléenne ", " névralgie sciatique dans le territoire de L5 droit ", " paralysie incomplète du nerf sciatique droit portant essentiellement sur le sciatique poplité externe ", " syndrome névrotique post traumatique " et " reflux gastro-oesophagien ", lesquelles relèvent d'un litige distinct de l'appel formé par la ministre des armées sur les infirmités " impuissance érectile totale " et " névralgie cervico brachiale sur hernie cervicale C6-C7 ainsi que sur le droit de M. B... au bénéfice de l'article L. 18 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre. Sur la régularité du jugement : 4. La ministre des armées soutient que le jugement en cause est insuffisamment motivé en ce qu'il retient l'imputabilité à l'accident dont a été victime M. B... le 8 avril 1984 de l'infirmité " névralgie cervico-brachiale sur hernie cervicale C6-C7 ". Il ressort néanmoins des termes du jugement que le tribunal s'est approprié les conclusions de l'expertise réalisée à la demande de l'administration selon laquelle si cette infirmité est sans relation avec le traumatisme incriminé, " elle peut être majorée par l'utilisation de béquilles constituant un élément déstabilisateur de la statique rachidienne ". Le tribunal a également précisé que les pièces versées aux débats permettent d'établir notamment que M. B... se déplace avec deux cannes anglaises ou en fauteuil roulant, qu'il présente une boiterie importante ainsi que des douleurs à la marche et que la station debout lui est impossible sans béquilles. Dans ces conditions, le jugement est suffisamment motivé sur ce point. 5. Si la ministre des armées soutient que le jugement est également entaché d'un défaut de motivation en ce qui concerne le bénéfice de l'allocation prévue par l'article L. 18 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, le jugement attaqué relève que l'intéressé marche avec deux cannes anglaises et se déplace en fauteuil roulant, qu'il ne peut se relever seul s'il tombe, que la station debout lui est impossible, que la gravité de ses blessures a entraîné des conséquences psychiatriques sévères avec notamment la présence d'idées suicidaires, et qu'il n'a plus d'autonomie et ne peut accomplir seul la plupart des activités essentielles de la vie quotidienne. Par suite, le jugement n'est pas entaché sur ce point du défaut de motivation que lui reproche la ministre des armées. Sur les droits à pension de M. B... : 6. Aux termes de l'article L. 2 du code des pensions militaires et des victimes de guerre, dans sa version applicable au litige : " Ouvrent droit à pension : / 1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'événements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service ; / 2° Les infirmités résultant de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service ; / 3° L'aggravation par le fait ou à l'occasion du service d'infirmités étrangères au service ; / 4° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'accidents éprouvés entre le début et la fin d'une mission opérationnelle, y compris les opérations d'expertise ou d'essai, ou d'entraînement ou en escale, sauf faute de la victime détachable du service. ". L'article L. 3 du même code dispose, dans sa version alors applicable : " Lorsqu'il n'est pas possible d'administrer ni la preuve que l'infirmité ou l'aggravation résulte d'une des causes prévues à l'article L. 2, ni la preuve contraire, la présomption d'imputabilité au service bénéficie à l'intéressé à condition : / 1° S'il s'agit de blessure, qu'elle ait été constatée avant le renvoi du militaire dans ses foyers ; / 2° S'il s'agit d'une maladie, qu'elle n'ait été constatée qu'après le quatre-vingt-dixième jour de service effectif et avant le soixantième jour suivant le retour du militaire dans ses foyers ; / 3° En tout état de cause, que soit établie, médicalement, la filiation entre la blessure ou la maladie ayant fait l'objet de la constatation et l'infirmité invoquée. / En cas d'interruption de service d'une durée supérieure à quatre-vingt-dix jours, la présomption ne joue qu'après le quatre-vingt-dixième jour suivant la reprise du service actif. / La présomption définie au présent article s'applique exclusivement aux constatations faites, soit pendant le service accompli au cours de la guerre 1939-1945, soit au cours d'une expédition déclarée campagne de guerre, soit pendant le service accompli par les militaires pendant la durée légale, compte tenu des délais prévus aux précédents alinéas. (...) ". 7. S'agissant de l'infirmité n° 6 " impuissance érectile totale ", l'expert désigné par l'administration a indiqué qu'elle ne peut être totalement imputable à l'accident survenu le 3 avril 1984 compte tenu de l'absence de troubles sphinctériens, mais qu'un lien direct avec le service peut néanmoins être retenu au vu de l'atteinte du nerf sciatique dont le nerf pudendal interne est l'une des branches, ce dernier ayant pu être lésé par la balle ayant perforé la hanche de M.B.... Toutefois, ainsi que le soutient la ministre des armées, la seule probabilité statistique d'un lien entre l'accident dont M. B... a été victime et cette infirmité ne saurait suffire à établir médicalement cette filiation au sens de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre alors, d'une part, que l'antériorité d'une telle infirmité n'est justifiée par aucune pièce et, d'autre part, que l'intéressé n'établit pas non plus souffrir depuis son accident de l'incontinence qui aurait dû résulter de manière concomitante de l'atteinte du nerf pudendal. Cette infirmité n'ayant pas été constatée dans les délais prévus par les dispositions précitées de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, la présomption d'imputabilité au service qu'elles prévoient ne saurait être appliquée en l'espèce. Par suite, c'est à tort que le tribunal des pensions militaires de Bordeaux a retenu que cette infirmité présentait un lien direct avec le service. 8. Aux termes de l'article L. 4 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre : " Les pensions sont établies d'après le degré d'invalidité. / Sont prises en considération les infirmités entraînant une invalidité égale ou supérieure à 10 %. / Il est concédé une pension : / 1° Au titre des infirmités résultant de blessures, si le degré d'invalidité qu'elles entraînent atteint ou dépasse 10 % ; (...) ". 9. S'agissant de l'infirmité n° 8 " névralgie cervico-brachiale sur hernie cervicale C6-C7 ", la ministre des armées soutient que son imputabilité à l'accident survenu le 8 avril 1984 n'est pas établie, de même que le taux de 10 % retenu par le tribunal des pensions militaires de Bordeaux. M. B... soutient, quant à lui, que cette infirmité doit être évaluée à 15 % en se prévalant du certificat médical produit par l'un de ses médecins. Il résulte de l'instruction que le médecin expert désigné par l'administration, neurochirugien, a évalué cette infirmité à un taux de 5 %. Cette appréciation ne saurait être remise en cause par l'unique élément médical versé au dossier par M. B..., soit l'analyse d'un chirurgien orthopédiste qui retient un lien direct entre l'utilisation de béquilles et l'infirmité en cause et évalue en conséquence le taux d'infirmité à 15 %. Dans ces conditions, il ne résulte pas de l'instruction que cette infirmité entraînerait un taux d'invalidité atteignant ou dépassant un taux de 10 %, de sorte que la ministre des armées est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal a retenu que cette infirmité devait être prise en considération pour le calcul de la pension de M. B.... 10. Aux termes de l'article L. 18 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, dans sa version applicable au litige : " Les invalides que leurs infirmités rendent incapables de se mouvoir, de se conduire ou d'accomplir les actes essentiels de la vie ont droit à l'hospitalisation, s'ils la réclament. En ce cas, les frais de cette hospitalisation sont prélevés sur la pension qui leur est concédée. / S'ils ne reçoivent pas ou s'ils cessent de recevoir cette hospitalisation et si, vivant chez eux, ils sont obligés de recourir d'une manière constante aux soins d'une tierce personne, ils ont droit, à titre d'allocation spéciale, à une majoration égale au quart de la pension. / Toutefois, à dater du 1er janvier 1950, cette majoration est élevée au montant de la pension pour les invalides atteints d'infirmités multiples dont deux au moins leur auraient assuré, chacune prise isolément, le bénéfice de l'allocation visée au précédent alinéa. / En aucun cas, il ne saurait être fait état de cette majoration pour augmenter les frais actuels d'hospitalisation qui sont à la charge des bénéficiaires de la mesure prise en leur faveur. " Cette disposition ne peut être interprétée comme exigeant que l'aide d'un tiers soit nécessaire à l'accomplissement de la totalité des actes nécessaires à la vie. Elle impose toutefois que l'aide d'une tierce personne soit indispensable ou bien pour l'accomplissement d'actes nombreux se répartissant tout au long de la journée, ou bien pour faire face soit à des manifestations imprévisibles des infirmités dont le pensionné est atteint, soit à des soins dont l'accomplissement ne peut être subordonné à un horaire préétabli, et dont l'absence mettrait sérieusement en danger l'intégrité physique ou la vie de l'intéressé. 11. La ministre des armées conteste le besoin permanent d'assistance d'une tierce personne qui a conduit le tribunal à accorder à M. B... une majoration de la pension de 25 %, tandis que l'intéressé soutient que les deux infirmités répondant aux conditions précitées pour un doublement de la pension sont les infirmités n° 2 " Paralysie incomplète du nerf crural droit-Amyotrophie de 3 cm de la cuisse-déficit de la force de flexion de la cuisse sur le bassin. Aréflexie achilléenne " et n° 4 " Paralysie incomplète du nerf sciatique droit portant essentiellement sur le sciatique poplité externe ". Il résulte de l'instruction, notamment du certificat médical produit au dossier et de l'attestation de l'infirmière lui apportant une assistance quotidienne au Maroc où il réside, que M. B... a besoin de l'aide d'une tierce personne pour se lever, se coucher, se laver, s'habiller ainsi que pour se déplacer et préparer ses repas. Dans ces conditions, il doit être regardé comme étant obligé de recourir d'une manière constante aux soins d'une tierce personne au sens des dispositions précitées et c'est à juste titre que le tribunal des pensions militaires de Bordeaux a retenu que M. B... était fondé à demander, à titre d'allocation spéciale, une majoration du quart de sa pension. En revanche, l'intéressé ne produit aucun élément susceptible de permettre d'envisager que deux au moins de ses infirmités, prises isolément, lui auraient assuré le bénéfice de l'allocation visée au deuxième alinéa de l'article L. 18 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre. 12. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit utile d'ordonner une nouvelle expertise médicale, d'une part, que la ministre des armées est seulement fondée à demander l'annulation du jugement du 6 juin 2019 du tribunal des pensions militaires de Bordeaux en tant qu'il reconnaît comme indemnisables les infirmités " impuissance érectile totale " et " névralgie cervico-brachiale sur hernie cervicale C6-C7 " et, d'autre part, que les conclusions présentées par M. B... doivent être rejetées, y compris celles présentées au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. DÉCIDE : Article 1er : Le jugement du 6 juin 2019 du tribunal des pensions militaires de Bordeaux est annulé en tant qu'il reconnaît comme indemnisables les infirmités " impuissance érectile totale " et " névralgie cervico-brachiale sur hernie cervicale C6-C7 ". Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal des pensions militaires de Bordeaux en ce qu'elle concerne ces infirmités est rejetée. Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté. Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la ministre des armées et à M. D... B.... Délibéré après l'audience du 29 juin 2021 à laquelle siégeaient : Mme Catherine Girault, présidente, Mme Anne Meyer, présidente-assesseure, Mme A... C..., conseillère. Rendu public par mise à disposition au greffe, le 13 juillet 2021. La rapporteure, Kolia C... La présidente, Catherine Girault La greffière, Virginie Guillout La République mande et ordonne à la ministre des armées en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt. 8 N° 19BX04045
Cours administrative d'appel
Bordeaux
CAA de NANTES, 4ème chambre, 09/07/2021, 20NT02276, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante : Procédure contentieuse antérieure : M. D... E... a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner l'Etat, d'une part, à verser à Mme B... F... veuve E... et à lui-même, en leur qualité d'ayants-droit de M. C... E... une somme de 592 800 euros assortie des intérêts et de la capitalisation des intérêts à compter du 18 novembre 2015 et, d'autre part, à Mme B... F... veuve E... une somme de 58 200 euros assortie des intérêts et de la capitalisation des intérêts à compter du 18 novembre 2015, en réparation des préjudices résultant du décès de M. C... E... qu'ils imputent à une maladie contractée pendant le service. Mme B... F... veuve E... a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner l'Etat, d'une part, à verser à M. D... E... et à elle-même, en leur qualité d'ayants-droit de M. C... E... une somme de 592 800 euros assortie des intérêts et de la capitalisation des intérêts à compter du 18 novembre 2015, et d'autre part, de verser à son profit une somme de 58 200 euros assortie des intérêts et de la capitalisation des intérêts à compter du 18 novembre 2015. Par un jugement avant-dire droit n° 1601324, 1601362 du 5 janvier 2018, le tribunal administratif de Rennes a ordonné la tenue d'une expertise confiée à un médecin spécialiste en hématologie. Le rapport de l'expert a été enregistré le 7 août 2019. Par un jugement n° 1601324, 1601362 du 18 juin 2020, le tribunal administratif de Rennes a, en premier lieu, rejeté les demandes de Mme E... et M. E..., en deuxième lieu, rejeté les conclusions de la Caisse nationale militaire de sécurité sociale et, en dernier lieu, mis les frais d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 4 200 euros à la charge définitive de l'Etat. Procédure devant la cour : I. Par une requête et un mémoire, enregistrés le 28 juillet 2020 et le 24 mars 2021 sous le n° 20NT02276, Mme B... E..., représentée par Me A..., demande à la cour : 1°) d'annuler les articles 1er et 2 du jugement n° 1601324, 1601362 du tribunal administratif de Rennes du 18 juin 2020 ; 2°) de condamner l'Etat à verser : - la somme de 592 800 euros à Mme B... E... et M. D... E... en qualité d'ayant-droits de M. C... E..., avec intérêts à compter du 18 novembre 2015 et capitalisation des intérêts ; - la somme de 58 200 euros à Mme B... E... au titre de ses préjudices propres, avec intérêts à compter du 18 novembre 2015 et capitalisation des intérêts ; 3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que : - la responsabilité de l'Etat est engagée du fait de plusieurs fautes : o M. E... a été exposé directement à des armes chimiques et des émanations et résidus des bombardements et munitions dans les zones de combat, sans aucune protection, consigne ou avertissement ; il n'a pas fait l'objet d'un suivi suffisant compte tenu de son exposition aux risques ; o sa pathologie n'a été diagnostiquée qu'avec retard alors qu'il a présenté des symptômes dès l'année 1996 ; ses antécédents n'ont pas été suffisamment mentionnés dans son dossier entrainant un retard de diagnostic ; sa pathologie n'a donc été diagnostiquée qu'à un stade très avancé diminuant ses chances de survie (de l'ordre de 90 %) ; - il existe un lien de causalité avéré entre ces expositions et sa pathologie : o le lien est établi par la littérature scientifique ; o le lien est établi par l'arrêt du 1er juillet 2016 de la cour régionale des pensions de Rennes qui est revêtu de l'autorité de la chose jugée ; o le lien doit être considéré comme établi du fait des omissions entachant son dossier médical militaire ; - en ce qui concerne les indemnisations : o le déficit fonctionnel temporaire et l'incapacité temporaire totale justifie l'allocation d'une somme de 592 800 euros, tenant compte de la pension allouée pour ce poste de préjudice ; o Mme E... justifie d'un préjudice d'affection, du fait d'avoir vu souffrir son fils, à hauteur de 48 000 euros et un préjudice moral spécial de 10 200 euros, en raison des manipulations entachant le dossier médical militaire de M. E.... Par un mémoire en défense, enregistré le 3 mars 2021, la ministre des armées conclut au rejet de la requête. Elle soutient que les moyens soulevés par Mme E... ne sont pas fondés. II. Par une requête et un mémoire, enregistrés le 28 juillet 2020 et le 24 mai 2021 sous le n° 20NT02279, M. D... E..., représenté par Me A..., demande à la cour : 1°) d'annuler les articles 1er et 2 du jugement n° 1601324, 1601362 du tribunal administratif de Rennes du 18 juin 2020 ; 2°) de condamner l'Etat à verser : - la somme de 592 800 euros à Mme B... E... et M. D... E... en qualité d'ayant-droits de M. C... E..., avec intérêts à compter du 18 novembre 2015 et capitalisation des intérêts ; - la somme de 58 200 euros à M. D... E... au titre de ses préjudices propres, avec intérêts à compter du 18 novembre 2015 et capitalisation des intérêts ; 3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il soutient que : - la responsabilité de l'Etat est engagée du fait de plusieurs fautes : o M. E... a été exposé directement à des armes chimiques et des émanations et résidus des bombardements et munitions dans les zones de combat, sans aucune protection, consigne ou avertissement ; il n'a pas fait l'objet d'un suivi suffisant compte tenu de son exposition aux risques ; o sa pathologie n'a été diagnostiquée qu'avec retard alors qu'il a présenté des symptômes dès l'année 1996 ; ses antécédents n'ont pas été suffisamment mentionnés dans son dossier entrainant un retard de diagnostic ; sa pathologie n'a donc été diagnostiquée qu'à un stade très avancé diminuant ses chances de survie (de l'ordre de 90 %) ; - il existe un lien de causalité avéré entre ces expositions et sa pathologie : o le lien est établi par la littérature scientifique ; o le lien est établi par l'arrêt du 1er juillet 2016 de la cour régionale des pensions de Rennes qui est revêtu de l'autorité de la chose jugée ; o le lien doit être considéré comme établi du fait des omissions entachant son dossier médical militaire ; - en ce qui concerne les indemnisations : o le déficit fonctionnel temporaire et l'incapacité temporaire totale justifie l'allocation d'une somme de 592 800 euros, tenant compte de la pension allouée pour ce poste de préjudice ; o M. E... justifie d'un préjudice d'affection, du fait d'avoir vu souffrir son frère, à hauteur de 48 000 euros et un préjudice moral spécial de 10 200 euros, en raison des manipulations entachant le dossier médical militaire de M. E.... Par un mémoire en défense, enregistré le 8 mars 2021, la ministre des armées conclut au rejet de la requête. Elle soutient que les moyens soulevés par M. E... ne sont pas fondés. Vu les autres pièces des dossiers. Vu : - le code de la défense ; - le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ; - le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique : - le rapport de Mme G..., première conseillère, - les conclusions de M. Besse, rapporteur public, - et les observations de Me A..., représentant Mme E... et M. E.... Considérant ce qui suit : 1. M. C... E..., né en février 1972, a intégré l'armée de l'air en qualité de contractuel en mai 1993. Il a été admis dans le corps des sous-officiers de carrière en novembre 2001. En janvier 2004, il a été diagnostiqué chez lui une maladie de Hodgkin, pathologie dont il est décédé en avril 2008. Avant son décès, M. E... avait demandé le bénéfice d'une pension militaire d'invalidité, demande qui a été rejetée par le ministre de la défense par une décision du 14 avril 2008. Le tribunal des pensions militaires de Rennes a rejeté le recours de Mme B... F... veuve E..., mère de M. C... E..., dirigé contre le rejet de la demande de pension militaire d'invalidité. Par un arrêt du 1er juillet 2016, la cour régionale des pensions de Rennes a annulé ce jugement et reconnu le droit de M. E... à une pension militaire d'invalidité à compter du 12 février 2007. 2. Par un courrier du 18 novembre 2015, Mme B... E... et M. D... E..., frère de M. C... E..., ont saisi l'Etat d'une demande préalable tendant à l'indemnisation des préjudices résultant du décès de M. C... E.... Ils relèvent appel du jugement du 18 juin 2020 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté leurs demandes tendant à la condamnation de l'Etat. 3. Les requêtes n° 20NT02276 et 20NT02279, présentées pour Mme B... E... et M. D... E..., présentent à juger les mêmes questions et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a donc lieu de les joindre pour y statuer par un seul et même arrêt. Sur le bien-fondé du jugement attaqué : 4. Les dispositions du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre déterminent forfaitairement la réparation à laquelle un militaire victime d'un accident de service ou atteint d'une maladie professionnelle peut prétendre, au titre de l'atteinte qu'il a subie dans son intégrité physique. Alors même que le régime d'indemnisation des militaires serait plus favorable que celui consenti aux agents civils, ces dispositions ne font cependant pas obstacle à ce que le militaire, qui a enduré, du fait de l'accident ou de la maladie, des souffrances physiques ou morales et des préjudices esthétiques ou d'agrément, obtienne de l'Etat qui l'emploie, même en l'absence de faute de celui-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, distincts de l'atteinte à l'intégrité physique. Il en va de même s'agissant du préjudice moral subi par ses ayants droits. Ces dispositions ne font pas plus obstacle à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre l'Etat, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager sa responsabilité ou à l'état d'un ouvrage public dont l'entretien lui incombait. En ce qui concerne l'imputabilité au service de la maladie de M. E... : 5. Il résulte de l'instruction, ainsi qu'il a rappelé ci-dessus, que M. C... E... est décédé en avril 2008 des suites d'un lymphome de Hodgkin dont le diagnostic avait été porté en janvier 2004 alors qu'il était affecté à Papeete. Mme B... E..., sa mère, et M. D... E..., son frère, invoquent le lien entre cette pathologie cancéreuse et le fait que le défunt, militaire envoyé à plusieurs reprises en ancienne Yougoslavie, aurait été exposé sans protection suffisante ni information à de l'uranium appauvri ou aux gaz nitrate d'hydroxylamine (HAN) et/ou nitrate de triéthylammonium (TEAN), gaz issus de la combustion d'explosifs. Ils soutiennent que l'exposition de leur fils et frère à ces gaz toxiques serait attestée par des mentions, partiellement occultées, de son livret médical militaire. Néanmoins, à supposer même que soit établie l'exposition de M. C... E..., il résulte des multiples expertises menées en 2008, 2011, 2014 puis 2019 à la demande successivement de la commission de réforme, du tribunal des pensions de Quimper, de celui de Rennes ou du tribunal administratif de Rennes, qu'en l'état actuel des connaissances scientifiques aucun lien n'a pu être établi entre l'exposition aux gaz HAN et TEAN ou à l'uranium appauvri et le développement d'un lymphome de Hodgkin. Il résulte de ces expertises absolument concordantes sur ce point, d'une part, que l'exposition à de tels gaz est connue pour entraîner des problèmes aigus digestifs, cutanés, sanguins, des incidences respiratoires et des manifestations rénales mais aucunement une surmortalité par cancer. Il résulte également de ces expertises que les lymphomes de Hodgkin, dont les seuls facteurs de risque actuellement identifiés sont l'exposition au virus d'Epstein-Barr, au virus de l'immunodéficience humaine acquise, l'exposition in utero à des pesticides ou une origine génétique, n'ont pas été constatés dans les populations de militaires ayant séjourné en ancienne Yougoslavie avec une incidence supérieure au reste de la population. Mme et M. E... ne peuvent utilement invoquer sur ce point l'arrêt de la cour régionale des pensions de Rennes du 1er juillet 2016 qui, au demeurant, n'a aucunement retenu l'imputabilité certaine de la pathologie de M. E... à une exposition à des substances toxiques au cours des opérations militaires et s'est bornée à relever que compte tenu de la date à laquelle cette cour estimait que les premiers signes de la pathologie de M. E... s'étaient manifestés, l'intéressé pouvait bénéficier de la présomption alors prévue par les dispositions de l'article L. 2 du code des pensions militaires et des victimes de guerre. En ce qui concerne le retard de diagnostic : 6. Mme E... et M. E... soutiennent, en s'appuyant d'une part sur l'étonnement de l'expert nommé par le tribunal des pensions de Rennes en 2014 quant au fait que la pathologie de M. C... E... a été diagnostiquée en 2004 à un stade IV déjà très avancé, et d'autre part, sur l'avis d'un praticien hospitalier non spécialiste en hématologie ou en oncologie, que le cancer dont leur fils et frère est décédé aurait été diagnostiqué tardivement de manière fautive par le service médical des armées. Ils invoquent, à ce titre, les épisodes de prurit dont a souffert l'intéressé en 1993 et 1996 et l'incomplétude de son dossier médical militaire qui évoque un test pour vérifier en 1993 une mononucléose infectieuse sans en donner le résultat, ni confirmer la réalisation de cet examen. Toutefois, s'il est constant que les experts nommés successivement par la juridiction des pensions puis par le tribunal administratif de Rennes n'ont pu, malgré leurs demandes, avoir accès au dossier médical détaillé de M. E... et n'ont pu prendre connaissance, comme au demeurant la cour, que de la seule copie du livret médical militaire, l'expert et ses sapiteurs nommés par les premiers juges ont exclu le fait que le lymphome dont le jeune homme est décédé ait pu être diagnostiqué avant la dégradation importante de son état de santé à la fin de l'année 2003, accompagnée d'hyperthermie, de toux et de dyspnée d'effort et d'anomalies pulmonaires. Il résulte ainsi des constatations portées sur le livret médical de l'intéressé que s'il a présenté deux épisodes de prurit en 1993 et en 1996 et une légère adénopathie en 1993, soit près de dix ans avant le développement de sa pathologie, aucun autre signe médical n'a été relevé, alors que ces deux manifestations, si elles peuvent avoir un lymphome comme origine, peuvent également être associées à de très nombreuses autres pathologies. Dans ces conditions, la seconde faute invoquée par les appelants tenant à un retard fautif de diagnostic n'est pas établie et doit être écartée. 7. Il résulte de tout ce qui précède que Mme E... et M. E... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande tendant à la condamnation de l'Etat. Sur les frais du litige : 8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que Mme E... et M. E... demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. DECIDE : Article 1er : La requête de Mme E... et de M. E... est rejetée. Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... E..., M. D... E..., à la ministre des armées et à la caisse nationale militaire de sécurité sociale. Délibéré après l'audience du 29 juin 2021, à laquelle siégeaient : - M. Lainé, président de chambre, - M. Rivas, président-assesseur, - Mme G..., première conseillère. Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 juillet 2021. La rapporteure, M. G...Le président, L. LAINÉ La greffière, S. LEVANT La République mande et ordonne à la ministre des armées en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision. 2 N° 20NT02276, 20NT02279
Cours administrative d'appel
Nantes
Conseil d'État, 8ème chambre, 16/07/2021, 437684, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante : Mme E... D...-B... a demandé au tribunal des pensions du Val-de-Marne de rectifier l'arrêté du 22 juin 2009 par lequel, en exécution d'un jugement du 17 mars 2009 de ce même tribunal, ont été fixés les droits à pension de veuve de sa mère décédée, Mme C... A... veuve D...-B.... Par un jugement n° 11/00051 du 5 juin 2014, le tribunal des pensions de Paris a rejeté sa demande. Par un arrêt n° 14/14673 du 24 février 2017, la cour régionale des pensions de Paris, sur appel de Mme D...-B..., a réformé ce jugement et lui a accordé une somme de 752 560,70 euros au titre des arrérages et intérêts moratoires correspondant à la pension octroyée à sa mère. Par une décision n° 410277, 414533 du 6 avril 2018, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire à la cour régionale des pensions de Versailles. Par arrêt n° 18/01836 du 2 juillet 2019, la cour régionale des pensions de Versailles a rejeté l'appel de Mme D...-B... comme irrecevable en tant qu'il portait sur la demande de rectification d'une erreur matérielle affectant le jugement du 17 mars 2009 du tribunal des pensions du Val-de-Marne et comme porté devant une juridiction incompétente pour en connaître en tant qu'il portait sur l'exécution de ce jugement. Par un pourvoi, enregistré le 15 janvier 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme D...-B... demande au Conseil d'Etat : 1°) d'annuler cet arrêt ; 2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ; 3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, son avocat, au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Vu les autres pièces du dossier ; Vu : - le code des pensions militaire d'invalidité et des victimes de la guerre ; - le code des pensions militaire d'invalidité et des victimes de guerre ; - la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 ; - la loi n° 91 647 du 10 juillet 1991 ; - le décret n° 91 1266 du 19 décembre 1991 ; - le code de justice administrative ; Après avoir entendu en séance publique : - le rapport de M. Jean-Marc Vié, maître des requêtes, - les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ; La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, avocat de Mme E... D... B... ;Considérant ce qui suit : 1. Mme D...-B... se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 2 juillet 2019 par lequel la cour régionale des pensions de Versailles, après annulation d'un arrêt de la cour régionale des pensions de Paris par une décision n° 410277, 414533 du 6 avril 2018 du Conseil d'Etat, statuant au contentieux et renvoi de l'affaire, a rejeté comme irrecevable l'appel qu'elle avait formé contre le jugement du 5 juin 2014 du tribunal des pensions de Paris rejetant sa demande tendant à la rectification de l'arrêté du 22 juin 2009 par lequel le ministre de la défense, en exécution d'un jugement du 17 mars 2009 du tribunal des pensions du Val-de-Marne, a fixé les droits à pension de veuve de sa mère décédée, Mme A... veuve D...-B.... Sur l'arrêt en tant qu'il statue sur les conclusions de la requérante aux fins de rectification d'erreur matérielle : 2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par son jugement du 17 mars 2009, le tribunal des pensions du Val-de-Marne, après avoir annulé l'arrêté du 16 mai 2005 fixant les conditions de la pension de veuve concédée à la mère de la requérante pour la période comprise entre le 1er janvier 1994 et le 6 janvier 2002, date de son décès, a ordonné le versement, par l'administration, après déduction de sommes versées en juillet 2006, des arrérages de pension due à Mme A... veuve D...-B... depuis le 4 mars 1964 jusqu'au 6 janvier 2002, assorties de la majoration d'un tiers prévue à l'article L. 51 alors applicable du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, et calculés sur toute cette période en fonction de la valeur du point d'indice en vigueur à la date de paiement, soit un montant actualisé de 378 252,50 euros. Le tribunal des pensions du Val-de-Marne a également ordonné le versement par l'administration des intérêts moratoires portant sur le principal, qui comprennent des intérêts simples au taux légal pour la période du 4 mars 1964 au 23 juin 1997, des intérêts capitalisés au taux légal pour la période du 14 juin 1997 au 18 mai 2003 et des intérêts capitalisés au taux légal majoré de 5 points pour la période comprise entre le 19 mai 2003 et la date de paiement, soit un montant actualisé de 215 559,10 euros. 3. Les voies de recours contre un jugement sont cristallisées à la date de ce dernier. A la date du jugement du 17 mars 2009, la procédure suivie devant les juridictions des pensions était régie, ainsi que l'a jugé la cour sans erreur de droit, non par les dispositions du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, notamment son article R. 731-1 issu du décret du 28 décembre 2016 relatif à la partie réglementaire de ce code, mais par les dispositions du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, par celles du décret du 20 février 1959 relatif aux juridictions des pensions et par celles du code de procédure civile auxquelles les dispositions de ce décret renvoient expressément. Dans le silence de ces textes, aucune disposition ne régissant le recours en rectification d'erreur matérielle devant les juridictions des pensions, il leur appartenait, en raison de leur caractère de juridictions administratives, de faire application des règles générales de procédure applicables à ces dernières. Le fait pour ces juridictions de se fonder sur des dispositions du code de procédure civile autres que celles mentionnées ci-dessus n'était pas susceptible d'entacher d'irrégularité leurs décisions, dès lors que ces dispositions pouvaient être regardées comme traduisant ces règles. 4. Si le recours en rectification d'erreur matérielle d'une décision juridictionnelle de l'ordre administratif existe même sans texte, cette voie de recours n'est ouverte, sauf disposition contraire, que devant les juridictions statuant en dernier ressort. Par suite, la cour n'a pas commis d'erreur de droit, après avoir relevé que l'article 462 du code de procédure civile ne traduisait pas une règle générale de procédure applicable devant les juridictions administratives, en rejetant comme irrecevables les conclusions tendant à la rectification de l'arrêté 22 juin 2009, qu'elle a analysées sans se méprendre sur leur portée comme tendant à la rectification pour erreur matérielle du jugement du 17 mars 2009 que cet arrêté se bornait à exécuter. Sur l'arrêt en tant qu'il statue sur la demande d'exécution du jugement du tribunal des pensions du Val-de-Marne du 17 mars 2009 : 5. Aux termes de l'article L. 79 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, applicable jusqu'au 31 décembre 2016 : " Les contestations auxquelles donne lieu l'application du présent livre et du livre II sont jugées en premier ressort par le tribunal des pensions, ou le tribunal des pensions dans les collectivités d'outre-mer, et en appel par la cour régionale des pensions, ou la cour des pensions d'outre-mer dans les collectivités d'outre-mer, du domicile de l' intéressé ". Aux termes de l'article L. 711-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre dans sa rédaction applicable entre le 1er janvier 2017 et le 31 octobre 2019 : " Les contestations individuelles auxquelles donne lieu l'application des dispositions du livre Ier et des titres Ier, II et III du livre II sont jugées en premier ressort par le tribunal des pensions et en appel par la cour régionale des pensions (...) ". 6. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la demande soumise au tribunal des pensions du Val-de-Marne par Mme D...-B... tendait, d'une part, à la substitution de la date du 4 mars 1964 à celle du 1er janvier 1994, retenue par l'administration, comme date d'ouverture des droits à pension de sa mère, Mme A..., veuve D...-B..., en qualité de conjoint survivant et, d'autre part, au bénéfice de la majoration de l'article L. 51 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, alors applicable, pour le calcul des arrérages de cette pension et des intérêts moratoires correspondants. Cette demande, sur laquelle il a été statué par le jugement du 17 mars 2009 du tribunal des pensions du Val-de-Marne, de même que le litige relatif à l'exécution de ce jugement, qui a donné lieu au jugement du 5 juin 2014 de ce même tribunal, portaient sur la mise en oeuvre des dispositions relatives au droit à pension militaire d'invalidité des conjoints survivants, codifiées au livre Ier du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre puis, à compter du 1er janvier 2017, au titre Ier du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre. Le litige relatif à l'exécution du jugement du 17 mars 2009 du tribunal des pensions du Val-de-Marne ressortissait ainsi, antérieurement au 1er novembre 2019, à la compétence, en premier ressort, du tribunal des pensions et, en appel, de la cour régionale des pensions. Par suite, en s'estimant, par son arrêt du 2 juillet 2019, incompétente pour connaître de ce litige la cour régionale des pensions de Versailles a méconnu les dispositions de l'article L. 711-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre. 7. Il résulte de ce qui précède que Mme D...-B... est fondée, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque en tant qu'il s'est prononcé sur ses conclusions tendant à l'exécution du jugement du tribunal des pensions du Val-de-Marne du 17 mars 2009. 8. Le Conseil d'Etat étant saisi, en l'espèce, d'un second pourvoi en cassation, il lui incombe de régler l'affaire au fond, dans la mesure de la cassation ainsi prononcée, en application du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative. 9. Par son jugement du 17 mars 2009, le tribunal des pensions du Val-de-Marne a ordonné le versement à Mme D...-B..., d'une part, des arrérages de pension dus à sa mère depuis le 4 mars 1964, date de son divorce, jusqu'au 6 janvier 2002, date de son décès, assortis de la majoration d'un tiers prévue à l'article L. 51 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, calculés sur toute cette période sur le fondement de la valeur du point d'indice en vigueur à la date du paiement, soit un montant de 151 112,60 euros, porté, en tenant compte de l'actualisation, à la somme de 378 252,60 euros et, d'autre part, des intérêts moratoires, portant, sur le principal, sous forme d'intérêts simples au taux légal pour la période du 4 mars 1964 au 23 juin 1997, d'intérêts capitalisés au taux légal pour la période du 14 juin 1997 au 18 mai 2003 et d'intérêts capitalisés au taux légal majoré de 5 points au titre de la période du 19 mai 2003 jusqu'à la date de paiement effectif des sommes en litige, soit un montant de 89 062,80 euros, porté, en tenant compte de l'actualisation, à la somme de 215 559,10 euros. 10. Dans son mémoire en défense, enregistré le 4 juin 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance soutient, sans être contredit, qu'il a été versé à Mme D...-B... la somme de 325 941,27 euros au titre des arrérages de pension dus, correspondant à la somme de 378 252,50 euros mentionnée dans le jugement du 17 mars 2009 du tribunal des pensions du Val-de-Marne, déduction faite de la somme de 52 311,23 euros qui avait déjà été versée à l'intéressée en juillet 2006. Par ailleurs, il ressort des écritures du ministre de l'économie, des finances et de la relance qu'au titre des intérêts moratoires, il a été versé à Mme D...-B... la somme de 235 063,36 euros, le montant indiqué dans le jugement ayant été majoré de la somme de 19 504,26 euros tenant compte de l'actualisation à la date du paiement, effectué le 9 juillet 2010. 11. Il résulte de tout ce qui précède que l'administration a entièrement exécuté le jugement du 17 mars 2009 du tribunal des pensions du Val-de-Marne. Il s'ensuit que Mme D...-B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal des pensions de Paris a rejeté sa demande. 12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.D E C I D E : -------------- Article 1er : L'arrêt de la cour régionale des pensions de Versailles du 2 juillet 2019 est annulé en tant qu'il a statué sur les conclusions de Mme D...-B... tendant à l'exécution du jugement du 17 mars 2009 du tribunal des pensions du Val-de-Marne. Article 2 : Les conclusions de Mme D...-B... tendant à l'exécution de ce jugement sont rejetées. Article 3 : Le surplus des conclusions du pourvoi de Mme D...-B... est rejeté. Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme E... D...-B..., à la ministre des armées et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.ECLI:FR:CECHS:2021:437684.20210716
Conseil d'Etat
CAA de NANTES, 6ème chambre, 13/07/2021, 19NT04074, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante : Procédure contentieuse antérieure : M. C... D... a demandé au tribunal des pensions militaires d'invalidité de Bourges d'annuler la décision du 13 décembre 2017 par laquelle le ministre de la défense a rejeté sa demande tendant à l'obtention d'une pension militaire d'invalidité. Par un jugement n° 18/00002 du 11 avril 2019, le tribunal des pensions militaires d'invalidité de Bourges a rejeté sa demande. Procédure devant la cour : Par une requête enregistrée le 16 mai 2019 au greffe de la cour d'appel de Bourges, puis sous le n° 19NT04074 devant la présente cour, laquelle est devenue compétente pour statuer sur ce type de litige à compter du 1er novembre 2019 en vertu de la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018, M. D... demande à la cour : 1°) à titre principal, d'annuler le jugement du tribunal des pensions militaires d'invalidité de Bourges du 11 avril 2019 ; 2°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise médicale aux fins de fixation de ses taux d'invalidité et de détermination des taux d'imputabilité des infirmités au service ; 3°) de mettre les dépens à la charge de l'Etat. Il soutient que : Sur l'hypoacousie gauche : - l'expert retient un taux d'invalidité de 4 % résultant de cette hypoacousie gauche alors même que sa perte auditive globale justifie un taux de 25 %. Sur l'hypoacousie droite : - elle est en lien avec les évènements traumatiques subis le 3 septembre 1999 dès lors que la perte progressive de l'audition de l'oreille droite est apparue après la chirurgie de l'oreille gauche. Sur les acouphènes : - il n'est pas justifié de ne retenir que la moitié de l'invalidité constatée comme imputable au service au motif que des acouphènes auraient été mentionnés avant l'évènement traumatique du 3 septembre 1999 ; - si l'on analyse ses trois infirmités de manière globale, on atteint un taux qui varierait entre 35 et 55 %. Par un mémoire en défense, enregistré 25 novembre 2019, la ministre des armées conclut au rejet de la requête. Elle soutient que les moyens soulevés par M. D... ne sont pas fondés. M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 1er juillet 2019. Vu les autres pièces du dossier. Vu : - le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ; - le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique : - le rapport de M. A... ; - et les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public. Considérant ce qui suit : 1. M. D..., incorporé au sein de l'armée de terre le 2 septembre 1984 et rayé des contrôles de l'armée le 1er juillet 2016 au grade de commandant, a sollicité, le 5 février 2016, le bénéfice d'une pension militaire d'invalidité en raison d'une " hypoacousie oreilles gauche et droite - acouphènes très importants gauche et droite " survenue pendant le service. Sa demande a été rejetée par une décision du ministre de la défense du 13 décembre 2017. Par une requête enregistrée le 24 mai 2018, M. D... a contesté cette décision devant le tribunal des pensions militaires d'invalidité de Bourges. Par un jugement du 11 avril 2019, cette juridiction a rejeté sa demande. M. D... relève appel de ce jugement et sollicite, à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise médicale aux fins de fixation de ses taux d'invalidité et de détermination des taux d'imputabilité des infirmités dues au service. Sur le bien-fondé du jugement attaqué : 2. Aux termes de l'article L.2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, alors en vigueur : " Ouvrent droit à pension : 1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'événements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service ; 2° Les infirmités résultant de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service ; 3° L'aggravation par le fait ou à l'occasion du service d'infirmités étrangères au service ; 4° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'accidents éprouvés entre le début et la fin d'une mission opérationnelle, y compris les opérations d'expertise ou d'essai, ou d'entraînement ou en escale, sauf faute de la victime détachable du service. ". Aux termes de l'article L.3 du même code : " Lorsqu'il n'est pas possible d'administrer ni la preuve que l'infirmité ou l'aggravation résulte d'une des causes prévues à l'article L. 2, ni la preuve contraire, la présomption d'imputabilité au service bénéficie à l'intéressé à condition : 1° S'il s'agit de blessure, qu'elle ait été constatée avant le renvoi du militaire dans ses foyers ; 2° S'il s'agit d'une maladie, qu'elle n'ait été constatée qu'après le quatre-vingt-dixième jour de service effectif et avant le soixantième jour suivant le retour du militaire dans ses foyers ; 3° En tout état de cause, que soit établie, médicalement, la filiation entre la blessure ou la maladie ayant fait l'objet de la constatation et l'infirmité invoquée. (...)". Aux termes de l'article L.4 du même code : " Les pensions sont établies d'après le degré d'invalidité. Sont prises en considération les infirmités entraînant une invalidité égale ou supérieure à 10 %. (...) ". 3. Il résulte de ces dispositions que, s'il ne peut prétendre au bénéfice de la présomption légale d'imputabilité, le demandeur d'une pension doit rapporter la preuve de l'existence d'un fait précis ou de circonstances particulières de service à l'origine de l'affection qu'il invoque. Cette preuve ne saurait résulter de la seule circonstance que l'infirmité soit apparue durant le service, ni d'une hypothèse médicale, ni d'une vraisemblance, ni d'une probabilité, aussi forte soit-elle. 4. En l'espèce, les trois infirmités sollicitées par M. D... ont des origines distinctes et sont évaluées distinctement au guide-barème des pensions militaires d'invalidité. Elles doivent donc, contrairement à ce que soutient le requérant, être évaluées séparément. En ce qui concerne l'hypoacousie gauche : 5. Il n'est pas contesté que l'hypoacousie gauche dont souffre M. D... est imputable au service et résulte du fait traumatique subi le 3 septembre 1999, qui a fait l'objet d'un rapport circonstancié le 27 septembre 1999. Il ressort des pièces du dossier que lors de son expertise médicale du 19 juin 2017, le Dr Engalenc, expert oto-rhino-laryngologiste retient, pour l'oreille gauche, une perte auditive moyenne de 42,5 décibels, infirmité qu'il rattache au traumatisme sonore du 3 août 1999. Le tableau d'évaluation des diminutions d'acuité auditive, présent au guide barème des pensions militaires d'invalidité, prévoit qu'une perte de 42,5 décibels correspond à un taux de 4%. Par suite, cette infirmité, qui n'entraîne pas une invalidité égale ou supérieure à 10 %, condition énoncée à l'article L.3 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre et rappelée au point 2, ne saurait être prise en considération. En ce qui concerne l'hypoacousie droite : 6. Il ressort de l'expertise médicale du Dr Engalenc précitée que cette infirmité, qui n'est pas imputable au service, a une origine différente de l'infirmité siégeant sur l'oreille gauche. L'expert relève que la perte auditive de l'oreille droite est apparue progressivement et n'a pas la caractéristique d'un traumatisme sonore. Il retient à ce sujet que : " (...) la perte auditive est apparue progressivement mais après 1999 (audiogramme normal à droite le 10/12/1999 (...) La perte auditive est de type mixte, les caractéristiques audiométriques n'étant étant pas celles d'un traumatisme sonore (...) La perte auditive moyenne à droite est de 51,25 décibels non imputable ". M. D... ne produit pas plus en appel qu'en première instance d'élément tendant à établir que l'hypoacousie droite pourrait être imputable à une blessure constatée au cours du service. En tout état de cause, si l'on reporte la perte auditive de 51,25 décibels retenue pour l'oreille droite aux indications du tableau d'évaluation des diminutions d'acuité auditive, cette perte correspond à un taux de 7%, infirmité qui n'entraîne pas une invalidité égale ou supérieure à 10 %, et ne saurait être prise en considération. En ce qui concerne les acouphènes : 7. Il ressort des pièces du dossier qu'antérieurement au fait de service du 3 août 1999 M. D... souffrait déjà d'acouphènes, comme en atteste le médecin en chef Asperge le 5 février 1993. Ce praticien indique que l'intéressé présente des " acouphènes aigus bilatéraux intermittents depuis des années. Acouphènes graves droits intermittents depuis trois semaines ". Ces acouphènes sont déjà mentionnés lors des visites systématiques annuelles du 15 novembre 1993 et du 15 octobre 1996, qui font état : " d'acouphènes et bourdonnements bilatéraux intermittents. Tympans normaux ". Par suite, le lien de causalité entre la blessure ou la maladie ayant fait l'objet de la constatation et l'infirmité invoquée n'est pas établie. 8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise médicale, que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal des pensions militaires d'invalidité de Bourges a rejeté sa demande. Sur les dépens : 9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne permettent pas d'en faire bénéficier la partie perdante ou tenue aux dépens. Les conclusions présentées à ce titre par M. D... ne peuvent dès lors qu'être rejetées. DÉCIDE : Article 1er : La requête de M. D... est rejetée. Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... D... et à la ministre des armées. Délibéré après l'audience du 25 juin 2021, à laquelle siégeaient : - M. Coiffet, président, - Mme B..., première conseillère, - M. A..., premier conseiller. Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 juillet 2021. Le rapporteur, F. A...Le président, O. COIFFET La greffière, P. CHAVEROUX La République mande et ordonne à la ministre des armées en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision. 2 N° 19NT04074
Cours administrative d'appel
Nantes
CAA de NANTES, 6ème chambre, 13/07/2021, 19NT03864, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante : Procédure contentieuse antérieure : M. C... D... a demandé au tribunal des pensions militaires d'invalidité de Maine-et-Loire d'annuler la décision du 11 avril 2016 par laquelle le ministre de la défense a rejeté sa demande tendant à l'obtention d'une pension militaire d'invalidité. Par un jugement n° 16/00003 du 7 juin 2019, le tribunal des pensions militaires d'invalidité de Maine-et-Loire a fait droit à sa demande. Procédure devant la cour : Par une requête et des mémoires, enregistrés le 14 août 2019 au greffe de la cour régionale des pensions d'Angers, puis le 18 juin et 20 novembre 2020 sous le n° 19NT03864 devant la présente cour, laquelle est devenue compétente pour statuer sur ce type de litige à compter du 1er novembre 2019 en vertu de la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018, la ministre des armées demande à la cour d'annuler le jugement du tribunal des pensions militaires d'invalidité de Maine-et-Loire du 7 juin 2019 et de rejeter la demande présentée par M. D... devant cette juridiction. Elle soutient que : - les premiers juges se sont appuyés sur des hypothèses et ont pris en considération des éléments qui relèvent des conditions générales de service ; - il n'existe aucun fait précis, aucun accident de tir dûment identifié permettant de considérer que " l'hypoacousie de perception bilatérale (...) " dont souffre M. D..., trouve sa cause dans l'exécution du service ; - le livret médical militaire ne comporte aucune trace d'une quelconque consultation relatant un problème auditif en 1985. Par un mémoire en défense, enregistré le 1er septembre 2020, M. D... conclut au rejet de la requête et à ce que les dépens soient mis à la charge de l'Etat. Il soutient que les moyens soulevés par la ministre des armées ne sont pas fondés. M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 23 septembre 2019. Vu les autres pièces du dossier. Vu : - le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ; - le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique : - le rapport de M. A... ; - et les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public. Considérant ce qui suit : 1. M. D..., engagé dans l'armée de terre le 1er octobre 1985, a été admis dans le corps des sous-officiers de carrière le 1er janvier 2004. Il a sollicité, le 29 janvier 2014 et le 18 février 2014, le bénéfice d'une pension militaire d'invalidité en raison de " séquelles de traumatisme de l'épaule gauche (...) et d'une " hypoacousie de perception bilatérale ". Sa demande a été rejetée par une décision de la ministre des armées du 11 avril 2016. Par une requête enregistrée le 6 juin 2016, M. D... a contesté cette décision devant le tribunal des pensions militaires d'invalidité de Maine-et-Loire. Par un jugement du 7 juin 2019, cette juridiction a fait droit à la demande de M. D.... La ministre des armées relève appel de ce jugement. Sur le bien-fondé du jugement attaqué : 2. Aux termes de l'article L.2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, alors en vigueur : " Ouvrent droit à pension : 1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'événements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service ; 2° Les infirmités résultant de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service ; 3° L'aggravation par le fait ou à l'occasion du service d'infirmités étrangères au service ; 4° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'accidents éprouvés entre le début et la fin d'une mission opérationnelle, y compris les opérations d'expertise ou d'essai, ou d'entraînement ou en escale, sauf faute de la victime détachable du service. ". Aux termes de l'article L.3 du même code : " Lorsqu'il n'est pas possible d'administrer ni la preuve que l'infirmité ou l'aggravation résulte d'une des causes prévues à l'article L. 2, ni la preuve contraire, la présomption d'imputabilité au service bénéficie à l'intéressé à condition : 1° S'il s'agit de blessure, qu'elle ait été constatée avant le renvoi du militaire dans ses foyers ; 2° S'il s'agit d'une maladie, qu'elle n'ait été constatée qu'après le quatre-vingt-dixième jour de service effectif et avant le soixantième jour suivant le retour du militaire dans ses foyers ; 3° En tout état de cause, que soit établie, médicalement, la filiation entre la blessure ou la maladie ayant fait l'objet de la constatation et l'infirmité invoquée. (...)". Aux termes de l'article L.4 du même code : " Les pensions sont établies d'après le degré d'invalidité. Sont prises en considération les infirmités entraînant une invalidité égale ou supérieure à 10 %. (...) ". 3. Il résulte de ces dispositions que, s'il ne peut prétendre au bénéfice de la présomption légale d'imputabilité, le demandeur d'une pension doit rapporter la preuve de l'existence d'un fait précis ou de circonstances particulières de service à l'origine de l'affection qu'il invoque. Cette preuve ne saurait résulter de la seule circonstance que l'infirmité soit apparue durant le service, ni d'une hypothèse médicale, ni d'une vraisemblance, ni d'une probabilité, aussi forte soit-elle. 4. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que dans le cadre de l'instruction de sa demande de pension, M. D... a été ausculté par le Dr Noca, expert près de la cour d'appel d'Angers, le 31 octobre 2018. Cet expert relève alors que : " M. D... présente manifestement des troubles de l'audition compatibles avec des séquelles de traumatismes sonores aigus. L'origine de ces traumatismes sonores aigus est parfaitement en cohérence avec son activité professionnelle de fantassin en unité de combat. Néanmoins, aucune preuve objective de traumatismes sonores aigus n'est rapportée dans le dossier médical ". Lors de ses évaluations auditives, retranscrites dans son dossier médical, l'intéressé est noté 1 au SIGYCOP à la date de son incorporation en 1985, ainsi qu'au terme des 90 premiers jours de présence en milieu militaire, en 1986. Ce n'est qu'à partir de 2005, soit 20 ans après son incorporation, que la baisse d'audition de M. D... est constatée, l'acuité auditive est alors notée 3 au SIGYCOP. Lors de cette visite, le médecin relève en substance : " TSA (traumatismes sonores aigus) anciens non documentés ". Aucun élément médical attestant d'un TSA de 1985 à la date de la demande de pension, ni aucune preuve administrative telle qu'un rapport circonstancié ou un extrait du registre des constatations, n'apparaît au dossier médical de M. D.... L'attestation du 21 février 2014 de l'adjudant-chef Guillemain produite et les pièces médicales émises entre 2005 et 2014, qui indiquent notamment " qu'il s'est constitué progressivement une surdité prédominant à gauche, ayant motivé un avis ORL en 2005 ", ne sont pas de nature à remettre en cause ces différentes constatations. Dans ces conditions, aucun élément du dossier ne permet de rattacher " l'hypoacousie de perception bilatérale " dont souffre l'intéressé à l'exécution du service. La seule circonstance que cette infirmité soit apparue pendant le service ne saurait suffire pour établir, en l'absence de fait précis ou de circonstances particulières de service à l'origine de cette affection lesquelles font défaut au cas d'espèce, le lien de causalité entre la maladie en cause et le service. Par suite, la ministre des armées est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal des pensions militaires d'invalidité de Maine-et-Loire a annulé la décision du ministre de la défense du 11 avril 2016 et à demander, pour ce motif, l'annulation du jugement attaqué. Sur les dépens : 5. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne permettent pas d'en faire bénéficier la partie perdante ou tenue aux dépens. Les conclusions présentées à ce titre par M. D... ne peuvent dès lors qu'être rejetées. DÉCIDE : Article 1er : Le jugement du 7 juin 2019 du tribunal des pensions militaires d'invalidité de Maine-et-Loire est annulé. Article 2 : La demande de M. D... présentée devant le tribunal des pensions militaires d'invalidité de Maine-et-Loire est rejetée. Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la ministre des armées et à M. C... D.... Délibéré après l'audience du 25 juin 2021, à laquelle siégeaient : - M. Coiffet, président, - Mme B..., première conseillère, - M. A..., premier conseiller. Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 juillet 2021. Le rapporteur, F. A...Le président, O. COIFFET La greffière, P. CHAVEROUX La République mande et ordonne à la ministre des armées en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision. 2 N° 19NT03864
Cours administrative d'appel
Nantes
CAA de NANTES, 6ème chambre, 13/07/2021, 19NT03933, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante : Procédure contentieuse antérieure : M. C... D... a demandé au tribunal des pensions militaires d'invalidité de Caen d'annuler la décision du 19 janvier 2017 par laquelle le ministre de la défense a rejeté sa demande tendant à l'obtention d'une pension militaire d'invalidité. Par un jugement n° 17/00002 du 27 décembre 2018, le tribunal des pensions militaires d'invalidité de Caen a rejeté sa demande. Procédure devant la cour : Par une requête enregistrée le 24 mai 2019 au greffe de la cour d'appel de Caen, puis le 15 novembre 2019 sous le n° 19NT03933 devant la présente cour, laquelle est devenue compétente pour statuer sur ce type de litige à compter du 1er novembre 2019 en vertu de la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018, M. D... demande à la cour : 1°) à titre principal, d'annuler le jugement du tribunal des pensions militaires d'invalidité de Caen du 27 décembre 2018 ; 2°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise médicale pour déterminer si la perte auditive qu'il a subie est survenue pendant le service ; 3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il soutient que : - ses problèmes auditifs ont été directement causés par le fait ou à l'occasion du service ; - il ne présentait aucune pathologie ORL (Oto-Rhino-Laryngologique) au début de sa carrière militaire ; - à supposer que l'affection se soit déclarée en dehors du service, le fait même qu'elle évolue confirme que le service effectué au sein de l'armée a une influence sur cette évolution ; - à titre subsidiaire, une expertise médicale est nécessaire pour éclairer la cour. Par un mémoire en défense, enregistré 15 novembre 2019, la ministre des armées conclut au rejet de la requête. Elle soutient que la requête est tardive et méconnaît les dispositions de l'article R. 411-1 du code de justice administrative, et que les moyens soulevés par M. D... ne sont pas fondés. Vu les autres pièces du dossier. Vu : - le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ; - le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique : - le rapport de M. A... ; - et les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public. Considérant ce qui suit : 1. M. D..., caporal au sein du 9ème régiment de chasseurs parachutistes de Pamiers, a sollicité, le 20 janvier 2014, le bénéfice d'une pension militaire d'invalidité en raison d'une " hypoacousie bilatérale " survenue, selon lui, pendant le service. Sa demande a été rejetée par une décision du ministre de la défense du 19 janvier 2017. Par une requête enregistrée le 23 février 2017, M. D... a contesté cette décision devant le tribunal des pensions militaires d'invalidité de Caen. Par un jugement du 27 décembre 2018, cette juridiction a rejeté sa demande. M. D... relève appel de ce jugement et sollicite, à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise médicale pour déterminer si la perte auditive dont il souffre est survenue pendant le service. Sur le bien-fondé du jugement attaqué : 2. Aux termes de l'article L.2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, alors en vigueur : " Ouvrent droit à pension : 1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'événements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service ; 2° Les infirmités résultant de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service ; 3° L'aggravation par le fait ou à l'occasion du service d'infirmités étrangères au service ; 4° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'accidents éprouvés entre le début et la fin d'une mission opérationnelle, y compris les opérations d'expertise ou d'essai, ou d'entraînement ou en escale, sauf faute de la victime détachable du service. ". Aux termes de l'article L.3 du même code : " Lorsqu'il n'est pas possible d'administrer ni la preuve que l'infirmité ou l'aggravation résulte d'une des causes prévues à l'article L. 2, ni la preuve contraire, la présomption d'imputabilité au service bénéficie à l'intéressé à condition : 1° S'il s'agit de blessure, qu'elle ait été constatée avant le renvoi du militaire dans ses foyers ; 2° S'il s'agit d'une maladie, qu'elle n'ait été constatée qu'après le quatre-vingt-dixième jour de service effectif et avant le soixantième jour suivant le retour du militaire dans ses foyers ; 3° En tout état de cause, que soit établie, médicalement, la filiation entre la blessure ou la maladie ayant fait l'objet de la constatation et l'infirmité invoquée. (...) / La présomption définie au présent article s'applique exclusivement aux constatations faites, (...) au cours d'une expédition déclarée campagne de guerre (...) ". 3. Il résulte de ces dispositions que, s'il ne peut prétendre au bénéfice de la présomption légale d'imputabilité, le demandeur d'une pension doit rapporter la preuve de l'existence d'un fait précis ou de circonstances particulières de service à l'origine de l'affection qu'il invoque. Cette preuve ne saurait résulter de la seule circonstance que l'infirmité soit apparue durant le service, ni d'une hypothèse médicale, ni d'une vraisemblance, ni d'une probabilité, aussi forte soit-elle. 4. En l'espèce, si M. D... rattache sa perte auditive à sa formation générale initiale reçue au cours de l'année 2003 et à son service en opérations extérieurs en Côte d'Ivoire en 2004, aucun traumatisme sonore n'a été constaté par l'autorité militaire ni même évoqué par l'intéressé lors de ses visites médicales. Lors des visites systématiques annuelles du 5 octobre 2004 et du 8 novembre 2005, le classement auditif de M. D... est mesuré à 0 (oreilles) = 1, puis à 10 (OG - OD), ce qui atteste alors de l'absence de tout problème auditif. Aucun rapport de commandement, ni extrait du registre des constatations évoquant un accident ou incident de tir n'existe au dossier du requérant. La première mention portée au livret médical de l'intéressé évoquant une perte auditive a été faite lors de la visite systématique annuelle du 31 mai 2006, où le SIGYCOP indique : " 0 (oreilles) = 3 - tir double protection ", sans toutefois aucune autre mention et conclut à l'aptitude de M. D.... Le livret médical du requérant retient le 2 avril 2008, " une hypoacousie d'installation progressive ". Le Dr Boukhedenna, spécialiste ORL de l'hôpital d'Alençon, fait quant à lui état, dans sa lettre du 11 avril 2008, d'un " problème d'hypoacousie bilatérale d'évolution progressive depuis 2006 " sans davantage de précisions. Sur la base de ces constatations, la seule circonstance que " l'hypoacousie " de M. D... soit apparue pendant le service ne saurait suffire pour établir, en l'absence de fait précis ou de circonstances particulières de service à l'origine de cette affection, le lien de causalité entre la maladie de l'intéressé et le service. 5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité de la requête ou d'ordonner une expertise médicale, que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal des pensions militaires d'invalidité de Caen a rejeté sa demande. Sur les frais liés au litige : 6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à M. D... de la somme qu'il demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. DÉCIDE : Article 1er : La requête de M. D... est rejetée. Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... D... et à la ministre des armées. Délibéré après l'audience du 25 juin 2021, à laquelle siégeaient : - M. Coiffet, président-assesseur, - Mme B..., première conseillère, - M. A..., premier conseiller. Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 juillet 2021. Le rapporteur, F. A...Le président, O. COIFFET La greffière, P. CHAVEROUX La République mande et ordonne à la ministre des armées en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision. 2 N° 19NT03933
Cours administrative d'appel
Nantes
CAA de LYON, 3ème chambre, 13/07/2021, 19LY03217, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante : Procédure contentieuse antérieure M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner la commune de Livet-et-Gavet au versement de 25 000 euros en réparation des préjudices causés par son refus de le titulariser dans le corps des contrôleurs de travaux territoriaux. Par un jugement n° 1605919 du 24 juin 2019, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté cette demande. Procédure devant la cour Par une requête enregistrée le 14 août 2019, M. C..., représenté par Me Germain-Phion (SCP Laure Germain-Phion), avocat, demande à la cour : 1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 24 juin 2019 ; 2°) de condamner la commune de Livet-et-Gavet à lui verser 25 000 euros en réparation du préjudice de carrière subi et 20 000 euros en réparation du préjudice moral subi, ces derniers emportant intérêts au taux légal à compter de sa demande préalable d'indemnisation ; 3°) d'enjoindre à la commune de Livet-et-Gavet de procéder à la reconstitution de sa carrière ; 4°) de mettre à la charge de la commune de Livet-et-Gavet une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il soutient que : - le refus illégal de le titulariser, son placement en congé de longue durée imputable au service et son admission à la retraite pour invalidité lui ont causé un préjudice financier et un préjudice de carrière, qui doivent être évalués à 25 000 euros, en le plaçant dans une situation de précarité financière, en amputant ses droits à la retraite et en interrompant sa carrière ; - le refus illégal de le titulariser, son placement en congé de longue durée imputable au service et son admission à la retraite pour invalidité lui ont directement causé un préjudice moral, qui peut être évalué à 20 000 euros, en le plaçant dans une situation de précarité financière et en générant un syndrome dépressif. Par ordonnance du 11 décembre 2020, la clôture de l'instruction a été fixée au 12 janvier 2021. En application de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative, l'instruction a été rouverte pour les éléments demandés le 3 et le 22 février 2021 en vue de compléter l'instruction. Vu les autres pièces du dossier ; Vu : - le code de la santé publique ; - le code de la sécurité sociale ; - le code des pensions civiles et militaires de retraite ; - la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ; - le code de justice administrative ; Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ; Après avoir entendu au cours de l'audience publique : - le rapport de Mme B... D..., première conseillère, - et les conclusions de M. Samuel Deliancourt, rapporteur public ; Considérant ce qui suit : 1. M. C..., technicien territorial de la commune de Livet-et-Gavet, a été détaché au sein de cette même commune en qualité de contrôleur stagiaire à compter du 1er septembre 2008. Au terme de son stage, le maire de la commune a refusé de le titulariser, par un arrêté du 26 octobre 2009, qui a été annulé par un jugement du tribunal administratif de Grenoble du 10 juillet 2012. Par courrier du 2 août 2016, il a demandé l'indemnisation du préjudice moral, des troubles dans les conditions d'existence et du préjudice de carrière que lui aurait causés cette décision illégale. Sa réclamation ayant été rejetée par la commune, il a saisi le tribunal administratif de Grenoble aux mêmes fins. Il relève appel du jugement du 24 juin 2019 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande. Sur le bien-fondé du jugement attaqué : 2. Il résulte de l'instruction que, par un jugement du 10 juillet 2012, devenu définitif, le tribunal administratif de Grenoble a annulé l'arrêté du maire de Livet-et-Gavet du 26 octobre 2009, refusant de procéder à la titularisation de M. C... comme contrôleur des travaux, en retenant que l'intéressé n'avait pas été placé dans des conditions de stage lui permettant de démontrer son aptitude à exercer les fonctions pour lesquelles il avait été recruté. Cette illégalité constitue une faute susceptible d'engager la responsabilité de la commune de Livet-et-Gavet, pour autant qu'il en soit résulté un préjudice direct et certain. 3. En revanche, M. C... n'apporte aucun commencement de preuve permettant d'établir qu'il aurait alors subi des faits constitutifs d'un harcèlement moral, lequel n'a pas été reconnu par le jugement évoqué ci-dessus et n'a, au demeurant, pas été invoqué dans sa réclamation préalable. S'agissant du préjudice professionnel : 4. D'une part, il résulte de l'instruction qu'à la suite de l'annulation de l'arrêté du 26 octobre 2009, le maire de la commune de Livet-et-Gavet a procédé à la reconstitution de la carrière de M. C... à compter du 1er septembre 2008, par un arrêté du 1er août 2014 prévoyant notamment une progression d'échelons et, corrélativement, de salaires, selon des modalités qui ne sont nullement remises en cause par l'intéressé. M. C... ne prétend pas que l'autorité communale n'aurait pas ainsi correctement procédé à la reconstitution de sa carrière jusqu'au 1er août 2014. 5. D'autre part, si M. C... a été placé dès le 3 novembre 2009 en congé pour maladie, ultérieurement reconnue imputable au service, il n'établit pas que cette maladie aurait pour cause cette décision illégale, celle-ci ayant débuté dès un premier arrêt de travail du 11 décembre 2008 intervenu antérieurement et le tribunal administratif de Grenoble ayant, dans un jugement du 22 octobre 2013, relevé que l'affection psychologique justifiant ce congé faisait suite à une altercation avec un autre agent. Dès lors, les préjudices financiers et de carrière qui ont pu résulter de ce placement en congé de longue durée, puis de son admission anticipée à la retraite pour invalidité sont dépourvus de lien avec l'illégalité susvisée. 6. Par suite, M. C... ne démontre pas la réalité d'un préjudice financier ou d'un préjudice de carrière directement lié à l'illégalité de la décision du 26 octobre 2009. S'agissant du préjudice moral : 7. Comme indiqué précédemment, M. C... ne démontre pas avoir subi un préjudice financier directement lié à l'illégalité de la décision du 26 octobre 2009. Par suite, la situation de précarité financière qu'il invoque ne saurait davantage être liée à cette illégalité. De même, M. C... ne démontrant pas que son placement en congé de longue durée, puis son admission anticipée à la retraite pour invalidité seraient directement liés à cette illégalité, il ne peut se prévaloir des préjudices moraux susceptibles d'en avoir résulté. 8. En revanche, il résulte des rapports médicaux établis les 26 novembre 2013 et 24 novembre 2017 que la décision de ne pas le titulariser a participé à une décompensation dépressive et à un épuisement moral de M. C.... Il sera fait une juste appréciation du préjudice moral ainsi subi en condamnant la commune de Livet-et-Gavet à lui verser une somme de 2 500 euros, tous intérêts compris au jour du présent arrêt. 9. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande. Sur les conclusions à fin d'injonction : 10. La présente décision qui condamne la commune de Livet et Gavet à verser une indemnité à M. C... n'implique nullement qu'il soit en outre enjoint à celle-ci de procéder à la reconstitution de sa carrière. Les conclusions à fin d'injonction présentées par M. C... doivent être rejetées. Sur les frais liés au litige : 11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Livet et Gavet une somme de 2 000 euros à verser à M. C... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. DÉCIDE : Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 24 juin 2019 est annulé. Article 2 : La commune de Livet-et-Gavet est condamnée à verser à M. C... une somme de 2 500 euros, tous intérêts compris au jour du présent arrêt. Article 3 : La commune de Livet-et-Gavet versera à M. C... une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Article 4 : Le surplus des conclusions de M. C... est rejeté. Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C... et à la commune de Livet-et-Gavet. Délibéré après l'audience du 29 juin 2021, à laquelle siégeaient : M. Jean-Yves Tallec, président de chambre, M. Gilles Fédi, président-assesseur, Mme B... D..., première conseillère. Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 juillet 2021. 2 N° 19LY03217
Cours administrative d'appel
Lyon
Conseil d'État, 9ème chambre, 19/07/2021, 434578, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante : M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lyon, d'une part, d'annuler l'arrêté du 18 septembre 2017, révélé par un courrier du ministre de l'agriculture et de l'alimentation du 3 octobre 2017, lui octroyant une allocation temporaire d'invalidité, en tant que le taux pour la liquidation de cette allocation a été fixé à 13 %, et, d'autre part, d'ordonner une expertise médicale en vue de fixer ce taux. Par un jugement n° 1802391 du 10 juillet 2019, le tribunal administratif de Lyon a réformé l'arrêté du 18 septembre 2017 en portant à 31 % le taux de l'allocation temporaire d'invalidité concédée à M. A... à compter du 26 avril 2016. Par un pourvoi, enregistré le 12 septembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'action et des comptes publics demande au Conseil d'Etat d'annuler ce jugement. Vu les autres pièces du dossier ; Vu : - la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984, notamment son article 65 ; - la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ; - le décret n° 60-1089 du 6 octobre 1960 ; - le code de justice administrative. Après avoir entendu en séance publique : - le rapport de M. Olivier Guiard, maître des requêtes, - les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteure publique ; La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, Sebagh, avocat de M. A... ;Considérant ce qui suit : 1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A..., ancien technicien supérieur des services vétérinaires de la direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations de l'Ardèche, qui a été radié des cadres le 21 janvier 2013, est atteint aux deux épaules d'une pathologie tendineuse dégénérative de la coiffe des rotateurs, reconnue imputable au service par une décision du 20 décembre 2012. Par un arrêté du 18 septembre 2017, M. A... s'est vu concéder une allocation temporaire d'invalidité (ATI) sur la base d'un taux d'incapacité fixé à 13 %. Le ministre de l'action et des comptes publics demande l'annulation du jugement du 10 juillet 2019 par lequel le tribunal administratif de Lyon a réformé cet arrêté en portant à 31 % le taux définitif de liquidation de l'ATI concédée à M. A... à compter du 26 avril 2016. 2. Aux termes de l'article 65 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat : " Le fonctionnaire qui a été atteint d'une invalidité résultant d'un accident de service ayant entraîné une incapacité permanente d'au moins 10 % ou d'une maladie professionnelle peut prétendre à une allocation temporaire d'invalidité (...). / Les conditions d'attribution ainsi que les modalités de concession, de liquidation, de paiement et de révision de l'allocation temporaire d'invalidité sont fixées par un décret en Conseil d'Etat qui détermine également les maladies d'origine professionnelle ". 3. Aux termes de l'article 4 du décret du 6 octobre 1960 portant règlement d'administration publique pour l'application des dispositions de l'article 23 bis de l'ordonnance n° 59-244 du 4 février 1959 relative au statut général des fonctionnaires, dans sa rédaction alors en vigueur : " L'entrée en jouissance de l'allocation temporaire d'invalidité est fixée à la date de reprise des fonctions après consolidation ou, dans les cas prévus au quatrième alinéa de l'article 1er, à la date de la constatation officielle de la consolidation de la blessure ou de l'état de santé de l'intéressé. (...) ". Aux termes de l'article 6 de ce décret : " Après la radiation des cadres (...) l'allocation continue à être servie sur la base du dernier taux d'invalidité constaté durant l'activité. / (...) / En aucun cas le taux de l'invalidité indemnisée par l'allocation maintenue après la radiation des cadres ne peut faire l'objet d'une appréciation ultérieure en fonction de l'évolution de cette invalidité ". 4. Il appartient au juge administratif, dans l'exercice de ses pouvoirs généraux de direction de la procédure, de prendre toutes mesures propres à lui procurer, par les voies de droit, les éléments de nature à lui permettre de former sa conviction sur les points en litige. 5. Il ressort des énonciations du jugement attaqué que, pour juger que le taux définitif de liquidation de l'ATI concédée à M. A... à compter du 26 avril 2016 devait être porté à 31 %, le tribunal, après avoir relevé l'absence de toute autre pièce médicale au dossier, s'est fondé sur le rapport d'examen médical établi à la demande du requérant le 9 novembre 2017, dont il ressortait que M. A... continuait de souffrir d'une raideur modérée des deux épaules suite à une tendinopathie accompagnée d'une rupture de la coiffe des rotateurs et que les taux d'incapacité permanente partielle pour l'épaule gauche dominante et pour l'épaule droite non dominante pouvaient être respectivement évalués à 18 et 13 % au regard du barème de référence du code des pensions civiles et militaires de retraite. 6. En se fondant sur ce seul rapport d'examen pour juger que le taux de 13 % retenu par l'arrêté du 18 septembre 2017 devait être porté à 31 %, alors que, d'une part, il relevait que cet arrêté avait été pris à la suite d'un avis de la commission départementale de réforme du 26 juillet 2017 dont il ressortait que le taux d'incapacité de M. A... avait été évalué à 12,5 % après un complément d'expertise, et que, d'autre part, les taux d'incapacité mentionnés dans le rapport du 9 novembre 2017 pouvaient avoir pris en compte l'évolution de la maladie professionnelle du requérant depuis sa radiation des cadres, contrairement à ce qu'exige l'article 6 précité du décret du 6 octobre 1960 cité au point 3, le tribunal qui n'a ni demandé à M. A... la production des éléments médicaux figurant dans son dossier de réforme ni ordonné la réalisation d'une nouvelle expertise médicale, a entaché son jugement d'une erreur de droit. 7. Il résulte de ce qui précède que le ministre est fondé à demander l'annulation du jugement qu'il attaque. 8. Les dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.D E C I D E : -------------- Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Lyon du 10 juillet 2019 est annulé. Article 2 : L'affaire est renvoyée au tribunal administratif de Lyon. Articles 3 : Les conclusions de M. A... présentées au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées. Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie, des finances et de la relance et à M. B... A.... ECLI:FR:CECHS:2021:434578.20210719
Conseil d'Etat
Conseil d'État, 2ème - 7ème chambres réunies, 09/07/2021, 451980, Publié au recueil Lebon
Vu la procédure suivante : Par un arrêt n° 19MA04745 du 20 avril 2021, enregistré le 23 avril 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la cour administrative d'appel de Marseille, avant de statuer sur la demande de M. A... B... tendant, d'une part, à l'annulation du jugement n° 17/00007 du 22 février 2018 du tribunal des pensions militaires d'invalidité de Marseille et de la décision du 26 juillet 2016 par laquelle le ministre de la défense a refusé de faire droit à sa demande de pension militaire d'invalidité et, d'autre part, à ce que soit reconnu son droit à pension au titre de ses infirmités, a décidé, par application des dispositions de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, de transmettre le dossier de cette demande au Conseil d'Etat, en soumettant à son examen la question de savoir si, lorsqu'il a à trancher un litige en matière de pensions militaires d'invalidité, il appartient au juge administratif, en sa qualité de juge de plein contentieux, d'apprécier, s'il est saisi de moyens en ce sens, la régularité de la décision en litige. Vu les autres pièces du dossier ; Vu : - le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ; - la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 ; - le décret n° 2018-1292 du 28 décembre 2018 ; - le code de justice administrative ; Après avoir entendu en séance publique : - le rapport de M. Clément Tonon, auditeur, - les conclusions de Mme Sophie Roussel, rapporteure publique ; REND L'AVIS SUIVANT : 1. Lorsqu'il est saisi d'un litige en matière de pensions militaires d'invalidité, il appartient au juge administratif, en sa qualité de juge de plein contentieux, de se prononcer sur les droits de l'intéressé en tenant compte de l'ensemble des circonstances de fait qui résultent de l'instruction, et aussi, le cas échéant, d'apprécier, s'il est saisi de moyens en ce sens ou au vu de moyens d'ordre public, la régularité de la décision en litige. 2. Par ailleurs, l'article 51 de la loi du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 a modifié l'article L. 711-2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, qui dispose désormais que " les recours contentieux contre les décisions individuelles prises en application du livre Ier et des titres Ier à III du livre II sont précédés d'un recours administratif préalable (...) ". Pour son application, le décret du 29 décembre 2018 a institué auprès du ministre de la défense et du ministre chargé du budget une commission de recours de l'invalidité chargée d'examiner les recours administratifs formés à l'encontre de ces décisions individuelles. Le 7° de son article 1er remplace les dispositions réglementaires du livre VII de ce même code afin d'y insérer l'ensemble des dispositions relatives à la composition et au fonctionnement de la commission. Le nouvel article R. 711-1 du code dispose ainsi que l'exercice des recours administratifs doit obligatoirement précéder tout recours contentieux " à peine d'irrecevabilité ". En vertu de l'article R. 711-15 : " Dans un délai de quatre mois à compter de sa saisine, la commission notifie à l'intéressé sa décision prise sur le recours, qui se substitue à la décision contestée. L'absence de décision notifiée à l'expiration du délai de quatre mois vaut décision de rejet du recours formé devant la commission ". 3. Il résulte de ces dispositions, entrées en vigueur le 1er novembre 2019, que, pour les décisions individuelles entrant dans son champ d'application, les décisions prises sur le recours administratif préalable obligatoire se substituent aux décisions initiales et sont seules susceptibles de faire l'objet d'un recours contentieux, selon les modalités énoncées au point 1. Cette substitution ne fait toutefois pas obstacle à ce que soient invoqués à leur encontre des moyens tirés de la méconnaissance de règles de procédure applicables aux décisions initiales qui, ne constituant pas uniquement des vices propres à ces décisions, sont susceptibles d'affecter la régularité des décisions soumises au juge. 4. Le présent avis sera notifié à la cour administrative d'appel de Marseille, à M. A... B... et à la ministre des armées. Il sera publié au Journal officiel de la République française.ECLI:FR:CECHR:2021:451980.20210709
Conseil d'Etat