Cour administrative d'appel de Paris, 1ère chambre, du 9 novembre 2006, 03PA03429, inédit au recueil Lebon
Date de décision | 09 novembre 2006 |
Num | 03PA03429 |
Juridiction | Paris |
Formation | 1ERE CHAMBRE |
President | Mme la Pré SICHLER-GHESTIN |
Rapporteur | Mme Claudine BRIANCON |
Commissaire | M. BACHINI |
Avocats | CARBONNIER |
Vu la requête, enregistrée le 26 août 2003, présentée pour Mme Berthe X, élisant domicile au 69 rue Saint-Fargeau à Paris (75020), par Me Carbonnier ; Mme X demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 9909108 et 9914253/6 en date du 11 mars 2003 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision en date du 20 octobre 1998 par laquelle le secrétaire d'Etat aux anciens combattants a rejeté sa demande d'attribution du statut d'interné politique ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, ladite décision ;
3°) d'enjoindre au secrétaire d'Etat aux anciens combattants de lui délivrer la carte d'interné politique dans un délai de trente jours à compter de la décision à venir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, par application des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2500 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 19 octobre 2006 :
- le rapport de Mme Briançon, rapporteur,
- et les conclusions de M.Bachini, commissaire du gouvernement ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant qu'aux termes de l'article R. 611-1 du code de justice administrative : « (
) La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes (
). Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux » ; qu'il résulte de ces dispositions, destinées à garantir le caractère contradictoire de l'instruction, que la méconnaissance de l'obligation de communiquer le premier mémoire d'un défendeur est en principe de nature à entacher la procédure d'irrégularité ; qu'il n'en va autrement que dans le cas où il ressort des pièces du dossier, que cette méconnaissance n'a pu préjudicier aux droits des parties ;
Considérant qu'il ressort des visas du jugement attaqué qu'un mémoire en défense, a été enregistré le 3 février 2003 par le greffe du tribunal administratif de Paris par télécopie ; que ce document, qui constituait le premier mémoire en défense du ministre comportait des pièces et des éléments susceptibles d'être discutés devant le juge ; que, dès lors, la présentation de ce mémoire au requérant au moment de l'audience en méconnaissance de l'obligation posée par l'article R. 611-1 du code de justice administrative ne saurait être regardée comme n'ayant pu avoir d'influence sur l'issue du litige ; qu'il résulte de ce qui précède que Mme X est fondée à soutenir que le jugement est intervenu à la suite d'une procédure irrégulière et à en demander, pour ce motif, l'annulation ;
Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les conclusions et les moyens présentés par Mme X en première instance et en appel ;
Sur les fins de non-recevoir opposées par le ministre tant en première instance qu'en appel :
Considérant, d'une part, que si l'administration soutient que la décision du 20 octobre 1998 serait purement confirmative de la décision de rejet du 8 juillet 1968, il ressort des pièces du dossier que cette seconde décision a été prise à la suite d'une nouvelle demande formée par l'intéressée le 16 décembre 1997 à la suite de nouvelles démarches qu'elle avait effectuées ; que, dès lors, la fin de non-recevoir doit en tout état de cause être écartée ;
Considérant, d'autre part, qu'il ressort des pièces du dossier que Mme X a obtenu l'aide juridictionnelle totale par décision du bureau d'aide juridictionnelle de Paris en date du 12 juin 2003 dont elle a reçu notification le 2 juillet 2003 ; que, par suite, la requête enregistrée à la cour le 26 août 2003 n'était pas tardive ;
Sur les conclusions aux fins de communication du dossier :
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que les services du secrétaire d'Etat aux anciens combattants ont produit l'ensemble des pièces du dossier de Mme X, notamment une lettre en date du 28 septembre 1998 du directeur des archives départementales de la Charente relative au complément d'enquête diligenté par l'administration ; que, par suite, il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions susvisées de Mme X ;
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
Considérant qu'aux termes de l'article L.288 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre : « Le titre d'interné politique est attribué à : 1°Tout français ou ressortissant français résidant en France ou dans un des pays d'outre-mer, qui a été interné, à partir du 16 juin 1940, par l'ennemi ou par l'autorité de fait se disant gouvernement de l'Etat français pour tout autre motif qu'une infraction de droit commun ne bénéficiant pas de l'ordonnance du 6 juillet 1943, relative à la légitimité des actes accomplis pour la cause de la libération de la France et à la révision des condamnations intervenues pour ces faits ; 2° Tout français ou ressortissant français qui a subi, avant le 16 juin 1940, en France ou dans les pays d'outre-mer, pour tout autre motif qu'une infraction de droit commun, une mesure administrative ou judiciaire privative de liberté et qui a été maintenu interné au-delà de la durée de sa peine par l'ennemi ou par l'autorité de fait se disant gouvernement de l'Etat français, en raison du danger qu'aurait présenté pour l'ennemi la libération de ladite personne, du fait de son activité antérieure. » ; qu'aux termes de l'article L.289 du même code : « La qualité d'interné politique n'est accordée que sur justification d'un internement d'une durée d'au moins trois mois, postérieurement au 16 juin 1940 ou à l'expiration de la peine prononcée avant cette date, aucune condition de durée n'est exigée de ceux qui se sont évadés ou qui ont contracté, pendant leur internement, une maladie ou une infirmité, provenant notamment de tortures, susceptible d'ouvrir droit à pension à la charge de l'Etat. » ;
Considérant que si l'autorité administrative fait valoir qu'elle a effectué sans succès des démarches auprès du conseil général de la Charente en vue de déterminer la date d'internement de Mme X, il ressort toutefois des pièces du dossier, notamment d'une attestation établie le 26 février 1962 par les époux Y, que Mme X alors âgée de 10 ans, a été internée avec sa mère à la prison de la Rochefoucault près d'Angoulême, en tant qu'enfant juive, du 5 mars au 10 juin 1942 date à laquelle M. Y, Français aryen, médaillé de la Résistance à la Libération, l'a délivrée en application des lois alors en vigueur ; que, dès lors, Mme X justifie avoir été internée au moins trois mois et remplit ainsi les conditions d'attribution du titre d'interné politique prévues par les dispositions précitées de l'article L. 289 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme X est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : « Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution » ; qu'aux termes de l'article L. 911-2 du même code : « Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette décision doit intervenir dans un délai déterminé » ; que, dès lors, il appartient au juge administratif, lorsqu'il prononce l'annulation d'une décision et qu'il est saisi de conclusions en ce sens, d'user des pouvoirs qu'il tient de l'article L. 911-2 du code de justice administrative pour fixer le délai dans lequel une nouvelle décision doit être prise ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de prescrire au ministre de délivrer à Mme X la carte d'internée politique qu'elle sollicite dans le délai de deux mois suivant la notification de la présente décision ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette prescription d'une astreinte ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant qu'aux termes du second alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 : « L'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle peut demander au juge de mettre à la charge de, dans les conditions prévues à l'article 75, la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès et non bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, à une somme au titre des frais que le bénéficiaire de l'aide aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide. Il peut, en cas de condamnation, renoncer à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat et poursuivre le recouvrement à son profit de la somme allouée par le juge» et qu'aux termes du 3ème alinéa de l'article 76 de la même loi : « Les bureaux d'aide juridictionnelle se prononcent dans les conditions prévues par les textes en vigueur à la date à laquelle les demandes ont été présentées et les admissions produiront les effets attachés à ces textes (...) » ; que Mme X a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle ; que, par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles 37 et 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que l'avocat de Mme X, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le paiement d'une somme de 2000 euros à Maître Denis Carbonnier ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Paris en date du 11 mars 2003 est annulé.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de Mme X tendant à la communication de pièces.
Article 3 : La décision du secrétaire d'Etat aux anciens combattants du 20 octobre 1998 est annulée
Article 4 : Il est enjoint au ministre de délivrer le titre d'interné politique à Mme X.
Article 5 : L'Etat versera à Maître Denis Carbonnier une somme de 2000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Maître Denis Carbonnier renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
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N°03PA03429