Cour administrative d'appel de Lyon, 1e chambre, du 14 février 1995, 92LY01033 92LY01104, inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision14 février 1995
Num92LY01033 92LY01104
JuridictionLyon
Formation1E CHAMBRE
RapporteurM. FONTBONNE
CommissaireM. GAILLETON

I/ Vu, enregistré au greffe de la cour le 6 octobre 1992 sous le N° 92LY01033, le recours présenté par le secrétaire d'Etat aux anciens combattants et victimes de guerre ;
Le secrétaire d'Etat demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement en date du 9 juin 1992 par lequel le tribunal administratif de Marseille a condamné l'Etat à payer à M. X... une indemnité de 20.000 francs en réparation du préjudice résultant du retard mis à lui attribuer le titre d'interné résistant et une somme de 5.000 francs sur le fondement de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et cours administratives d'appel ;
2°) de rejeter la demande de M. X... devant le tribunal administratif ;
> . II) Vu, enregistrée au greffe de la cour le 26 octobre 1992 sous le N° 92LY01104, la requête présentée pour M. Pascal X... demeurant ... (Bouches-du-Rhône) par Me Y..., avocat au barreau de Marseille ;
M. Pascal X... agissant en qualité d'héritier de son père M. Victor X... décédé, demande à la cour :
1°) de réformer le jugement en date du 9 juin 1992 par lequel le tribunal administratif de Marseille a condamné l'Etat à lui payer une indemnité de 20.000 francs en réparation du préjudice résultant du retard mis à lui attribuer le titre d'interné résistant et une somme de 5.000 francs sur le fondement de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
2°) de condamner l'Etat à lui payer une indemnité de 650.000 francs et une somme de 15.000 francs sur le fondement de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
> . Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
Vu la loi n° 48.1251 du 6 août 1948 ;
Vu le décret n° 53.438 du 16 mai 1953
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 31 janvier 1995 :
- le rapport de M. FONTBONNE, conseiller ;
- et les conclusions de M. GAILLETON, commissaire du gouvernement ;

Considérant que le recours du secrétaire d'Etat aux anciens combattants et la requête de M. Pascal X... présentent à juger les mêmes questions ; qu'il convient de les joindre pour y être statué par un seul arrêt ;
Considérant qu'il résulte des pièces du dossier que M. Victor X... a été arrêté à Sète le 23 novembre 1940 alors qu'il tentait de s'embarquer clandestinement ; que, condamné à un an d'emprisonnement par le tribunal militaire de Montpellier, il a été interné jusqu'au 23 novembre 1941 ; qu'il a présenté une demande d'attribution du titre d'interné résistant qui a fait l'objet d'une décision du ministre des anciens combattants du 13 décembre 1955 lui refusant ce titre mais lui accordant celui d'interné politique ; qu'à la suite d'une nouvelle instruction du dossier, le titre d'interné résistant lui a été attribué par décision du 31 janvier 1977 ; qu'il a saisi le tribunal administratif le 16 septembre 1986 de conclusions tendant à l'annulation de la décision de rejet du 13 décembre 1955, de la décision d'octroi du titre d'interné résistant du 31 janvier 1977 en tant qu'elle n'avait pas effet rétroactif et de la décision du 27 février 1986 refusant de réviser sa pension militaire d'invalidité ; qu'il a également présenté des conclusions tendant à obtenir une indemnité de 600.000 francs en réparation du préjudice résultant du retard apporté à lui conférer le titre d'interné résistant ; que par jugements des 25 juin 1989 et 9 juin 1992, le tribunal administratif a rejeté comme tardives les conclusions dirigées contre les décisions du 13 février 1955 et du 31 janvier 1977 et après avoir reconnu que le retard apporté à la révision de sa situation engageait la responsabilité de l'Etat, a accordé à M. Victor X... une indemnité de 20.000 francs en réparation de son préjudice moral ; que le tribunal administratif a en revanche rejeté sa demande d'indemnité présentée au titre du préjudice matériel en estimant que le retard en cause ne l'avait privé d'aucun avantage pécuniaire ;
Considérant que le secrétaire d'Etat aux anciens combattants fait appel de ces jugements en contestant le principe de la responsabilité de l'Etat ; que M. Pascal X..., fils de M. Victor X... décédé le 6 août 1992 fait également appel de ces jugements en demandant que l'indemnité que l'Etat a été condamné à payer à son père soit portée à 850.000 francs outre intérêts au taux légal ;
Sur le principe de la responsabilité de l'Etat :

Considérant que le réexamen de la situation de M. Victor X... n'a pas pour origine la circonstance qu'il aurait apporté des justifications nouvelles jusqu'alors inconnues de l'administration mais le fait qu'il a fait valoir que des personnes se trouvant dans des situations semblables à la sienne et notamment celles arrêtées en même temps que lui, avaient obtenu le titre d'interné résistant ; que la décision de rejet du 13 décembre 1955 rapportée par la décision du 31 janvier 1977 devenue définitive, était ainsi entachée d'illégalité ; que le retard en cause ayant par suite essentiellement pour origine l'illégalité de la décision ayant initialement statué sur la situation de M. Victor X..., le secrétaire d'Etat aux anciens combattants ne peut utilement faire valoir que toutes diligences ont été faites pour réexaminer le dossier à partir du moment où l'intéressé a invoqué des situations semblables à la sienne ; que le retard ainsi apporté à la délivrance d'un titre auquel M. Victor X... avait droit constitue une faute de service engageant la responsabilité de l'Etat ; que contrairement à ce que soutient le secrétaire d'Etat aux anciens combattants, le tribunal administratif a pu, sans entacher son jugement de contradiction interne, rejeter pour tardiveté les conclusions tendant à l'annulation de la décision du 13 décembre 1955 et reconnaître la responsabilité de l'Etat en se fondant par voie d'exception sur l'illégalité de ladite décision ;
Considérant qu'après avoir obtenu le titre d'interné résistant, M. Victor X... a présenté une demande de révision de sa pension militaire d'invalidité afin que soient retenus pour sa liquidation les droits nouveaux qu'il estimait ouverts par cette nouvelle qualité notamment en ce qui concerne la prise en compte d'affections rhumatismales qu'il alléguait avoir contractées au cours de son incarcération ; que par décision du 13 octobre 1989 le chef du service des pensions des armées de la Rochelle a donné suite à sa demande à compter du 9 avril 1981 et l'a rejetée pour la période antérieure ;

Considérant qu'il ne résulte pas des pièces du dossier et n'est pas allégué que cette dernière décision ait, en tant qu'elle rejette une partie de la demande, été déférée au tribunal départemental des pensions seul compétent pour en apprécier la légalité conformément aux dispositions de l'article L. 79 du code des pensions militaires d'invalidité ; qu'elle est ainsi devenue définitive ; que si contrairement à ce que soutient le secrétaire d'Etat aux anciens combattants, la circonstance que la juridiction administrative de droit commun ne soit pas compétente pour se prononcer sur la légalité d'une décision relative à une pension militaire d'invalidité ne fait pas obstacle à ce qu'elle se prononce sur une demande mettant en cause la responsabilité de la puissance publique en retenant par voie d'exception l'illégalité d'une décision relative à cette catégorie de pension la décision en cause en l'espèce est à objet exclusivement pécuniaire ; que dès lors, elle est devenue définitive avec toutes les conséquences financières qui y sont attachées ; que, par suite, en tant qu'elle tendait à obtenir une indemnité égale aux arrérages auxquels il estimait avoir droit pour la période antérieure au 9 avril 1981, la demande de M. Victor X... ainsi uniquement fondée sur l'illégalité de la décision susmentionnée du 13 octobre 1989 n'était pas recevable ; qu'en conséquence, sans qu'il y ait lieu de rechercher si, comme il le soutient, la situation de son père entrait dans les prévisions de la loi du 6 août 1948 établissant le statut définitif des internés de la résistance et du décret n° 53-438 du 16 mai 1953, M. Pascal X... n'est pas fondé à soutenir que le refus de révision de la pension militaire de son père a constitué une faute de service engageant la responsabilité de l' Etat ;
Sur le préjudice matériel :
Considérant que M. Pascal X... ne peut, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, soutenir que le refus opposé pour la période antérieure à 1981 à la demande de révision de pension présentée par son père, constitute une faute engageant la responsabilité de l'Etat ; que par voie de conséquence il ne peut davantage soutenir que la faute de service résultant du retard apporté à reconnaître sa qualité d'interné résistant a été à l'origine d'un préjudice matériel subi par son père ;
Sur le préjudice moral :
Considérant que comme l'a estimé le tribunal administratif, une incontestable valeur morale s'attachait pour M. Victor X... à la possession du titre d'interné résistant ; qu'en lui attribuant une indemnité de 20 000 francs le tribunal administratif a fait une exacte appréciation du préjudice moral qu'il a subi du fait du retard apporté à lui reconnaître cette qualité ;
Sur les intérêts au taux légal :
Considérant que M. Pascal X... a droit sur l'indemnité dûe aux intérêts au taux légal à compter de la réception par l'administration de la demande préalable en date du 14 avril 1986 présentée par son père ;
Sur les frais irrépétibles de première instance :

Considérant que le tribunal administratif a fait une exacte appréciation des circonstances de l'espèce en condamnant l'Etat à payer à M. Victor X... une somme de 5 000 francs sur le fondement de l'article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le secrétaire d'Etat aux anciens combattants n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que par son jugement du 9 juin 1992, le tribunal administratif de Marseille a condamné l'Etat à payer à M. Victor X... une indemnité de 20 000 francs et une somme de 5 000 francs sur le fondement de l'article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ; que son recours doit être rejeté ; qu'hormis la demande relative aux intérêts au taux légal sur l'indemnité dûe, les conclusions de la requête de M. Pascal X... doivent également être rejetées ;
Sur les frais irrépétibles en appel :
Considérant qu'il y a lieu de condamner l'Etat à payer à M. Pascal X... une somme de 4 000 francs sur le fondement de l'article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Article 1er : Le recours du secrétaire d'Etat aux anciens combattants est rejeté.
Article 2 : La somme de 20 000 francs que le tribunal administratif a condamné l'Etat à payer à M. Victor X... portera intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l'administration de la demande préalable en date du 14 avril 1986.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. Pascal X... est rejeté.
Article 4 : L'Etat est condamné à payer à M. Pascal X... une somme de 4 000 francs sur le fondement de l'article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.