Cour administrative d'appel de Nantes, 2e chambre, du 29 mai 1996, 94NT00024, inédit au recueil Lebon
Vu le recours du ministre de la défense enregistré au greffe de la Cour le 10 janvier 1994 ;
Le ministre demande à la Cour d'annuler le jugement n 902591 en date du 3 novembre 1993 par lequel le Tribunal administratif de Rennes :
1 ) a condamné l'Etat à verser à M. X... la somme, outre intérêts et capitalisation des intérêts, de 155 930 F en réparation de son préjudice, ainsi que les sommes de 200 F au titre des frais exposés et de 5 000 F au titre de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
2 ) a condamné l'Etat à verser à la caisse primaire d'assurance maladie (C.P.A.M.) d'Ille-et-Vilaine la somme de 27 402,15 F ;
3 ) a mis les frais d'expertise à la charge de l'Etat ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des pensions militaires d'invalidité ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience,
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 7 mai 1996 :
- le rapport de M. MARGUERON, conseiller,
- et les conclusions de M. CADENAT, commissaire du gouvernement,
Considérant que le ministre de la défense fait appel du jugement en date du 3 novembre 1993 par lequel le Tribunal administratif de Rennes a condamné l'Etat, d'une part, à verser à M. X..., outre intérêts et capitalisation de ces intérêts, la somme globale de 155 930 F en réparation des préjudices résultant pour celui-ci de l'accident opératoire dont il a été victime lors d'une intervention chirurgicale subie le 22 mai 1989 au centre hospitalier des armées "Ambroise Y..." à Rennes, où il était employé en qualité d'agent de maîtrise spécialisé et, d'autre part, à verser à la caisse primaire d'assurance maladie d'Ille-et-Vilaine la somme de 27 402,15 F ; que par la voie de l'appel incident, M. X... demande que la condamnation mise à la charge de l'Etat soit portée à la somme globale de 457 419,40 F ; que la caisse primaire d'assurance maladie d'Ille-et-Vilaine a demandé que les intérêts de droit lui soient accordés sur la somme de 27 402,15 F et que ces intérêts soient eux-mêmes capitalisés ;
Sur le désistement de la caisse primaire d'assurance maladie d'Ille-et-Vilaine :
Considérant que par acte enregistré le 13 mai 1994 la caisse primaire d'assurance maladie d'Ille-et-Vilaine a déclaré se désister de ses conclusions précitées, ainsi que de la demande qu'elle avait également présentée tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme au titre de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ; que ce désistement est pur et simple ; que rien ne s'oppose à ce qu'il en soit donné acte ;
Sur le recours du ministre de la défense et les conclusions d'appel incident de M. X... :
Sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par M. X... ;
En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué :
Considérant que le ministre de la défense soutient que le Tribunal administratif de Rennes aurait omis de répondre à son moyen tiré de ce que le caractère forfaitaire de la réparation à laquelle M. X... pouvait prétendre, en sa qualité de fonctionnaire, faisait obstacle à sa demande de condamnation de l'Etat fondée sur les règles de droit commun de la responsabilité ; que, toutefois, il ressort des motifs du jugement avant dire droit rendu le 17 février 1993 par le tribunal administratif dans le litige que les premiers juges ont expressément écarté l'opposabilité des règles forfaitaires de réparation à la demande de M. X..., en raison de l'absence de lien avec le service de l'intervention chirurgicale en cause ; que le ministre n'est, dès lors, pas fondé à soutenir que le jugement attaqué serait lui-même entaché d'irrégularité ;
En ce qui concerne le régime de réparation applicable :
Considérant que l'intervention subie par M. X... au centre hospitalier des armées "Ambroise Y..." était destinée à mettre fin à une sinusite chronique ethmoïdale bilatérale dont il souffrait ; qu'il n'est ni établi, ni même allégué que cette affection aurait été en relation avec le service ; que la circonstance que l'opération s'est déroulée dans l'établissement où l'intéressé exerçait ses fonctions n'est pas, en elle-même, de nature à établir un lien entre les conséquences dommageables de l'accident survenu au cours de son exécution et le service ; qu'il suit de là que le ministre de la défense n'est pas fondé, en tout état de cause, à se prévaloir des dispositions instituant un régime forfaitaire de réparation des accidents de service dont sont victimes les fonctionnaires et à soutenir, en conséquence, que M. X... ne pouvait rechercher la condamnation de l'Etat à l'indemniser des conséquences de l'accident opératoire selon les règles du droit commun de la responsabilité ;
En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat :
Considérant qu'il résulte de l'instruction, notamment des deux expertises ordonnées successivement par le juge des référés du Tribunal administratif de Rennes et par le tribunal administratif dans son jugement du 17 février 1993 que, lors de l'opération pratiquée le 22 mai 1989, la paroi interne de l'orbite de l'oeil droit de M. X... a été fracturée, provoquant l'incarcération du muscle droit interne dans la paroi orbitale et l'apparition chez le patient d'une diplopie à laquelle il n'a pas été possible de porter remède ; qu'une telle effraction orbitaire est loin d'être exceptionnelle en cas de chirurgie ethmoïdale endonasale, la région de l'ethmoïde n'étant séparée de l'orbite que par une cloison osseuse très mince et, au surplus, est très difficile à déceler à temps, avant que ne surviennent des lésions, même par des praticiens expérimentés ; qu'il n'est pas établi que l'existence du risque ainsi inhérent à cette chirurgie ait été indiqué avant l'intervention de M. X... ; que ce dernier est fondé, par suite, à soutenir que ce défaut d'information a constitué une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat à son égard ;
En ce qui concerne la réparation des préjudices :
Considérant que, malgré deux nouvelles interventions pratiquées en juin et décembre 1989, M. X... demeure atteint d'une diplopie permanente incurable, l'obligeant au port d'un cache devant l'oeil droit ; que le premier des deux experts désignés dans le litige a évalué son incapacité permanente partielle au taux de 20 %, les souffrances physiques étant qualifiées de moyennes et le préjudice esthétique de modéré ; que le tribunal administratif a fait une juste appréciation des circonstances de la cause en allouant à l'intéressé les sommes, au demeurant non discutées par le ministre de la défense, de 110 000 F, 20 000 F et de 25 000 F au titre, respectivement, des troubles de toute nature dans ses conditions d'existence, de ses souffrances physiques et de son préjudice esthétique ; que, par ailleurs, M. X... n'apporte devant la Cour aucun élément de nature à permettre de regarder comme insuffisante la somme de 980 F qui lui a été allouée au titre des frais médicaux restés à sa charge ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le ministre de la défense et M. X... ne sont pas fondés à remettre en cause le jugement attaqué ;
Sur la capitalisation des intérêts :
Considérant que la capitalisation des intérêts dont a été assortie la somme de 155 930 F que le jugement attaqué a condamné l'Etat à verser à M. X... a été demandée le 7 mars 1995 ; qu'à cette date, il était dû au moins une année d'intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil et sous réserve du paiement du principal qui serait intervenu, il y a lieu de faire droit à cette demande ;
Sur les conclusions tendant à l'allocation des sommes non comprises dans les dépens :
Considérant qu'aux termes de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel : "Dans toutes les instances devant les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation" ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions précitées, de condamner l'Etat à payer à M. X... une somme de 4 000 F ;
Article 1er : Il est donné acte du désistement des conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie d'Ille-et-Vilaine.
Article 2 : Le recours du ministre de la défense est rejeté.
Article 3 : Sous réserve du paiement du principal qui serait intervenu, les intérêts échus le 7 mars 1995 de la somme de cent cinquante cinq mille neuf cent trente francs (155 930 F) que l'Etat a été condamné à verser à M. X... par le jugement attaqué seront capitalisés à cette date pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 4 : L'Etat versera à M. X... une somme de quatre mille francs (4 000 F) au titre de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.
Article 5 : Le surplus des conclusions de l'appel incident de M. X... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de la défense, à M. X... et à la caisse primaire d'assurance maladie d'Ille-et-Vilaine.