Conseil d'Etat, 3 SS, du 27 novembre 1995, 133869, inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision27 novembre 1995
Num133869
Juridiction
Formation3 SS
RapporteurM. Courson
CommissaireM. Toutée

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 11 février et 9 juin 1992 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Atanasio X... demeurant ... ; M. X... demande que le Conseil d'Etat :
1°) annule le jugement en date du 23 octobre 1991 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite de rejet résultant du silence gardé pendant plus de quatre mois par le secrétaire d'Etat aux anciens combattants et victimes de guerre sur la demande qu'il lui a adressée tendant à l'attribution du titre d'interné politique ;
2°) annule pour excès de pouvoir cette décision ;
3°) condamne le secrétaire d'Etat aux anciens combattants et victimes de guerre à lui verser la somme de 10 000 F sur le fondement de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des pensions militaires et des victimes de la guerre ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi du n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Courson, Auditeur,
- les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de M. Atanasio X...,
- les conclusions de M. Toutée, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que M. X... a demandé au tribunal administratif l'annulation de la décision implicite de rejet résultant du silence gardé pendant plus de quatre mois par le secrétaire d'Etat aux anciens combattants et victimes de guerre sur sa demande, en date du 4 février 1989, tendant à un nouvel examen de ses droits au titre d'interné politique ; que si cette demande avait le même objet qu'une précédente demande, rejetée par une décision en date du 29 août 1963 devenue définitive, cette nouvelle demande faisait suite à la communication à l'intéressé par le ministère des anciens combattants de la copie de sa carte de rapatriement du camp de Guernesey laquelle, eu égard aux mentions qu'elle comporte, a constitué non un simple moyen de preuve supplémentaire, mais une circonstance nouvelle susceptible d'avoir une influence sur les droits de l'intéressé au titre d'interné politique ; que, dans ces conditions, la décision implicite de rejet du secrétaire d'Etat aux anciens combattants et victimes de guerre sur la nouvelle demande de M. X... ne peut être regardée comme purement confirmative de la décision du 29 août 1963 ; que, dès lors, M. X... qui s'est pourvu dans le délai du recours contentieux contre le rejet implicite de sa demande du 4 février 1989 est fondé à demander l'annulation du jugement attaqué par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande comme tardive ;
Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. X... devant le tribunal administratif de Paris ;
Considérant qu'en vertu des dispositions combinées des articles L.288 et L.289 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, la qualité d'interné politique n'est accordée que sur justification d'un internement d'une durée d'au moins trois mois, postérieurement au 16 juin 1940, pour tout autre motif qu'une infraction de droit commun ne bénéficiant pas de l'ordonnance du 6 juillet 1943 ;
Considérant que le séjour forcé de M. X..., alors de nationalité espagnole, dans un camp de travail de l'île de Guernesey à partir du mois de septembre 1941 et jusqu'à la fin des hostilités, qui comportait, outre des conditions matérielles de vie particulièrement pénibles, la privation de liberté individuelle doit être regardée comme ayant constitué un internement au sens des dispositions ci-dessus rappelées ; que, dès lors, M. X... est fondé à demander l'annulation de la décision attaquée par laquelle le titre d'interné politique lui a été refusé ;
Sur les conclusions de M. X... tendant à l'application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article 75-I de la loi susvisée du 10 juillet 1991 et de condamner l'Etat à payer à M. X... la somme qu'il demande au titre des sommes exposées par lui et non comprises dans les dépens ;
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Paris, en date du 23 octobre 1991 et la décision implicite de rejet résultant du silence gardé pendant plus de quatre mois par le secrétaire d'Etat aux anciens combattants et victimes de guerre sur la demande de M. X... en date du 4 février 1989, tendant à l'attribution du titre d'interné politique, sont annulés.
Article 2 : L'Etat versera à M. X... la somme de 10 000 F au titre de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. Atanasio X... et au ministre délégué aux anciens combattants et victimes de guerre.