CAA de BORDEAUX, 2ème chambre, 03/11/2020, 19BX03895, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision03 novembre 2020
Num19BX03895
JuridictionBordeaux
Formation2ème chambre
PresidentMme GIRAULT
RapporteurMme anne MEYER
CommissaireMme BEUVE-DUPUY
AvocatsAGBE

Vu la procédure suivante :

Par un arrêt avant-dire droit du 18 janvier 2019, la cour régionale des pensions militaires de Toulouse a réformé le jugement n° 1700021 du 19 septembre 2017 par lequel
le tribunal des pensions militaires de la Haute-Garonne a rejeté la demande de M. E... F... tendant à l'annulation de la décision du ministre de la défense du 19 janvier 2017 rejetant sa demande de révision de sa pension d'invalidité pour l'infirmité n° 2 constituée
par des lombalgies, et ordonné une expertise sur l'imputabilité au service de cette infirmité.

L'expert a déposé son rapport le 14 octobre 2019.

Par un mémoire enregistré le 14 novembre 2019, M. F..., représenté par Me A..., demande à la cour administrative d'appel :

1°) de retenir un lien de causalité entre les accidents survenus en service et l'infirmité n° 2 au taux de 10 % ;
2°) de confirmer ses droits à pension tels que contenus dans le constat provisoire adressé par lettre de la sous-direction des pensions du 23 septembre 2016 ;
3°) de prononcer la revalorisation de ses droits à pension à compter du 1er août 2014, date d'enregistrement de sa demande ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat les dépens, ainsi que le versement au profit de son conseil d'une somme de 2 000 euros au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Il soutient que :
- l'expert a retenu un lien direct entre le service et la " lombo-radiculalgie gauche sur discopathie L5-S1, radiculite non déficitaire " avec un taux d'incapacité permanente de 10 % ;
- il a droit à la reconnaissance de son invalidité pour cette infirmité à compter du 1er août 2014, date d'enregistrement de sa demande.

Par des mémoires en défense enregistrés les 15 novembre et 3 décembre 2019,
la ministre des armées conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que :
- l'accident de 1977 n'a pas laissé de séquelles et celui du
16 août 1983 a causé un traumatisme du coccyx, et non des lombaires ;
- la première évocation de lombalgies a été inscrite le 1er août 1984, sans mention de leur origine ;
- après 1983, M. F... a conservé son aptitude aux troupes aéroportées sans restriction ou limitation et continué à effectuer des sauts en parachute sans aucune doléance ;
- ainsi, contrairement à ce qu'a retenu l'expert, la pathologie lombaire n'est pas en lien avec le service.

M. F... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision
du 27 novembre 2017.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 ;
- le décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 ;
- le code de justice administrative.


Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D...,
- et les conclusions de Mme Beuve Dupuy, rapporteur public.


Considérant ce qui suit :

1. M. F..., titulaire à titre définitif d'une pension militaire d'invalidité au taux de 10 % pour une première infirmité correspondant aux séquelles d'un traumatisme de l'épaule gauche, a sollicité en 2014 la révision de cette pension pour aggravation, ainsi que la prise en compte d'une seconde infirmité constituée par des douleurs lombaires. Par une décision
du 19 janvier 2017, le ministre de la défense a rejeté cette demande. Le tribunal des pensions militaires de la Haute-Garonne, saisi par M. F... d'une demande d'annulation de cette décision en tant qu'elle refusait la prise en compte de la seconde infirmité, a rejeté son recours au motif que l'infirmité en cause n'avait pas pour origine les accidents de service subis en 1977 et 1983. Par un arrêt avant-dire droit du 18 janvier 2019, la cour régionale des pensions militaires de Toulouse, estimant que l'hypothèse d'une imputabilité au service apparaissait suffisamment plausible, a ordonné une expertise, dont le rapport a été déposé le 14 octobre 2019.
2. La loi du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense et le décret du 28 décembre 2018 portant transfert de compétence entre juridictions de l'ordre administratif, pris pour l'application de l'article 51 de cette loi et portant diverses dispositions intéressant la défense, ont eu pour effet de transférer aux juridictions administratives de droit commun le contentieux des pensions militaires d'invalidité. Par suite, la cour administrative d'appel de Bordeaux est compétente pour statuer sur l'appel transmis en l'état par la cour régionale des pensions militaires de Toulouse.
3. Aux termes de l'article L. 121-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre : " Ouvrent droit à pension : (...) 2° Les infirmités résultant de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service ; (...) ". Aux termes de l'article L. 121-2 du même code : " Est présumée imputable au service : / 1° Toute blessure constatée par suite
d'un accident, quelle qu'en soit la cause, dans le temps et le lieu du service, dans l'exercice
ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, en l'absence de faute personnelle ou de toute autre circonstance particulière détachant l'accident du service ; / (...). " Selon le second alinéa
de l'article L. 121-2-3 : " Dans tous les cas, la filiation médicale doit être établie entre
la blessure ou la maladie ayant fait l'objet de la constatation et l'infirmité invoquée. " Selon l'article L. 121-5 : " La pension est concédée : / 1° Au titre des infirmités résultant de blessures, si le taux d'invalidité qu'elles entraînent atteint ou dépasse 10 % ; (...) ".
4. Il résulte de l'instruction, et notamment de l'expertise, que M. F..., qui a servi dans l'armée de 1974 à 1989 en qualité de parachutiste et de mécanicien auto et ne présentait aucun antécédent lors de sa visite d'incorporation en 1974, a subi plusieurs traumatismes de la région lombo-sacrée, en particulier lors de sauts en parachute le 24 août 1977 et le 16 août 1983. Le premier accident, survenu après une chute en sport ayant provoqué des douleurs rachidiennes, a augmenté ces douleurs. Une radiographie réalisée à l'hôpital militaire Larrey de Toulouse a alors mis en évidence un léger pincement postérieur du disque L5-S1. Le second accident, également répertorié au registre des constatations, a provoqué un traumatisme du coccyx faisant l'objet d'un rapport circonstancié. Si la ministre des armées fait valoir que le dossier ne mentionne plus de lombalgies après la visite médicale du 1er juin 1984, que M. F... a conservé son aptitude aux troupes aéroportées sans restriction ou limitation, et qu'il a continué à effectuer des sauts en parachute sans aucune doléance, ces circonstances ne sont pas de nature à contredire l'avis de l'expert selon lequel, dans ce contexte d'activités physiques contraignantes, la discopathie, qui est en lien avec les accidents de 1977 et 1983, a évolué par elle-même avec apparition d'autres discopathies et d'arthrose postérieure, conduisant au tableau actuel de " lombo-radiculalgie gauche sur discopathie L5-S1, radiculite non déficitaire ". La pathologie en litige se caractérisant notamment par des douleurs au niveau du coccyx en cas de station assise sur un siège dur et une douleur à la palpation de l'extrémité du coccyx, son lien avec l'accident de 1983 n'apparaît pas sérieusement contestable. Le taux d'incapacité permanente de 10 % retenu par l'expert en lien avec le service n'est pas contesté. Par suite, M. F... est fondé à se prévaloir d'un droit à pension à raison de cette infirmité et, dès lors, à demander dans cette mesure l'annulation de la décision du ministre de la défense du 19 janvier 2017 et celle du jugement du tribunal des pensions militaires de la Haute-Garonne du 19 septembre 2017.
5. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. " Il résulte de ce qui a été dit au point précédent que la ministre des armées est tenue de faire droit à la demande de M. F... tendant à la prise en compte de l'infirmité " lombo-radiculalgie gauche sur discopathie L5-S1, radiculite non déficitaire " avec un taux d'invalidité de 10 % à compter du 1er août 2014, date d'enregistrement de sa demande. Par suite, il y a lieu de lui enjoindre de procéder à la liquidation des droits à pension correspondants dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
6. Les frais d'expertise taxés et liquidés par une ordonnance du 20 janvier 2020 de la présidente de la cour administrative d'appel à la somme de 800 euros, doivent être mis à la charge définitive de l'Etat.
7. M. F... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son conseil peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros, à verser à Me A... sous réserve de son renoncement à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.

DÉCIDE :


Article 1er : La décision du ministre de la défense du 19 janvier 2017 est annulée en tant qu'elle refuse la pension demandée au titre de l'infirmité n°2, et le jugement du tribunal des pensions militaires de la Haute-Garonne n° 1700021 du 19 septembre 2017 est annulé.
Article 2 : Il est enjoint à la ministre des armées de procéder à la liquidation des droits à pension de M. F... en tenant compte de l'infirmité " lombo-radiculalgie gauche sur discopathie L5-S1, radiculite non déficitaire " au taux d'invalidité de 10 % à compter du 1er août 2014, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : Les frais d'expertise, taxés et liquidés par une ordonnance du 20 janvier 2020 de la présidente de la cour administrative d'appel à la somme de 800 euros, sont mis à la charge de l'Etat.
Article 4 : L'Etat versera à Me A... une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de son renoncement à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... F... et à la ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 29 septembre 2020 à laquelle siégeaient :
Mme I... H..., président,
Mme B... D..., présidente-assesseure,
Mme C... G..., conseillère.
Lu en audience publique, le 3 novembre 2020.

La rapporteure,
Anne D...
La présidente,
Catherine H...La greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne à la ministre des armées en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

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N° 19BX03895