CAA de NANCY, 3ème chambre, 17/11/2020, 18NC03352, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme F... B..., née E..., et M. D... B... ont demandé au tribunal administratif de Besançon, d'une part, de condamner la commune de Dole à leur verser la somme totale de 1 023 920,02 euros, augmentée d'une indemnisation pour dépréciation monétaire et de la capitalisation des intérêts échus à compter du 11 août 2016, en réparation de divers préjudices en lien avec l'accident de service du 12 septembre 1995, dont a été victime Mme B..., d'autre part, de procéder à la revalorisation annuelle de la rente sollicitée en application des dispositions de l'article L. 161-25 du code de la sécurité sociale.
Par un jugement n° 1701384 du 17 mai 2018, le tribunal administratif de Besançon a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 13 décembre 2018, et trois mémoires complémentaires, enregistrés respectivement les 17 septembre 2019, 5 février et 13 février 2020, Mme F... B..., née E..., et M. D... B..., représentés par Me H..., demandent à la cour, dans le dernier état de leurs écritures :
1°) d'annuler le jugement n° 1701384 du tribunal administratif de Besançon du 17 mai 2018 ;
2°) de condamner respectivement la commune de Dole à leur verser la somme de 280 039,22 euros, à verser à Mme B... la somme de 1 204 761,93 euros et à verser à M. B... la somme de 135 668,25 euros ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- l'exception de prescription quadriennale, qui n'a pas été soulevée en première instance, ne peut plus leur être opposée en appel ;
- les premiers juges ont omis de statuer sur les prétentions indemnitaires de M. B... ;
- les premiers juges ont méconnu le principe du contradictoire en fondant leur décision sur un jugement antérieur du tribunal administratif de Besançon, qui n'a pas été porté à la connaissance des parties, ni soumis au débat contentieux ;
- les écritures en défense ne sont pas recevables, dès lors que le maire de Dole ne justifie pas de sa qualité pour agir en justice au nom de la commune ;
- Mme B... a été victime d'un accident de service le 12 septembre 1995, qui résulte d'un dysfonctionnement fautif dans l'organisation du service imputable à la commune de Dole ;
- le comportement de la collectivité, postérieurement à la reconnaissance de l'imputabilité au service de son accident, est constitutif de diverses fautes qui engagent sa responsabilité ;
- Mme B... est fondée à réclamer la somme de 72 830,84 euros, majorée de 3 351,39 euros pour tenir compte de l'érosion monétaire, au titre de son préjudice professionnel, la somme de 45 729,80 euros, majorée de 5 387,39 euros pour tenir compte de l'érosion monétaire, au titre des frais de déplacement, d'aide à domicile, de soins et de droits d'inscription au Centre national d'enseignement à distance restés à sa charge, la somme de 277 665,85 euros au titre de ses frais futurs en matière d'aide à domicile, de soins et d'adaptation de son logement, la somme de 54 970 euros au titre des indemnités de fonctions arbitrales au sein de la Fédération française de cyclisme, dont elle a été privée, la somme de 378 435 euros au titre de son déficit fonctionnel permanent, la somme de 70 000 euros au titre des souffrances physiques et morales endurées, enfin, la somme de 120 000 euros au titre des troubles dans les conditions d'existence ;
- M. B... est fondé à réclamer les sommes respectives de 8 264,32 euros, majorée de 1 264,62 euros pour tenir compte de l'érosion monétaire, au titre de ses frais de déplacements et du temps consacré à son épouse malade, de 90 000 euros au titre de son préjudice moral et de 20 000 euros au titre de son préjudice sexuel.
Par un mémoire en défense, enregistré le 8 juillet 2019, et des mémoires complémentaires, enregistrés le 20 décembre 2019 et le 18 juin 2020, la commune de Dole, représentée par Me G..., conclut, dans le dernier état de ses écritures, au rejet de la requête ou, subsidiairement, à ce qu'il soit ordonné avant dire droit une expertise médicale.
Elle soutient que
- les prétentions indemnitaires des requérants ne sont pas fondées ;
- subsidiairement, ces prétentions indemnitaires doivent être ramenées à de plus justes proportions ;
- alors que la dernière expertise de Mme B... remonte au 24 septembre 1999 et que son état de santé s'est aggravé en 2011, une expertise médicale permettrait d'établir le lien entre les préjudices allégués par les requérants et l'accident de service du 12 septembre 1995.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- le code de la sécurité sociale ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le décret n° 65-773 du 9 septembre 1965 ;
- le décret n° 2003-1306 du 26 décembre 2003 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. C...,
- et les conclusions de Mme Seibt, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme F... B... était adjointe administrative au secrétariat général de la commune de Dole. Elle a été victime, le 12 septembre 1995, alors qu'elle effectuait des travaux de manutention, d'un accident reconnu imputable au service lui occasionnant un traumatisme abdominal. Ayant subi une intervention chirurgicale, le 26 mars 1996, l'intéressée a été placée en congé de maladie ordinaire à plein traitement, du 26 mars au 25 juin 1996, puis, à demi-traitement, du 26 juin 1996 au 19 mars 1997. A la suite de l'avis défavorable de la commission de réforme du 20 septembre 1996, le maire de Dole, par une décision du 21 octobre 1996, a refusé de prendre en charge les dépenses médicales et pharmaceutiques supportées par Mme B... depuis le 26 mars 1996. Par un jugement du 30 avril 1998, le tribunal administratif de Besançon a annulé cette décision au motif que les dépenses en cause présentaient un lien direct avec l'accident de service du 12 septembre 1995 et a condamné l'employeur public à verser à l'agent une somme de 20 000 francs au titre de son préjudice moral et de ses troubles dans les conditions d'existence. Par courriers des 28 octobre 2014 et 8 août 2016, M. et Mme B... ont adressé à la commune de Dole des demandes d'indemnisation complémentaires de divers préjudices qu'ils estiment également en lien direct avec l'accident de service du 12 septembre 1995. Ces demandes préalables ayant été rejetées le 13 janvier 2017, les requérants ont saisi le tribunal administratif de Besançon d'une demande tendant, d'une part, à la condamnation de la collectivité à leur verser la somme totale de 1 023 920,02 euros, augmentée d'une indemnisation pour dépréciation monétaire et de la capitalisation des intérêts échus à compter du 11 août 2016, d'autre part, à la revalorisation annuelle de la rente sollicitée en application des dispositions de l'article L. 161-25 du code de la sécurité sociale. Ils relèvent appel du jugement n° 1701384 du 17 mai 2018, qui rejette leur demande.
Sur la recevabilité des écritures en défense de la commune de Dole :
2. Il résulte de l'instruction que, par une délibération du 25 mai 2020, produite avant la clôture de l'instruction, le conseil municipal de Dole, en application des dispositions de l'article L. 2122-22 du code général des collectivités territoriales, a donné tous pouvoirs à son maire, pendant la durée de son mandat, " pour intenter au nom de la commune les actions en justice pour obtenir réparation d'un préjudice subi directement ou indirectement par elle, pour défendre la commune dans les actions intentées contre elle, cette capacité étant applicable à l'ensemble du contentieux communal et toutes les étapes et pour tous les types de procédures civiles, administratives et pénales (...) ". Par suite, le moyen tiré de l'irrecevabilité des écritures en défense de la collectivité doit être écarté.
Sur la régularité du jugement :
3. D'une part, aux termes de l'article L. 2 du code de justice administrative : " Les jugements sont rendus au nom du peuple français. ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 10 du même code, dans sa rédaction alors applicable : " Les jugements sont publics. (...) ". Contrairement aux allégations des requérants, les premiers juges n'ont pas méconnu le principe du caractère contradictoire de la procédure juridictionnelle en fondant leur décision sur un jugement antérieur du tribunal administratif de Besançon, lequel jugement, rendu au nom du peuple français et public, n'avait pas à être porté à la connaissance des parties, ni soumis au débat contentieux. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du principe du contradictoire ne peut qu'être écarté.
4. D'autre part, il résulte de l'instruction que les premiers juges ont omis de statuer sur les conclusions indemnitaires présentées par M. B.... Par suite, le jugement du tribunal administratif de Besançon doit être annulé comme irrégulier dans cette mesure. Il y a donc lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. B... devant les premiers juges.
5. Il est constant que M. B... sollicite, tant en première instance qu'en appel, l'indemnisation de son préjudice moral, de son préjudice sexuel et du préjudice résultant de ses frais de déplacement et du temps consacré à son épouse malade. Toutefois, l'intéressé n'établit pas la réalité de ces différents chefs de préjudices, ni, à plus forte raison, leur lien direct avec l'accident de service du 12 septembre 2015, dont a été victime Mme B.... Par suite, les conclusions à fin d'indemnisation présentées par M. B... en première instance et en appel ne peuvent qu'être rejetées.
Sur le bien-fondé du jugement :
6. Les articles L. 27 et L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite et, pour les fonctionnaires affiliés à la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales, le II de l'article 119 de la loi du 26 janvier 1984 et les articles 30 et 31 du décret du 9 septembre 1965, remplacés, à compter du 1er janvier 2004, par les articles 36 et 37 du décret du 26 décembre 2003, instituent, en faveur des fonctionnaires victimes d'accidents de service ou de maladies professionnelles, une rente viagère d'invalidité en cas de mise à la retraite et une allocation temporaire d'invalidité en cas de maintien en activité. Les dispositions instituant ces prestations doivent être regardées comme ayant pour objet de réparer les pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par un accident de service ou une maladie professionnelle. Ces dispositions déterminent forfaitairement la réparation à laquelle les fonctionnaires concernés peuvent prétendre, au titre de ces chefs de préjudice, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions. Elles ne font en revanche obstacle, ni à ce que le fonctionnaire qui subit, du fait de l'invalidité ou de la maladie, des préjudices patrimoniaux d'une autre nature ou des préjudices personnels, obtienne de la personne publique qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, ni à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre la collectivité, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager sa responsabilité. Toutefois, la circonstance que le fonctionnaire victime d'un accident de service ou d'une maladie professionnelle ne remplit pas les conditions auxquelles les dispositions mentionnées ci-dessus subordonnent l'obtention d'une rente ou d'une allocation temporaire d'invalidité fait obstacle à ce qu'il prétende, au titre de l'obligation de la collectivité qui l'emploie de le garantir contre les risques courus dans l'exercice de ses fonctions, à une indemnité réparant des pertes de revenus ou une incidence professionnelle. En revanche, elle ne saurait le priver de la possibilité d'obtenir de cette collectivité la réparation de préjudices d'une autre nature, dès lors qu'ils sont directement liés à l'accident ou à la maladie.
7. Il n'est pas contesté que Mme B... a été victime, le 12 septembre 1995, alors qu'elle effectuait des travaux de manutention, d'un accident de service lui occasionnant un traumatisme abdominal. Contrairement aux allégations des requérants, il ne résulte pas de l'instruction que cet accident serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de la commune de Dole. Si Mme B... fait valoir qu'elle avait déjà rencontré des difficultés pelviennes, sphinctériennes et abdominales ayant nécessité des interventions chirurgicales, il n'est pas établi que la commune avait connaissance de tels antécédents médicaux. De même, la circonstance que, postérieurement à l'accident du 12 septembre 1995, la collectivité ait été destinataire, le 19 octobre 1995, d'un avis de la médecine du travail concluant à une aptitude de la requérante à son poste dans un emploi de bureau, mais également à une inaptitude temporaire de l'intéressée au port de charges, eu égard à sa pathologie récente et à ses antécédents médicaux, ne permet pas de démontrer l'existence d'un comportement fautif de la part de l'employeur. Enfin, les requérants ne sauraient utilement se prévaloir des illégalités commises par la commune de Dole postérieurement à la reconnaissance, le 19 octobre 1995, de l'imputabilité au service de l'accident, ni d'un rapport de la chambre régionale des comptes de Franche-Comté critiquant les insuffisances de la commune en matière de gestion des ressources humaines entre 1993 et 2001. A défaut pour l'intéressée de démontrer que l'accident de service du 12 septembre 1995 serait la conséquence d'une faute imputable à la collectivité, Mme B... ne peut prétendre à être indemnisée d'un préjudice professionnel lié aux pertes de revenus, lequel est couvert par l'allocation temporaire d'invalidité ou par la rente viagère d'invalidité à laquelle elle a droit depuis son admission à la retraite au 1er juin 2001.
8. Par ailleurs, si l'intéressée se prévaut de divers préjudices patrimoniaux ou personnels, dont elle sollicite la réparation au titre de la responsabilité sans faute de la commune, elle ne démontre pas en quoi ces préjudices présenteraient un lien direct avec l'accident de service du 12 septembre 1995, alors qu'il est constant que les problèmes pelviens, sphinctériens et abdominaux de l'intéressée sont antérieurs à son accident et que son état de santé s'est aggravé en 2011. Par suite, sans qu'il soit besoin d'ordonner avant dire droit une expertise médicale, les conclusions à fin d'indemnisation de Mme B... doivent être rejetées.
Sur les frais de justice :
9. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Dole la somme demandée par M. et Mme B... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1701384 du tribunal administratif de Besançon du 17 mai 2018 est annulé en tant qu'il a omis de statuer sur les conclusions à fin d'indemnisation de M. B....
Article 2 : Les conclusions à fin d'indemnisation présentées en première instance par M. B... sont rejetées.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. et de Mme B... est rejeté.
Article 4 : Les conclusions de la commune de Dole tendant à ce qu'il soit ordonné avant dire droit une expertise médicale sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F... B... née E..., à M. D... B... et à la commune de Dole.
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