CAA de NANTES, 6ème chambre, 20/07/2021, 19NT03931, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... B..., titulaire d'une pension militaire d'invalidité définitive concédée par arrêté du 9 mai 2006, a demandé au tribunal des pensions militaires d'invalidité de Caen la révision pour aggravation des infirmités pensionnées.
Par un jugement n° 17/00004 du 27 décembre 2018, le tribunal des pensions militaires d'invalidité de Caen a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 22 février 2019 et le 5 août 2019 au greffe de la cour régionale des pensions de Caen et des mémoires complémentaires enregistrés les 14 février et 29 mars 2021, sous le n° 19NT03931 devant la présente cour, M. B..., représenté par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal des pensions militaires d'invalidité de Caen du 27 décembre 2018 ;
2°) de lui accorder le bénéfice de la révision pour aggravation des infirmités pensionnées et de retenir un taux d'invalidité de 100 % pour l'infirmité n°1, séquelles de scoliose à double courbure, un taux de 40 % pour l'infirmité n°2, état bronchopatique chroniqué lié à la première infirmité, et la nécessite d'une majoration de pension pour tierce personne ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser une pension d'invalidité calculée sur la base des nouveaux taux et la majoration pour tierce personne, ainsi que les arrérages revalorisés échus avec intérêts au taux légal à compter du jour de sa demande, soit le 13 avril 2015 ;
4°) à titre subsidiaire, ordonner avant-dire droit une mesure d'expertise médicale ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son avocat, de la somme de 2 500 euros en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il soutient que :
Sur la 1ère infirmité : séquelles de scoliose à double courbure :
- l'infirmité de coxarthrose a été rejetée en tant qu'infirmité isolée mais le tribunal ne s'est pas prononcé sur la possibilité d'une infirmité - conséquence de l'infirmité n°1 ;
- il ne s'agit pas d'une infirmité indépendante constitutive d'une 3ème infirmité, mais de l'un des effets de l'infirmité n°1 ;
- sa demande tend à la révision pour aggravation de l'infirmité n°1 ;
- cette aggravation est corroborée par le Dr Le Doze qui a constaté en 2019 un périmètre de marche d'environ 25 mètres et par le Dr Derrien le 2 janvier 2021.
Sur la 2ème infirmité : état bronchopatique chroniqué lié à la première infirmité, la scoliose :
- sa demande en révision pour aggravation de l'état bronchopathique chronique lié à la scoliose a été rejetée en se fondant sur le seul examen du Dr Prigent, dont les conclusions sont peu claires, et en occultant le rapport du Dr Tricaud, médecin expert qui retient l'état d'aggravation ;
- les conclusions du Dr Prigent sont en contradiction avec celles du Dr Tricaud et des autres praticiens l'ayant examiné ;
- son état de santé s'est à nouveau aggravé à la fin de l'année 2020 tel que décrit dans le certificat médical du Dr Derrien du 2 janvier 2021.
Sur la majoration de la pension pour tierce personne :
- même si les termes " majoration pour tierce personne " ne figurent pas dans sa demande de révision pour cause d'aggravation, il convient d'entendre son expression " baisse de forme de plus en plus " comme une demande de majoration de tierce personne, suite à l'aggravation des infirmités déjà pensionnées ;
- son état de santé nécessite une aide humaine quotidienne comme le conclut le Dr Derrien le 2 janvier 2021.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 26 juillet 2019 au greffe de la cour régionale des pensions de Caen et les 10 mars et 1er avril 2021 devant la présente cour, la ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 6 juin 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A... ;
- et les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1 Par un arrêté du 9 mai 2006, il a été concédé à M. B... une pension militaire d'invalidité au taux global de 90 %, majorée de l'allocation spéciale grands invalides, pour des séquelles de scoliose à double courbure (Infirmité 1 au taux de 80 %) et d'un état bronchopatique chronique lié à la scoliose (infirmité 2 au taux de 30 % + 5), au titre d'une maladie constatée le 5 septembre1956 alors qu'il effectuait son service militaire sein du 785ème groupe d'artillerie anti-aérienne d'Angers stationné au Maroc. Le 13 avril 2015, le requérant a sollicité la révision de sa pension militaire pour aggravation des infirmités pensionnées. Par décision du 27 avril 2017, le ministre de la défense a rejeté la demande de M. B.... Par sa requête visée ci-dessus, M. B... relève appel du jugement du tribunal des pensions militaires d'invalidité de Caen du 27 décembre 2018 ayant rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision et sollicite le bénéfice de la révision pour aggravation des infirmités pensionnées et de retenir un taux d'invalidité de 100 % pour l'infirmité n°1, un taux de 40 % pour l'infirmité n°2 et la nécessite d'une majoration de pension pour tierce personne.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L.29 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, alors en vigueur : " Le titulaire d'une pension d'invalidité concédée à titre définitif peut en demander la révision en invoquant l'aggravation d'une ou plusieurs infirmités en raison desquelles cette pension a été accordée. Cette demande est recevable sans condition de délai. La pension ayant fait l'objet de la demande est révisée lorsque le degré d'invalidité résultant de l'infirmité ou de l'ensemble des infirmités est reconnu supérieur de 10 % au moins du pourcentage antérieur. Toutefois, l'aggravation ne peut être prise en considération que si le supplément d'invalidité est exclusivement imputable aux blessures et aux maladies constitutives des infirmités pour lesquelles la pension a été accordée. La pension définitive révisée est concédée à titre définitif.".
En ce qui concerne l'infirmité n°1 : séquelles de scoliose à double courbure :
3. En l'espèce, l'arrêté du 9 mai 2006, ayant acquis l'autorité de la chose décidée, a rejeté comme non imputable du fait ou à l'occasion du service, l'infirmité de coxarthrose droite entraînant des douleurs à la jambe droite. Cette infirmité ne saurait servir de fondement médical pour justifier une aggravation de l'infirmité pensionnée de scoliose du requérant, dès lors qu'il ressort des pièces médicales du dossier, en particulier de l'expertise du Dr Tricaud sur laquelle s'appuie M. B..., que l'aggravation de pension sollicitée repose en réalité sur les conséquences de ladite coxarthrose droite, participant à une marche difficile, douloureuse et incertaine. L'aggravation du début de coxarthrose avec bascule pelvienne en coxarthrose bilatérale ne saurait être regardée comme une aggravation de la scoliose à double courbure ayant justifié la pension attribuée. Les certificats médicaux produits, notamment celui du Dr Ledoze constatant en 2019 un périmètre de marche réduit à environ 25 mètres, ne sont pas de nature à remettre en cause cette appréciation.
4. M. B... n'est donc pas fondé à demander l'annulation du jugement du tribunal des pensions militaires d'invalidité de Caen du 27 décembre 2018 en tant qu'il a refusé sa demande tendant à lui accorder le bénéfice de la révision pour aggravation de l'infirmité pensionnée n°1, séquelles de scoliose à double courbure, et de retenir un taux d'invalidité de 100 % pour cette infirmité.
En ce qui concerne l'infirmité n°2 : état bronchopatique chroniqué lié à la première infirmité, la scoliose :
5. Il ressort des pièces du dossier que, s'agissant de cette seconde infirmité, le Dr Tricaud conclut, dans son expertise du 29 juillet 2016, à un état bronchopathique chronique lié à la scoliose avec syndrome restrictif et obstructif sans atteinte hypoxémique. Il retient une aggravation du taux porté à 50 % en relation avec la première infirmité. Le Dr Ledoze, qui a examiné le requérant le 14 juin 2019, conclut son examen en ces termes : " il est extrêmement gêné par une insuffisance respiratoire mixte, obstructive et restrictive avec un essoufflement au moindre effort ". Ces expertises confirment le diagnostic réalisé le 3 avril 2015 par le Dr Simon selon lequel : " L'exploration fonctionnelles/respiratoire confirme l'aggravation puisqu'en 2011, le Volume Expiratoire Maximal par Seconde (VEMS) était à 1,02 L il est aujourd'hui à 0,89 L, soit 39 % de la norme sans aucune modification après Ventoline ". L'expertise du Dr Prigent, établie le 12 janvier 2017, ne saurait remettre en cause les conclusions concordantes des expertises précitées. Dans ces conditions, c'est à tort que le tribunal des pensions militaires d'invalidité de Caen a rejeté la demande de révision de pension pour aggravation sollicitée par M. B... relative à l'infirmité susvisée.
6. M. B... est donc fondé à demander l'annulation du jugement du tribunal des pensions militaires d'invalidité de Caen du 27 décembre 2018 en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à lui accorder le bénéfice de la révision pour aggravation de l'infirmité pensionnée n°2, état bronchopatique chroniqué lié à la première infirmité, la scoliose, et de retenir un taux d'invalidité de 40% pour cette infirmité. Le versement des arrérages de cette pension sera assorti des intérêts au taux légal, à compter de la date de réception de sa demande, soit le 13 avril 2015.
En ce qui concerne la majoration de la pension pour tierce personne :
7. Il est constant que M. B... n'a pas sollicité dans sa demande initiale de révision de pension pour aggravation, en date du 13 avril 2015, la majoration de sa pension pour tierce personne. La référence à l'expression " baisse de forme de plus en plus " ne saurait être assimilée à une demande de majoration de tierce personne, à la suite de l'aggravation des infirmités déjà pensionnées au profit de M. B.... Par suite, la demande de l'intéressé sur ce point ne peut qu'être rejetée faute de liaison du contentieux.
8. Il résulte de ce qui précède que M. B... est seulement fondé, sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise complémentaire, à demander l'annulation du jugement du tribunal des pensions militaires d'invalidité de Caen du 27 décembre 2018 en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à lui accorder le bénéfice de la révision pour aggravation de l'infirmité pensionnée n°2, état bronchopatique chroniqué lié à la première infirmité, la scoliose, et de retenir un taux d'invalidité de 40% pour cette infirmité.
Sur les frais liés au litige :
9. M. B... ayant obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me D..., avocate de M. B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de ce dernier le versement à Me D... de la somme de 1 500 euros demandée à ce titre.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 27 décembre 2018 du tribunal des pensions militaires d'invalidité de Caen est annulé en tant qu'il a rejeté la demande de M. B... tendant à lui accorder le bénéfice de la révision pour aggravation de l'infirmité pensionnée n°2, état bronchopatique chroniqué lié à la première infirmité, la scoliose.
Article 2 : La décision du 27 avril 2017 par laquelle le ministre de la défense a rejeté la demande de M. B... tendant à lui accorder le bénéfice de la révision pour aggravation de l'infirmité pensionnée n°2 est annulée.
Article 3 : Il est attribué à M. B... une pension au taux global d'invalidité de 40% en ce qui concerne l'infirmité pensionnée n°2 à compter du 13 avril 2015, date de sa demande de révision.
Article 4 : L'Etat versera à M. B... les intérêts au taux légal sur les arrérages de sa pension militaire d'invalidité relative à l'infirmité pensionnée n°2, à compter du 13 avril 2015, date de la réception de sa demande.
Article 5 : L'Etat versera au conseil de M. B..., la somme de 1 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que ce conseil renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 6 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... est rejeté.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B... et à la ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 9 juillet 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- M. A..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 juillet 2021.
Le rapporteur,
F. A...Le président,
O. GASPON
La greffière,
P. CHAVEROUX
La République mande et ordonne à la ministre des armées en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19NT03931