Conseil d'État, 6ème chambre, 10/03/2022, 448876, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
M. A... B... a demandé au tribunal des pensions de Marseille d'annuler l'arrêté du 26 décembre 2017 par lequel la ministre des armées a rejeté sa demande d'allocation au titre de l'article L. 18 du code des pensions militaires d'invalidité. Par un jugement n° 18/00090 du 30 août 2019, le tribunal des pensions a fait droit à sa demande et lui a octroyé le bénéfice de l'allocation pour tierce personne à compter du 11 octobre 2016.
Par un arrêt n° 19MA04742 du 17 novembre 2020, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel formé par la ministre contre ce jugement.
Par un pourvoi enregistré le 18 janvier 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la ministre des armées demande au Conseil d'Etat d'annuler cet arrêt.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Pauline Hot, auditrice,
- les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la ministre des armées a demandé à la cour administrative d'appel de Marseille l'annulation du jugement par lequel le tribunal des pensions de Marseille a annulé partiellement l'arrêté du 26 décembre 2017 évaluant la situation de M. B... et lui a octroyé le bénéfice de l'allocation pour tierce personne à compter du 11 octobre 2016. Par un arrêt du 17 novembre 2020, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel de la ministre.
2. Aux termes de l'article L. 18 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, désormais codifié à l'article L. 133-1 de ce code : " Les invalides que leurs infirmités rendent incapables de se mouvoir, de se conduire, ou d'accomplir les actes essentiels de la vie ont droit à l'hospitalisation, s'ils la réclament. En ce cas, les frais de cette hospitalisation sont prélevés sur la pension qui leur est concédée. S'ils ne reçoivent pas ou s'ils cessent de recevoir cette hospitalisation et si, vivant chez eux, ils sont obligés de recourir d'une manière constante aux soins d'une tierce personne, ils ont droit, à titre d'allocation spéciale, à une majoration égale au quart de la pension. Toutefois, à date du 1er janvier 1950, cette majoration est élevée au montant de la pension pour les invalides atteints d'infirmités multiples dont deux au moins leur auraient assuré, chacune prise isolément, le bénéfice de l'allocation visée au précédent alinéa. En aucun cas, il ne saurait être fait état de cette majoration pour augmenter les frais actuels d'hospitalisation qui sont à la charge des bénéficiaires de la mesure prise en leur faveur. "
3. D'une part, si ces dispositions ne peuvent être interprétées comme exigeant que l'aide d'un tiers soit nécessaire à l'accomplissement de la totalité des actes nécessaires à la vie courante, elle impose toutefois que l'aide d'une tierce personne soit indispensable ou bien pour l'accomplissement d'actes nombreux se répartissant tout au long de la journée, ou bien pour faire face soit à des manifestations imprévisibles des infirmités dont le pensionné est atteint, soit à des soins dont l'accomplissement ne peut être subordonné à un horaire préétabli, et dont l'absence mettrait sérieusement en danger l'intégrité physique ou la vie de l'intéressé. D'autre part, le bénéfice de l'article L. 133-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre en faveur des invalides que leurs infirmités rendent incapables de se mouvoir, de se conduire ou d'accomplir les actes essentiels à la vie ne peut être accordé que si la nécessité de l'aide constante d'une tierce personne est la conséquence directe et exclusive d'affections imputables au service.
4. Il ressort de l'arrêt attaqué que la cour administrative d'appel de Marseille a relevé, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, que l'intéressé est dans l'incapacité d'accomplir seul certains des actes de la vie quotidienne à savoir la capacité de quitter seul son lit, de satisfaire seul à ses besoins naturels, de faire sa toilette, de se vêtir et de se dévêtir totalement, et d'utiliser un moyen de transport individuel et collectif, alors qu'il est également sujet à des crises d'hyperalgies morphiniques constituant un danger pour sa vie et impliquant une surveillance constante, et que les actes qui nécessitent l'assistance d'une tierce personne se répartissent tout au long de la journée et ne peuvent pas être toujours subordonnés à un horaire préétabli. Pour lui accorder le bénéfice de l'allocation pour tierce personne à compter du 11 octobre 2016, la cour a considéré que la plupart des impossibilités dont il est affecté et qui justifient l'aide d'une tierce personne est due aux infirmités résultant de l'accident de saut en parachute survenu le 10 octobre 2010 à l'origine des infirmités pensionnées.
5. Toutefois, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond, et notamment du rapport d'expertise du docteur E..., que seule une partie des difficultés rencontrées par l'intéressé pour accomplir les actes essentiels de la vie est due aux troubles pensionnés, à savoir la capacité de quitter seul son lit, de faire sa toilette, de se vêtir et de se dévêtir totalement, et d'utiliser un moyen de transport individuel et collectif, alors que l'autre partie, à savoir l'incapacité à satisfaire seul ses besoins naturels, résulte d'un syndrome " de la queue de cheval " reconnu non imputable au service par l'arrêté du 26 décembre 2017, non contesté sur ce point, et est donc sans rapport avec une infirmité pensionnée. Dès lors, en retenant le droit à la majoration pour tierce personne alors que l'incapacité à accomplir les actes essentiels de la vie due aux troubles pensionnés ne rend cette assistance indispensable ni pour l'accomplissement d'actes nombreux se répartissant tout au long de la journée, ni pour faire face à des manifestations imprévisibles des infirmités dont le pensionné est atteint ou à des soins dont l'accomplissement ne peut être subordonné à un horaire préétabli, et dont l'absence mettrait sérieusement en danger l'intégrité physique ou la vie de l'intéressé, la cour administrative d'appel de Marseille a fait une inexacte application des dispositions de l'article L. 18 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre. Par suite et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, la ministre des armées est fondée à demander l'annulation de cet arrêt.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Marseille.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la ministre des armées et à M. A... B....
Délibéré à l'issue de la séance du 3 février 2022 où siégeaient : M. Fabien Raynaud, président de chambre, présidant ; M. Cyril Roger-Lacan, conseiller d'Etat et Mme Pauline Hot, auditrice-rapporteure.
Rendu le 10 mars 2022.
Le président :
Signé : M. Fabien Raynaud
La rapporteure :
Signé : Mme Pauline Hot
La secrétaire :
Signé : Mme C... D...