CAA de NANTES, 6ème chambre, 15/03/2022, 20NT02677, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif d'Orléans d'ordonner une expertise médicale aux fins de déterminer le taux d'invalidité résultant des infirmités de service dont il est atteint et de mettre à la charge de l'Etat (ministère de la défense) les dépens.
Par un jugement n° 1904169 du 30 juin 2020, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 27 août 2020, 15 avril 2021 et 4 mai 2021, M. B..., représenté par la SCP d'avocats Rouaud et associés, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif d'Orléans du 30 juin 2020 ;
2°) d'ordonner l'expertise sollicitée ;
3°) de mettre les dépens à la charge de l'Etat.
Il soutient que :
- les expertises réalisées les 28 mars 2017 et 15 mai 2017 n'ont porté que sur les douleurs ressenties au niveau de l'épaule droite sans tenir compte des cervicalgies apparues à la suite de l'accident du 14 avril 2015 ; l'IRM pratiquée le 10 octobre 2017 confirme le lien entre ces douleurs cervicales et l'accident du 14 juillet 2015, lequel a été signalé à ses supérieurs hiérarchiques ;
- sa demande de pension militaire d'invalidité incluait ses douleurs cervicales dès lors qu'elle concernait les conséquences de l'accident du 14 avril 2015 ;
- ses fonctions de secrétaire médical impliquant de nombreuses heures passées devant un ordinateur ont généré des douleurs ; le lien entre l'existence d'un torticolis et de scapulalgies constatés le 10 décembre 1997 et l'accident n'a pas été constaté ;
- son accident du sport survenu le 13 juin 2012 s'est produit dans le cadre de l'obligation incombant au militaire de conserver une " dynamique sportive " ;
- le taux d'invalidité de 20 %, dont 10 % seulement imputable au service, est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.
Par des mémoires, enregistrés les 22 mars, 23 avril et 20 mai 2021, la ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une ordonnance du 6 janvier 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Gélard,
- et les conclusions de Mme Malingue, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... a effectué son service militaire du 1er novembre 1996 au 31 octobre 1998 puis s'est engagé dans l'armée à compter du 4 janvier 1998. Il a d'abord exercé les fonctions de brancardier et d'aide secrétaire puis celles d'infirmier préleveur au centre de transfusion sanguine des armées. Le 14 avril 2015, il a été victime d'un traumatisme à l'épaule droite en déchargeant des chariots de matériel d'un camion. L'examen d'IRM réalisée le 30 avril 2015, a révélé une " tendinopathie fissuraire d'allure transfixiante du muscle supraépineux droit avec atteinte dégénérative de l'articulation acromio-claviculaire droite ". Alors qu'il avait repris ses fonctions à compter du 3 juillet 2015, l'intéressé a ressenti, le 14 juillet 2015, une vive douleur à l'épaule droite en allongeant sur un brancard une personne qui avait fait un malaise vagal. L'IRM pratiquée le 28 juillet 2015 a confirmé la " présence d'une fissuration intra-tendineuse au sein du tendon supraépineux [avec] arthrose acromio claviculaire associée à une petite réaction de bursite sous acromio-deltoïdienne ". M. B... a conservé des séquelles de ces deux accidents de service en dépit d'une opération par une acromioplastie de l'épaule droite sous arthroscopie associée à une résection du centimètre externe de la clavicule droite pratiquée le 21 janvier 2016. Le 11 avril 2016, il a sollicité l'octroi d'une pension militaire d'invalidité. Au vu des expertises réalisées, le médecin chargé des pensions militaires d'invalidité au ministère de la défense a estimé que le taux global d'invalidité de M. B... était de 20 % dont 10 % imputable au service, l'intéressé ayant été victime en 2012 d'une luxation acromio-claviculaire à l'occasion d'une séance de squash constituant un état antérieur évalué lui-même à 10 %. M. B... a saisi le tribunal des pensions militaires afin que soit ordonnée une nouvelle expertise médicale judiciaire. Il relève appel du jugement du 30 juin 2020, par lequel le tribunal administratif d'Orléans, devenu compétent, a rejeté sa requête.
Sur la demande d'expertise :
2. D'une part, l'utilité d'une mesure d'expertise qu'il est demandé au juge d'ordonner doit être appréciée au regard des éléments dont le demandeur dispose ou peut disposer par d'autres moyens et au regard de l'intérêt que la mesure présente dans la perspective d'un litige principal, actuel ou éventuel, auquel elle est susceptible de se rattacher. A ce dernier titre, il ne peut faire droit à une demande d'expertise lorsque, en particulier, elle est formulée à l'appui de prétentions qui ne relèvent manifestement pas de la compétence de la juridiction administrative, qui sont irrecevables ou qui se heurtent à la prescription. De même, le juge ne peut faire droit à une demande d'expertise permettant d'évaluer un préjudice, en vue d'engager la responsabilité d'une personne publique, en l'absence manifeste de lien de causalité entre le préjudice à évaluer et la faute alléguée de cette personne.
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre en vigueur à la date de la demande de pension militaire d'invalidité déposée par M. B... : " Ouvrent droit à pension : (...) 2° les infirmités résultant de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service ; 3° L'aggravation par le fait ou à l'occasion du service d'infirmités étrangères au service (...) ". Aux termes de l'article L. 3 du même code dans sa rédaction alors en vigueur : " Lorsqu'il n'est pas possible d'administrer ni la preuve que l'infirmité ou l'aggravation résulte d'une des causes prévues à l'article L. 2, ni la preuve contraire, la présomption d'imputabilité au service bénéficie à l'intéressé à condition : 1° S'il s'agit de blessure, qu'elle ait été constatée avant le renvoi du militaire dans ses foyers ; 2° S'il s'agit d'une maladie, qu'elle n'ait été constaté qu'après le quatre-vingt-dixième jour de service effectif et avant le soixantième jour suivant le retour du militaire dans ses foyers ; 3° En tout état de cause, que soit établie, médicalement, la filiation entre la blessure ou la maladie ayant fait l'objet de la constatation et l'infirmité invoquée (...) La présomption définie au présent article s'applique exclusivement aux constatations faites, soit pendant le service accompli au cours de la guerre 1939-1945, soit au cours d'une expédition déclarée campagne de guerre, soit pendant le service accompli par les militaires pendant la durée légale, compte tenu des délais prévus aux précédents alinéas.".
4. Il résulte des dispositions précitées des articles L. 2 et L. 3 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, que le demandeur d'une pension, s'il ne peut prétendre au bénéfice de la présomption légale d'imputabilité au service, doit rapporter la preuve de l'existence d'un fait précis ou de circonstances particulières de service à l'origine de l'affection qu'il invoque. Cette preuve ne saurait résulter de la seule circonstance que l'infirmité soit apparue durant le service, ni d'une hypothèse médicale, ni d'une vraisemblance, ni d'une probabilité, aussi forte soit-elle.
5. En premier lieu, M. B... évoque le torticolis et les scapulalgies dont il a souffert et qui, selon ses dires, ont été constatés le 10 décembre 1997. Le ministre soutient toutefois sans être contredit qu'aucun rapport circonstancié ou de commandement n'atteste d'un fait de service précis intervenu à cette date. M. B... ne justifie, ni avoir conservé des séquelles à la suite de ces affections, ni le lien direct et certain de celle-ci avec le service. Par suite, il n'est pas fondé à solliciter une expertise à raison de ces faits.
6. En deuxième lieu, M. B... évoque la luxation acromio-claviculaire de stade 2 à l'origine " d'un remaniement dégénératif acromio-claviculaire " dont il a été victime lors d'une séance de squash, le samedi 9 juin 2012. Selon le médecin chef du centre médical des armées de Tours, qui a examiné M. B... le 28 janvier 2021 dans le cadre d'une expertise diligentée par le ministère des armées, ce traumatisme a été décompensé en 2015. Selon cet expert, cette activité résulte d'une initiative personnelle de l'intéressé et non d'une activité militaire programmée et obligatoire. Si le requérant soutient que cet accident s'est produit dans le cadre de l'obligation incombant au militaire de conserver une " dynamique sportive ", cette circonstance ne suffit pas à établir un lien de causalité entre cette blessure et le service dès lors qu'à ce moment précis il n'était pas en fonction. Par suite, l'intéressé n'est pas fondé à solliciter une expertise à raison de cet accident.
7. En troisième lieu, M. B... sollicite la prise en compte des cervicalgies dont il souffre au titre des accidents de service qu'il a subis en 2015. L'IRM réalisée le 30 avril 2015 à la suite du premier accident a révélé une " fissure d'allure transfixiante de l'insertion antérieure du tendon du sus-épineux [et un] remaniement dégénératif acromio-claviculaire ". Le nouvel examen pratiqué le 28 juillet 2015 a confirmé la présence d'une " fissuration intra-tendineuse au sein du tendon supra épineux [avec] arthrose acromio-claviculaire associée à une petite réaction de bursite sous acromio-deltoïdienne ". Ni ces examens, ni les certificats médicaux produits par M. B..., ne font état d'une quelconque affection au niveau des cervicales. En revanche, dans un courrier du 12 juin 2015, le médecin en chef de l'hôpital d'instruction des armées (HIA) Percy indique que l'intéressé se plaint de douleurs et de fourmillements dans les doigts de la main droite " avec une irradiation au niveau cervical ". Par ailleurs, dans un courrier du 2 février 2018, le neurologue qui a examiné M. B..., indique que l'intéressé souffre d'un syndrome dyspostural cervico-scapulaire " secondaire à ses problèmes d'épaule ". Il ressort également des pièces du dossier que l'intéressé a été hospitalisé à l'HIA Percy du 14 au 19 mai 2018 puis du 25 au 26 mai 2018 à raison de douleurs chroniques de l'épaule droite " associées à des cervicalgies faisant suite à un accident de service datant du 14 avril 2015 ". Une expertise médicale réalisée le 12 septembre 2018 confirme également la présence de cervicalgies en rapport avec une saillie discale postéro-latérale droite C6-C7 objectivée en octobre 2017. L'expert conclut " qu'il existe un lien entre la périarthrite scapulo-humérale droite post traumatique et les évènements déclarés les 14 avril et 14 juillet 2015 ". Enfin, lors de l'expertise diligentée par le ministère des armées le 28 janvier 2021, le médecin chef du centre médical des armées de Tours, dont la mission consistait notamment à décrire les blessures subies les 14 avril et 14 juillet 2015 et les troubles " en rapport direct avec celles-ci ", a précisé que les cervicalgies décrites par le patient " s'intégraient dans ce syndrome douloureux régional ". Compte tenu de ces certificats médicaux, et en dépit du fait que les cervicalgies n'ont pas été mentionnées lors des déclarations initiales de ces deux accidents et qu'elles constituent une pathologie distincte de celle de l'épaule, le requérant doit être regardé comme apportant suffisamment d'éléments de preuve laissant supposer un lien de causalité entre cette nouvelle infirmité et les accidents de 2015, lesquels en constitueraient le fait générateur commun. Par suite, le requérant justifie de l'utilité de l'expertise qu'il sollicite en vue de réévaluer le taux de la pension qu'il perçoit à raison des séquelles qu'il conserve de ces accidents de service.
8. Il suit de là que c'est à tort que le tribunal administratif d'Orléans a rejeté la demande présentée par M. B.... Il y a lieu en conséquence, d'annuler le jugement attaqué et de faire droit à la demande du requérant en assignant à l'expert la mission définie dans le dispositif du présent arrêt.
Sur les dépens :
9. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties (...) ".
10. La présente instance n'ayant généré aucun dépens, la demande présentée à ce titre par le requérant ne peut qu'être rejetée. En revanche, les frais et honoraires de l'expert seront taxés et liquidés par une ordonnance distincte du président de la cour à l'issue des opérations d'expertise.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1904169 du tribunal administratif d'Orléans en date du 30 juin 2020 est annulé.
Article 2 : Il sera procédé à une expertise médicale contradictoire entre les parties.
Article 3 : L'expert sera désigné par le président de la cour. Il accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative.
Article 4 : L'expert aura pour mission de :
- prendre connaissance du dossier administratif et médical complet de M. B..., se faire communiquer tout document utile auprès de tout tiers détenteur et entendre tout sachant ;
- d'examiner l'intéressé, décrire son état de santé actuel ;
- fixer le taux d'invalidité de M. B... imputable à l'affection dont il souffre au niveau de l'épaule droite en lien avec les accidents de service survenus les 14 avril et 14 juillet 2015 et la part de cette affection imputable à l'accident survenu le 9 juin 2012 ;
- dire si les cervicalgies dont se plaint M. B... sont en lien direct et certain avec les accidents de service des 14 avril et 14 juillet 2015 et, dans ce cas, déterminer le taux d'invalidité en résultant pour l'intéressé ;
- de façon générale, donner tous autres éléments d'information nécessaires.
Article 5 : Le rapport d'expertise sera déposé au greffe de la cour en deux exemplaires et l'expert en notifiera des copies aux parties, dans le délai de quatre mois suivant la prestation de serment, notification qui pourra s'opérer sous forme électronique avec l'accord des parties.
Article 6 : L'expert appréciera l'utilité, pour lui, de soumettre au contradictoire des parties un pré-rapport qui, s'il est rédigé, ne pourra avoir pour effet de conduire à dépasser le délai fixé à l'article 5 ci-dessus.
Article 7 : Les frais et honoraires de l'expertise seront mis à la charge de la ou des parties désignées dans l'ordonnance par laquelle le président de la cour liquidera et taxera ces frais et honoraires.
Article 8 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 9 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et à la ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 25 février 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- Mme Gélard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 15 mars 2022.
La rapporteure,
V. GELARDLe président,
O. GASPON
La greffière,
P. CHAVEROUX
La République mande et ordonne à la ministre des armées en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 20NT02677