CAA de BORDEAUX, 2ème chambre, 24/03/2022, 19BX04049, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision24 mars 2022
Num19BX04049
JuridictionBordeaux
Formation2ème chambre
PresidentMme GIRAULT
RapporteurMme Anne MEYER
CommissaireMme GALLIER
AvocatsBAUDORRE ALICE

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... a demandé au tribunal des pensions de Bordeaux de réformer l'arrêté du 7 août 2017 par lequel la ministre des armées lui a concédé une pension militaire d'invalidité définitive au taux de 40 %, avec jouissance à compter du 14 octobre 2015, en tant que ce taux est inférieur à 60 %.

Par un jugement du 21 mars 2019, le tribunal a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 21 mai 2019, M. C..., représenté par Me Baudorre, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de réformer l'arrêté du 7 août 2017 en tant qu'il retient un taux d'invalidité de 40 %, ou à titre subsidiaire d'ordonner une expertise ;
3°) d'enjoindre à la ministre des armées de statuer à nouveau sur son droit à pension dans un délai de trente jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir.

Il soutient que :
- dès lors que la décision contestée était celle de 2017, c'est à tort que le tribunal lui a opposé l'expiration du délai de recours à l'encontre de la décision d'attribution initiale de la pension temporaire en 2013 ;
- le tribunal n'a pas statué sur sa demande d'expertise ;
- l'expert a retenu un taux de 60 % en lien avec le service, et la réfaction opérée par l'administration au motif que 20 % ne seraient pas imputables relève d'une erreur manifeste d'appréciation ; à titre subsidiaire il conviendrait d'appliquer, si une partie de l'infirmité devait être regardée comme aggravant un état antérieur non imputable, les dispositions de
l'article L.121-7 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- il a droit à une pension au taux de 60 % retenu par les deux expertises successives réalisées en 2013 et 2016 à la demande de l'administration ;
- à titre subsidiaire, si la cour ne s'estimait pas suffisamment informée, il conviendrait d'ordonner une expertise.

Par un mémoire en défense enregistré le 26 août 2019, la ministre des armées conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que :
- la pension a été attribuée pour une première période triennale allant du 7 mai 2013
au 6 mai 2016 pour l'infirmité de syndrome anxio-dépressif au taux de 20 %, après déduction
de 20 % non imputables au service ; la part non imputable de 20 % ayant acquis un caractère définitif faute d'avoir été contestée dans le délai de recours contentieux, c'est à bon droit que le tribunal a rejeté la demande ;
- eu égard à l'objet du litige, il n'y a pas lieu d'ordonner une nouvelle expertise.

M. C... a été maintenu au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 4 juillet 2019 modifiée le 26 janvier 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 ;
- le décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- les conclusions de Mme Gallier, rapporteure publique,
- et les observations de Me Baudorre, représentant M. C....

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., titulaire d'une pension militaire d'invalidité temporaire avec jouissance
du 7 mai 2013 au 6 mai 2016 concédée au taux de 20 % par arrêté du 9 décembre 2013
pour l'infirmité " Syndrome dépressif réactionnel. Reviviscence d'événements traumatiques, cauchemars, troubles dépressifs chroniques ", en a sollicité la révision pour aggravation
le 14 octobre 2015. Par un arrêté du 7 août 2017, la ministre des armées lui a concédé une pension définitive au taux de 40 % à compter du 14 octobre 2015 pour l'infirmité aggravée par blessure " Etat de stress post-traumatique avec état anxio-dépressif chronique : reviviscences, cauchemars, ecmnésies ". M. C... a demandé au tribunal des pensions de Bordeaux de réformer cet arrêté en tant qu'il retient un taux d'invalidité de 40 % au lieu de celui de 60 % retenu par l'expert désigné par l'administration. Il relève appel du jugement du 21 mars 2019 par lequel le tribunal a rejeté sa demande. La procédure a été transmise à la cour administrative d'appel de Bordeaux en application de la loi du 13 juillet 2018 susvisée.

2. Aux termes de l'article L. 4 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, applicable à la date de la demande de révision de la pension : " Les pensions sont établies d'après le degré d'invalidité. Sont prises en considération les infirmités entraînant une invalidité égale ou supérieure à 10 %. Il est concédé une pension : / 1° Au titre
des infirmités résultant de blessures, si le taux d'invalidité qu'elles entraînent atteint ou
dépasse 10 % ; / (...). " Aux termes de l'article L. 7 du même code : " Il y a droit à pension définitive quand l'infirmité causée par la blessure ou la maladie est reconnue incurable. Il y a droit à pension temporaire si elle n'est pas reconnue incurable ". Aux termes de l'article L. 8 de ce code : " La pension temporaire est concédée pour trois années. Elle est renouvelable par périodes triennales après examens médicaux. / Au cas où la ou les infirmités résultent uniquement de blessures, la situation du pensionné doit, dans un délai de trois ans, à compter du point de départ légal défini à l'article L. 6, être définitivement fixée (...) par la conversion à un taux supérieur, égal ou inférieur au taux primitif, de la pension temporaire en pension définitive, sous réserve toutefois de l'application de l'article L. 29 (...)". Selon l'article L. 29 : " (...) l'aggravation ne peut être prise en considération que si le supplément d'invalidité est exclusivement imputable aux blessures et aux maladies constitutives des infirmités pour lesquelles la pension a été accordée. (...). "

3. Si M. C... n'a pas contesté la fiche descriptive des infirmités du 30 décembre 2013 portant décision d'attribution de la pension temporaire initiale, concédée au taux de 20 % en retenant une invalidité au taux de 40 % imputable au service à hauteur de 20 % seulement, en contradiction avec l'expertise réalisée le 24 août 2013 qui avait déjà retenu une imputabilité totale, cette circonstance ne saurait faire obstacle à ce qu'il conteste la décision, qui a un objet différent, statuant sur son droit à majoration de la pension après la prise en compte d'éléments d'aggravation objectivés par une nouvelle expertise. Par suite, M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal des pensions de Bordeaux a rejeté sa demande dirigée contre l'arrêté du 7 août 2017 comme portant sur une décision qui ne pouvait plus être contestée. Il y a lieu pour la cour d'annuler le jugement et de statuer par voie d'évocation sur la demande de M. C....

4. L'expert qui a examiné M. C... le 6 octobre 2016 dans le cadre de l'instruction de sa demande a constaté un état de stress post-traumatique en lien exclusif avec les événements, homologués comme blessure de guerre le 3 décembre 2015, vécus le 5 novembre 2004 à Bouaké en Côte d'Ivoire. M. C..., alors aide-soignant au groupe médico-chirurgical de Bouaké équipé pour recevoir une dizaine de blessés, a été confronté, de 13 heures à 3 heures du matin, à un afflux massif de quarante-huit victimes d'un bombardement aérien des forces gouvernementales de Côte d'Ivoire, dont dix morts, présentant de terribles blessures telles que des pieds arrachés, des thorax ouverts, des fracas faciaux et des brûlures, dans une odeur de sang et de " viande grillée ". Parmi ces victimes se trouvaient dix camarades de son régiment. L'expert a retenu un taux de 60 % imputable au service pour des troubles à l'origine d'une " gêne intense ", dont la gravité n'est pas contestée par la ministre des armées, répartis entre 40 % pour l'état de stress post-traumatique et 20 % pour un état anxio-dépressif traité à l'hôpital d'instruction des armées Robert Picqué. L'expert a précisé que la personnalité antérieure de l'intéressé, issu d'une famille sans problèmes psychiatriques avec des liens " bons et forts ", n'était pas pathologique, et que ses séquelles n'étaient pas en relation avec le handicap de son fils atteint d'une pathologie génétique, né avant la blessure du 5 novembre 2004. Ainsi, M. C... est fondé à soutenir que l'abattement de 20 % auquel a procédé l'administration est fondé sur une interprétation manifestement erronée du dossier médical.

5. Il y a lieu d'enjoindre à la ministre des armées, comme le demande M. C..., de statuer à nouveau sur ses droits à pension, en tenant compte des motifs du présent arrêt, dans un délai de deux mois à compter de la notification de celui-ci.


DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal des pensions de Bordeaux du 21 mars 2019 est annulé.
Article 2 : Il est enjoint à la ministre des armées de réexaminer les droits à pension de M. C... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C... et à la ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 1er mars 2022 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 mars 2022.

La rapporteure,
Anne B...
La présidente,
Catherine GiraultLa greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne à la ministre des armées en ce qui la concerne et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

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N° 19BX04049