CAA de BORDEAUX, 2ème chambre, 31/05/2022, 19BX04357, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision31 mai 2022
Num19BX04357
JuridictionBordeaux
Formation2ème chambre
PresidentMme GIRAULT
RapporteurMme Anne MEYER
CommissaireMme GALLIER
AvocatsSCP TANDONNET - LIPSOS LAFAURIE

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal des pensions de Pau d'annuler la décision du 18 juin 2018 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande de révision de sa pension militaire d'invalidité pour l'aggravation des infirmités pensionnées de lombalgies post-traumatiques et d'hypoacousie bilatérale de perception et pour l'infirmité nouvelle d'acouphènes.

Par un jugement du 22 août 2019, le tribunal a réformé la décision en portant à 20 % à compter du 1er juin 2016 le taux de l'infirmité de lombalgies post-traumatiques et a rejeté le surplus de la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 25 octobre 2019 et un mémoire enregistré le 16 décembre 2021, M. A..., représenté par la SCP Tandonnet-Lipsos Lafaurie, demande à la cour :

1°) de lui donner acte de ce qu'il se désiste de sa demande relative aux acouphènes ;

2°) de réformer le jugement du tribunal des pensions de Pau en tant qu'il a rejeté sa demande relative à l'aggravation de l'infirmité " hypoacousie bilatérale de perception - perte de sélectivité 10 % " ;
3°) d'ordonner une expertise afin d'évaluer l'aggravation de cette infirmité à la date du 1er juin 2016.


Il soutient que :
- l'infirmité d'hypoacousie bilatérale est consécutive à un traumatisme sonore causé par l'explosion d'un moteur le 2 février 1987 ; la perte auditive s'est aggravée entre 1988 et 1991 alors qu'il était encore en service ;
- l'expert mandaté par l'administration a relevé une aggravation de 10 % de l'hypoacousie bilatérale de perception ;
- contrairement à ce que soutient la ministre des armées, les hypoacousies d'origine traumatique s'aggravent avec le temps ;
- une expertise s'impose compte tenu de la discordance entre l'examen réalisé en 2015 et l'expertise réalisée en février 2018 qui retient une perte auditive moindre.
- il se désiste de sa demande relative à l'infirmité nouvelle d'acouphènes.

Par des mémoires en défense enregistrés le 10 décembre 2020 et le 31 janvier 2022, la ministre des armées conclut à ce qu'il soit donné acte du désistement relatif à l'infirmité d'acouphènes et au rejet du surplus des conclusions de la requête.


Elle fait valoir que :
- l'hypoacousie de 27,50 décibels à droite et 52 décibels à gauche relevée par l'audiogramme du 3 février 2018 correspond à un taux d'invalidité de 7 % et non de 10 % comme l'expert l'a retenu à tort, de sorte que l'aggravation n'ouvre pas droit à pension ;
- la décision du 25 janvier 2011 prise sur une demande d'aggravation de l'hypoacousie bilatérale du 10 mai 2010 qui n'a pas été contestée est revêtue de l'autorité de la chose décidée en ce que la nouvelle baisse de l'acuité auditive, survenue postérieurement au service, est sans lien médical direct avec l'infirmité pensionnée ;
- le bilan audiométrique réalisé le 2 novembre 2015, qui avait été réalisé à titre privé, fait apparaître des pertes auditives moyennes de 35 décibels à droite et 53,75 décibels à gauche selon le calcul indiqué par le guide-barème des invalidités militaires, et non de 45 et 62 comme l'indique M. A... ; ainsi, il n'y a pas eu d'aggravation, et il n'est pas nécessaire d'ordonner une nouvelle expertise.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 20 janvier 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 ;
- le décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 ;
- le code de justice administrative.


Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- et les conclusions de Mme Gallier, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :


1. M. A..., radié des contrôles de l'armée active le 12 octobre 1995 au grade de capitaine, est titulaire d'une pension militaire d'invalidité définitive, concédée au taux de 20 % par arrêté du 24 octobre 1995, avec jouissance à compter du 1er février 1988, pour les infirmités " lombalgies post-traumatiques, lésions arthrosiques étagées du rachis lombaire et discret pincement L5-S1 " au taux de 10 % et " hypoacousie bilatérale de perception, perte de sélectivité de 10 % " au taux de 10 %. Le 1er juin 2016, il en a sollicité la révision pour aggravation des deux infirmités pensionnées et pour l'infirmité nouvelle d'acouphènes. Par une décision du 18 juin 2018, la ministre des armées a rejeté sa demande. M. A... a contesté cette décision devant le tribunal des pensions de Pau. Il relève appel du jugement du 22 août 2019 par lequel le tribunal a seulement porté à 20 % à compter du 1er juin 2016 le taux de l'infirmité " lombalgies post-traumatiques, lésions arthrosiques étagées du rachis lombaire et discret pincement L5-S1 ", en tant qu'il a rejeté les conclusions relatives à l'infirmité " hypoacousie bilatérale de perception, perte de sélectivité de 10 % ".

2. Aux termes de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, applicable à la date de la demande de pension : " Ouvrent droit à pension : 1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'événements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service ; / (...). " Aux termes de l'article L. 3 du même code : " Lorsqu'il n'est pas possible d'administrer ni la preuve que l'infirmité ou l'aggravation résulte d'une des causes prévues à l'article L. 2, ni la preuve contraire, la présomption d'imputabilité au service bénéficie à l'intéressé à condition : / (...) / 3° En tout état de cause, que soit établie, médicalement, la filiation entre la blessure ou la maladie ayant fait l'objet de la constatation et l'infirmité invoquée. / (...). " Selon l'article L. 4 : " La pension est concédée : / 1° Au titre des infirmités résultant de blessures, si le taux d'invalidité qu'elles entraînent atteint ou dépasse 10 % (...). " Enfin, l'article L. 29 dispose : " Le titulaire d'une pension d'invalidité concédée à titre définitif peut en demander la révision en invoquant l'aggravation d'une ou plusieurs infirmités en raison desquelles cette pension a été accordée. / Cette demande est recevable sans condition de délai. / La pension ayant fait l'objet de la demande est révisée lorsque le degré d'invalidité résultant de l'infirmité ou de l'ensemble des infirmités est reconnu supérieur de 10 points par rapport au pourcentage antérieur. / Toutefois, l'aggravation ne peut être prise en considération que si le supplément d'invalidité est exclusivement imputable aux blessures et aux maladies constitutives des infirmités pour lesquelles la pension a été accordée. / La pension définitive révisée est concédée à titre définitif. " Il résulte de ces dispositions que le droit à pension est destiné à réparer toutes les conséquences des faits de service dommageables telles qu'elles se révèlent par suite de l'évolution physiologique, pour autant qu'aucune cause étrangère, telle qu'une affection distincte de l'affection pensionnée, ne vienne, pour sa part, aggraver l'état de l'intéressé. Ainsi l'aggravation de l'infirmité initiale, si elle est seulement due au vieillissement, peut justifier une révision du taux de la pension. En revanche, si le vieillissement cause une nouvelle infirmité, distincte de l'infirmité pensionnée, qui contribue à l'aggravation de celle-ci, les dispositions précitées de l'article L. 29 font obstacle à cette révision, dès lors que l'aggravation est due à une cause étrangère à l'infirmité pensionnée.
3. La circonstance que, par une décision du 25 janvier 2011 qui n'a pas été contestée, le ministre de la défense a rejeté une précédente demande d'aggravation de l'hypoacousie au motif, notamment, que les connaissances médicales généralement admises reconnaîtraient le caractère stationnaire voire régressif des hypoacousies d'origine traumatique lorsque le sujet n'est plus soumis à des agressions sonores répétées, ne saurait faire obstacle à ce que M. A... conteste la décision, qui a un objet différent, statuant sur son droit à majoration de la pension après la prise en compte d'éléments d'aggravation objectivés par une nouvelle expertise. Par suite, la ministre des armées ne peut utilement se prévaloir d'une " autorité de la chose décidée " de ce motif.

4. Le guide-barème des pensions militaires d'invalidité fixe les taux de l'invalidité entraînés par la diminution de l'acuité auditive dans un tableau à double entrée, lequel se lit comme une table de Pythagore et prévoit le calcul de la perte auditive moyenne " en établissant pour chaque oreille la moyenne pondérée des seuils aéro-tympaniques, exprimés en décibels au-dessus des seuils normaux, sur les trois fréquences 500, 1 000 et 2 000 Hz, le seuil sur la fréquence 1 000 Hz étant assorti d'un poids double. " La formule de calcul est la suivante : [(valeur à 500 Hz) + 2 x (valeur à 1 000 Hz) +(valeur à 2 000 Hz)] / 4.

5. La pension a été concédée au taux de 10 % à compter du 1er février 1988 pour l'infirmité " hypoacousie bilatérale de perception, perte de sélectivité de 10 % ", en lien avec une blessure reçue par le fait du service le 2 février 1987. Ce taux a été attribué au titre de la seule perte de sélectivité, un taux de 0 % ayant été retenu pour la perte auditive. Il résulte de l'instruction que cette dernière était de 12,5 décibels à droite et à gauche le 26 septembre 1988, de 22,5 décibels à droite et 28,75 à gauche le 18 janvier 1991 et de 26,25 décibels à droite et 38,75 à gauche le 28 septembre 2010, correspondant à cette dernière date à un taux de 2 % au tableau d'évaluation des diminutions d'acuité auditive du guide-barème des pensions militaires d'invalidité. Comme le fait valoir la ministre des armées, la perte de 27,5 décibels à droite et 52 à gauche mesurée lors de l'expertise réalisée le 3 février 2018 dans le cadre de l'instruction de la demande du 1er juin 2016 est cotée à 7 % au guide-barème, et non à 10 % comme l'a retenu l'expert. Toutefois, les pertes auditives de 35 décibels à droite et 53,75 à gauche constatées lors d'un bilan audiométrique réalisé à titre privé le 2 novembre 2015 sont en contradiction avec les mesures de l'audiométrie réalisée le 3 février 2018, postérieurement à la date de la demande à laquelle l'expert devait se placer, et une nouvelle expertise ne permettrait pas d'évaluer l'infirmité à la date de la demande du 1er juin 2016. Les résultats des examens réalisés en 2015 et en 2018 ne diffèrent significativement qu'en ce qui concerne l'oreille droite. Dans ces circonstances, il y a lieu de retenir une perte d'au moins 30 décibels à droite et supérieure à 50 décibels à gauche, ce qui est coté à 15 % au guide-barème. Il ne résulte pas de l'instruction que la progression régulière de l'hypoacousie serait imputable à une cause étrangère à l'effet du vieillissement sur l'hypoacousie imputable au service. Par suite, M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal des pensions de Pau a rejeté sa demande relative à l'aggravation de l'infirmité " hypoacousie bilatérale de perception, perte de sélectivité de 10 % ".

6. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. " Il résulte de ce qui a été dit au point précédent que le ministre des armées est tenu de faire droit à la demande de M. A... et de prendre en compte son hypoacousie au taux de 15 % en sus de la perte de sélectivité de 10 % déjà pensionnée. Par suite, il y a lieu de lui enjoindre de procéder à la liquidation des droits à pension correspondants dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.



DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal des pensions de Pau du 22 août 2019 et la décision de la ministre des armées du 18 juin 2018 sont annulés en tant qu'ils ont rejeté la demande de M. A... relative à l'aggravation de l'infirmité " hypoacousie bilatérale de perception, perte de sélectivité de 10 % ".
Article 2 : Il est enjoint au ministre des armées de procéder à la liquidation des droits à pension de M. A... en tenant compte de l'hypoacousie au taux de 15 %, en sus de la perte de sélectivité de 10 % déjà pensionnée, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A... et au ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 3 mai 2022 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 mai 2022.

La rapporteure,
Anne B...
La présidente,
Catherine GiraultLa greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui la concerne et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

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N° 19BX04357