Conseil d'État, 4ème chambre, 14/06/2022, 446406, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision14 juin 2022
Num446406
Juridiction
Formation4ème chambre
RapporteurMme Catherine Brouard-Gallet
CommissaireM. Raphaël Chambon
AvocatsSARL DELVOLVE ET TRICHET ; SCP THOUVENIN, COUDRAY, GREVY

Vu la procédure suivante :

Mme B... A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Dijon de condamner l'Etat à lui verser une provision de 80 000 euros à valoir sur la réparation des préjudices résultant d'un accident survenu le 17 septembre 2015 dans la salle de classe dans laquelle elle exerçait ses fonctions de professeure des écoles. Par une ordonnance n° 1902922 du 11 mai 2020, le juge des référés du tribunal administratif a condamné l'Etat à verser à Mme A... une provision de 80 000 euros à valoir sur les préjudices subis et a condamné la commune de Noiron-sous-Gevrey à garantir l'Etat du paiement de cette provision.

Par une ordonnance n° 20LY01626 du 29 septembre 2020, le juge des référés de la cour administrative d'appel de Lyon a annulé, sur appel de la commune de Noiron-sous-Gevrey, l'ordonnance du 11 mai 2020 en ce qu'elle avait condamné celle-ci à garantir l'Etat des condamnations prononcées à son encontre.

Par une ordonnance n° 20LY02290 du 27 octobre 2020, le juge des référés de la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l'appel du ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports contre la même ordonnance en ce qu'elle lui faisait grief.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 12 novembre et 10 décembre 2020 et le 1er février 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance du 27 octobre 2020 ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel et de mettre hors de cause l'Etat, à titre subsidiaire, de dire que l'Etat est relevé en garantie par le syndicat intercommunal à vocation scolaire de Noiron-sous-Gevrey, Briondon, Epernay-sous-Gevrey et Savouges.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de l'éducation ;
- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Catherine Brouard-Gallet, conseillère d'Etat en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de Mme A... et à la SARL Delvolvé et Trichet, avocat de la commune de Noiron-sous-Gevrey et du SIVOS de Noiron-sous-Gevrey, Broindon, Epernay-sous-Gevrey et Savouges ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que Mme A..., professeure des écoles en poste à l'école élémentaire de Noiron-sous-Gevrey, a été victime d'un accident alors qu'elle était en salle de classe, un tableau de bois s'étant détaché du mur et lui ayant occasionné un grave traumatisme au crâne et à une épaule. Cet accident a été reconnu imputable au service par arrêté de la rectrice de l'académie de Dijon du 19 octobre 2015. A la demande de Mme A..., une expertise médicale a été ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Dijon. Suite à ce rapport, Mme A... a formé le 22 août 2019 un recours indemnitaire préalable auprès du ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports demandant l'indemnisation de son entier préjudice à hauteur de 322 500 euros. Sa demande a été implicitement rejetée. Mme A... a alors introduit, le 17 octobre 2019, une requête en référé-provision devant le juge des référés du tribunal administratif de Dijon afin d'obtenir le versement par l'Etat d'une provision de 80 000 euros. Par une ordonnance du 11 mai 2020, le juge des référés a mis à la charge de l'Etat le versement de cette provision et a condamné la commune de Noiron-sous-Gevrey à garantir l'Etat du paiement de cette somme. Sur appel de la commune, par une ordonnance du 29 septembre 2020, le juge des référés de la cour administrative d'appel de Lyon a annulé l'ordonnance du 11 mai 2020 en ce qu'elle a condamné la commune à garantir l'Etat du versement de la provision et a rejeté l'appel en garantie de l'Etat à l'encontre de la commune. Saisi de l'appel formé par le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports contre l'ordonnance du 11 mai 2020 en tant qu'elle l'a condamné à verser une provision à Mme A..., le juge des référés de la cour administrative d'appel de Dijon a rejeté par ordonnance du 27 octobre 2020, la requête du ministre. Le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports se pourvoit en cassation contre cette ordonnance.

Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :

2. En premier lieu, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, le juge administratif dispose, sans jamais y être tenu, de la faculté de joindre deux ou plusieurs affaires. L'absence de jonction est, par elle-même, insusceptible d'avoir un effet sur la régularité de la décision rendue et ne peut, par suite, être contestée en tant que telle devant le juge d'appel ou devant le juge de cassation. Par suite, le moyen tiré de ce que le juge des référés de la cour administrative d'appel de Lyon aurait entaché la procédure juridictionnelle d'irrégularité en ne procédant pas à la jonction des requêtes de la commune de Noiron-sous-Gevrey et du ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports dirigées contre l'ordonnance du 11 mai 2020 doit être écarté.

3. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 5 du code de justice administrative : " L'instruction des affaires est contradictoire. Les exigences de la contradiction sont adaptées à celles de l'urgence. ". Aux termes de l'article R. 541-1 du même code : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie. ". L'ordonnance de référé accordant ou refusant une provision en application des dispositions précitées de l'article R. 541-1 est rendue à l'issue d'une procédure particulière, adaptée à la nature de la demande et à la nécessité d'une décision rapide. Il en résulte que le juge des référés de la cour administrative d'appel de Lyon a pu, sans méconnaître le caractère contradictoire de l'instruction, statuer sans avoir communiqué au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports le mémoire présenté devant lui par le syndicat intercommunal à vocation scolaire de Noiron-sous-Gevrey, Briondon, Epernay-sous-Gevrey et Savouges (le SIVOS) qui n'était pas partie devant le juge des référés du tribunal administratif de Dijon, alors qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés de la cour que ce mémoire ne comportait pas d'élément, nouveau par rapport aux mémoires déjà transmis, susceptible d'exercer une influence sur sa décision. Par ailleurs, le juge des référés de la cour administrative d'appel a statué par une décision suffisamment motivée. Par suite, le moyen tiré de ce que l'ordonnance attaquée aurait été rendue à l'issue d'une procédure irrégulière et serait elle-même entachée d'irrégularité doit être écarté.

Sur le bien-fondé de l'ordonnance attaquée :

4. Les dispositions des articles L. 27 et L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite et 65 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat qui instituent, en faveur des fonctionnaires victimes d'accidents de service ou de maladies professionnelles, une rente viagère d'invalidité en cas de mise à la retraite et une allocation temporaire d'invalidité en cas de maintien en activité doivent être regardées comme ayant pour objet de réparer les pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par un accident de service ou une maladie professionnelle. Ces dispositions déterminent forfaitairement la réparation à laquelle les fonctionnaires concernés peuvent prétendre, au titre de ces chefs de préjudice, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions. Elles ne font en revanche obstacle ni à ce que le fonctionnaire qui subit, du fait de l'invalidité ou de la maladie, des préjudices patrimoniaux d'une autre nature ou des préjudices personnels, obtienne de la collectivité qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, ni à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre cette personne publique, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette personne ou à l'état d'un ouvrage public dont l'entretien lui incombait.

5. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la rectrice de l'académie de Dijon faisait valoir devant le juge des référés du tribunal administratif de Dijon, qu'en l'espèce, l'obligation justifiant la demande de provision n'était pas contestée dans son principe, l'accident étant imputable au service. Par suite, le juge des référés de la cour administrative d'appel de Lyon ne s'est pas mépris sur la portée des conclusions présentées par la rectrice de l'académie de Dijon devant le juge des référés du tribunal administratif en retenant qu'elle avait admis le caractère non contestable de l'obligation dont l'existence était invoquée par Mme A... au soutien de ses conclusions tendant à l'octroi d'une provision à la charge de l'Etat.

6. En deuxième lieu, il résulte de ce qui est dit aux points 4 et 5 que c'est sans commettre d'erreur de droit que le juge des référés de la cour administrative d'appel de Lyon, après avoir relevé par une appréciation souveraine des faits non arguée de dénaturation que les rapports d'expertise avaient mentionné en particulier l'importance des troubles subis par Mme A... dans ses conditions d'existence du fait de l'accident de service, a retenu que, dans la mesure où la réparation de ces préjudices est susceptible d'être mise à la charge de l'Etat même en l'absence de faute, l'obligation dont l'existence est invoquée par Mme A... au soutien de ses conclusions tendant à l'octroi d'une provision à la charge de l'Etat n'est pas sérieusement contestable au sens de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, sans qu'il ait eu à se prononcer dans cette instance sur une éventuelle faute de l'Etat, ni à tirer les conséquences de l'ordonnance du 29 septembre 2020.

7. En troisième et dernier lieu, il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés, et il n'est au demeurant pas contesté par les parties, que la rectrice n'avait pas expressément dirigé, devant le juge des référés du tribunal administratif, ses conclusions d'appel en garantie contre le SIVOS. Par suite, les conclusions présentées par le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports devant le juge des référés de la cour administrative d'appel, appelant le SIVOS en garantie comme devant être tenu pour seul responsable des préjudices subis par Mme A..., étaient nouvelles en appel et ne pouvaient, par suite, qu'être rejetées comme irrecevables. Ce motif, dont l'examen n'implique aucune nouvelle appréciation des circonstances de fait, doit être substitué au motif erroné par lequel le juge des référés de la cour administrative d'appel a jugé que le ministre chargé de l'éducation nationale n'est pas recevable à appeler en garantie le SIVOS au motif que de telles conclusions soulèvent un litige distinct.

8. Il résulte de tout ce qui précède que le pourvoi du ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports doit être rejeté.

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à Mme A... ainsi que la somme globale de 3 000 euros à verser à la commune de Noiron-sous-Gevrey et au syndicat intercommunal à vocation scolaire de Noiron-sous-Gevrey, Briondon, Epernay-sous-Gevrey et Savouges au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi du ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports est rejeté.
Article 2 : L'Etat versera à Mme A... la somme de 3 000 euros et à la commune de Noiron-sous-Gevrey et au syndicat intercommunal à vocation scolaire de Noiron-sous-Gevrey, Briondon, Epernay-sous-Gevrey et Savouges la somme globale de 3 000 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, à Mme B... A..., à la commune de Noiron-sous-Gevrey et au syndicat intercommunal à vocation scolaire de Noiron-sous-Gevrey, Briondon, Epernay-sous-Gevrey et Savouges.


Délibéré à l'issue de la séance du 12 mai 2022 où siégeaient : Mme Maud Vialettes, présidente de chambre, présidant ; Mme Fabienne Lambolez, conseillère d'Etat et Mme Catherine Brouard-Gallet, conseillère d'Etat en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 14 juin 2022.

La présidente :
Signé : Mme Maud Vialettes

La rapporteure :
Signé : Mme Catherine Brouard-Gallet

Le secrétaire :
Signé : M. Jean-Marie Baune

ECLI:FR:CECHS:2022:446406.20220614