CAA de MARSEILLE, 4ème chambre, 05/07/2022, 21MA04023, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision05 juillet 2022
Num21MA04023
JuridictionMarseille
Formation4ème chambre
PresidentM. BADIE
RapporteurM. Didier URY
CommissaireM. ANGENIOL
AvocatsHADDAD

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... E... a demandé au tribunal administratif de Marseille, d'une part, par la requête enregistrée sous le n° 2003848, d'annuler la décision du 13 mars 2018 par laquelle la direction générale des finances publiques a suspendu le paiement des arrérages de la pension servie par la CNP Assurances à compter du 1er janvier 2002, ainsi que le titre de pension qui lui a été délivré qui fait application de cette minoration. D'autre part, par la requête n° 2010344, il a demandé l'annulation de la décision du 7 juillet 2020 par laquelle la commission de recours de l'invalidité a rejeté sa demande de révision de sa pension.

Par un jugement n° 2003848 - 2010344 du 19 juillet 2021, le tribunal administratif de Marseille a rejeté les requêtes de M. E....

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 30 septembre 2021, M. E..., représenté par
Me Haddad, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 19 juillet 2021 ;

2°) d'annuler la décision du 13 mars 2018 par laquelle la direction générale des finances publiques a suspendu le paiement des arrérages de la pension servie par la CNP Assurances à compter du 1er janvier 2002 ;




3°) d'annuler l'annulation de la décision du 7 juillet 2020 par laquelle la commission de recours de l'invalidité a rejeté sa demande de révision de sa pension ;

4°) d'enjoindre à l'administration d'exécuter le jugement du tribunal des pensions de Marseille du 20 décembre 2016, sans faire application de la règle du non-cumul ;

5°) de lui accorder une pension pour l'infirmité de " céphalées " ;

6°) de lui accorder une pension pour l'infirmité de " diabète insulinodépendant " ;

7°) de lui accorder l'allocation pour tierce personne ;

8°) de porter à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros en application de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
- le tribunal a statué au visa d'un article L 1331-1 du code des pensions militaires et des victimes de guerre, point 7 de la décision, qui n'existe pas ; il a ainsi entaché son jugement d'une erreur de droit qui rend le jugement irrégulier ;
- le tribunal n'a pas motivé le rejet de sa demande de suspension de la pension ;
- c'est à tort que la règle du non-cumul lui a été appliquée puisque si le fait générateur est identique, les deux prestations ne relèvent pas du même régime juridique ; d'une part, il s'agit de l'engagement de la responsabilité de l'Etat, de l'autre de son adhésion à la CNP Assurance du fait de son impossibilité de travailler en raison de son invalidité ; l'administration ne respecte pas la prescription quadriennale en faisant rétroagir la suspension à compter de l'année 2002, et le principe de sécurité juridique est méconnu ;
- il est fondé à solliciter l'allocation à la tierce personne au regard de l'expertise du docteur B... ;
- il est fondé à solliciter une pension pour l'infirmité de " céphalées " qui est en relation avec les blessures survenues le 31 juillet 1961 ;
- le diabète qu'il présente est lié aux troubles de l'humeur imputables au traumatisme initial et aux séquelles corporelles qu'il a généré.


Par un mémoire en défense enregistré le 24 janvier 2022, la ministre des armées conclut au rejet de la requête.

La ministre fait valoir que les moyens de M. E... ne sont pas fondés.


Par un mémoire en défense enregistré le 25 janvier 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.

Le ministre fait valoir que les moyens de M. E... ne sont pas fondés.


Par ordonnance du 10 mai 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au
25 mai 2022 à 12 heures.





Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- le code de justice administrative.


Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Ury,
- et les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public.



Considérant ce qui suit :


1. M. E..., né le 12 janvier 1953, de nationalité française, a été victime à l'âge de
8 ans d'un accident de la circulation causé par un camion militaire en Algérie le 31 juillet 1961, ayant entrainé de multiples blessures. Un jugement rendu le 8 décembre 2016 par le tribunal des pensions de Marseille accorde la qualification d'attentat à cet accident au sens de la loi n° 63-778 du 31 juillet 1963 visant spécifiquement les victimes civiles de tout acte de violence en relation avec les évènements survenus sur le territoire algérien, au motif que les militaires qui étaient dans le camion fuyaient une embuscade des fellaghas. Au titre de victime civile d'un acte de violence en relation avec les évènements survenus sur le territoire algérien entre le
31 octobre 1954 et jusqu'au 29 septembre 1962, M. E... dispose d'une rente viagère versée par la CNP Assurances. L'intéressé a contesté devant le tribunal des pensions militaires de Marseille la décision du 13 mars 2018 de suspension des arrérages de la pension servie par la CNP Assurances à compter du 1er janvier 2002 ainsi que le titre de pension qui lui a été délivré faisant application de cette minoration, et par une requête présentée devant le tribunal administratif de Marseille, il a contesté la décision du 7 juillet 2020 par laquelle la commission de recours de l'invalidité a rejeté sa demande de révision de sa pension s'agissant de l'aide d'une tierce personne, des céphalées et du diabète. Il relève appel du jugement du 19 juillet 2021 qui rejette ses deux requêtes dirigées contre l'ensemble de ces décisions.


Sur la régularité du jugement :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " les jugements sont motivés ". Il ressort des mentions du point 4 du jugement attaqué, que le tribunal a suffisamment motivé sa décision en indiquant qu'en raison de la perception par le requérant d'une rente viagère versée par CNP Assurances, et en vertu des dispositions du 2ème alinéa de l'article L. 162-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, le moyen tiré de ce que la règle de l'interdiction de cumul ne peut être appliquée à M. E..., doit être écarté. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation du jugement ne peut qu'être écarté.




3. En deuxième lieu, s'il est constant que le jugement attaqué désigne le texte sur lequel il se fonde s'agissant de la révision de la pension, comme étant l'article " L. 1331-1 " du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ", alors qu'il s'agit en réalité de celui de l'article " L. 133-1 " du même code, dont il cite les termes exacts à la suite de la mention de l'article, cette simple erreur de plume ne constitue toutefois pas, en l'absence de toute ambiguïté sur la législation appliquée par les premiers juges, une irrégularité de nature à en justifier l'annulation.


Sur les droits à pension de M. E... :

En ce qui concerne la suspension de la pension :

4. Aux termes de l'article 112 du code des pensions militaires d'invalidité des victimes de la guerre : " Les pensions définitives ou temporaires, majorations et allocations concédées conformément au présent code demeurent soumises à toutes les règles relatives au cumul édictées pour les pensions militaires par les lois et règlements en vigueur (...) ". Aux termes également de l'article L. 219 du même code : " Les indemnités pouvant être dues aux personnes visées au paragraphe 2 de la section 1 ou à leurs ayants cause, en raison du fait générateur du droit à pension, en vertu, soit d'une législation étrangère, soit d'autre régime français de réparation, sont déduites des sommes qui reviennent aux victimes civiles ou à leurs ayants cause. (...) ".

5. Il résulte de l'instruction que M. E... a obtenu d'une part, une rente viagère d'accident du travail versée par la CNP Assurances au titre de l'accident du 31 juillet 1961, et d'autre part, une pension militaire d'invalidité en exécution d'un jugement du 8 décembre 2016 du tribunal des pensions de Marseille, pour les conséquences du même acte du 31 juillet 1961. Ainsi, même si le fondement juridique est différent, contrairement à ce qu'il soutient,
M. E... bénéficiait de deux régimes de réparations pour le même fait générateur. Dès lors, les dispositions précitées de l'article 219 du code des pensions militaires d'invalidité des victimes de la guerre relatives au cumul pouvaient légalement trouver à s'appliquer. Par suite, les conclusions de M. E..., dirigées contre la décision du 13 mars 2018 par laquelle la direction générale des finances publiques a suspendu, à compter du 1er janvier 2002, le versement de la pension versée par l'Etat, dès lors qu'il n'est pas contesté que le montant de ladite pension était inférieur à celui de la pension versée par la CNP Assurances, doivent être rejetées.

6. Par ailleurs, à supposer qu'il le soutienne pour contester le bien-fondé de la décision de suspension de sa pension à compter du 2 janvier 2002, M. E... n'est pas fondé à se prévaloir des dispositions de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics, pour opposer l'exception de prescription quadriennale à l'Etat, car ce texte ne trouve à s'appliquer qu'au profit notamment de l'Etat, et non des administrés. Par suite, ce moyen doit être écarté comme inopérant.

7. Enfin en se bornant à soutenir que le principe de sécurité juridique est méconnu sans plus de précision, M. E... ne met pas le juge en mesure d'apprécier ce moyen qui ne peut qu'être écarté.






En ce qui concerne la révision de la pension :

8. En premier lieu, aux termes de l'article L. 124-20 du code des pensions militaires d'invalidité des victimes de la guerre : " Il appartient aux postulants de faire la preuve de leurs droits à pension en établissant que l'infirmité invoquée a bien son origine dans une blessure ou dans une maladie causée par l'un des faits prévus aux sections 1 et 2 du présent chapitre ".

9. D'une part, à l'appui de sa demande d'attribution du 25 mai 2018 d'une pension pour l'infirmité de " céphalées ", M. E..., alors âgé de 58 ans, fait valoir que les interventions chirurgicales qu'il a subies, outre le coma d'une durée de trois mois dans lequel il s'est trouvé plongé, à la suite de l'accident du 31 juillet 1961 survenu à l'âge de 8 ans, lui causent de sévères céphalées et des douleurs quotidiennes qui s'accroissent avec l'âge, notamment suite à des fractures du crâne incurables. Toutefois, hormis les éléments décrits par l'intéressé, celui-ci n'apporte aucun document médical de nature à établir un lien de causalité avec les pathologies qu'il évoque et les conséquences de l'accident précité dont il souffre depuis l'âge de 8 ans.

10. D'autre part, la circonstance que M. E... a été hospitalisé à l'âge de 8 ans en raison de l'accident susmentionné, n'est pas plus de nature à établir que le diabète qu'il présente au 25 mai 2018, pour lequel il a sollicité une pension pour l'infirmité de " diabète insulinodépendant ", trouve son origine dans les conséquences de l'accident qu'il a subi dans sa prime enfance, ou même à supposer qu'il le soutienne, qu'il puisse être rattaché à l'infirmité " syndrome dépressif réactionnel " pour laquelle il est pensionné.

11. En second lieu, aux termes de l'article L. 133-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre : " Les invalides que leurs infirmités rendent incapables de se mouvoir, de se conduire ou d'accomplir les actes essentiels de la vie et qui, vivant chez eux, sont obligés de recourir de manière constante aux soins d'une tierce personne, ils ont droit, à titre d'allocation spéciale, à une majoration égale au quart de la pension. (...) ".

12. D'une part, si ces dispositions ne peuvent être interprétées comme exigeant que l'aide d'un tiers soit nécessaire à l'accomplissement de la totalité des actes nécessaires à la vie courante, elle impose toutefois que l'aide d'une tierce personne soit indispensable ou bien pour l'accomplissement d'actes nombreux se répartissant tout au long de la journée, ou bien pour faire face soit à des manifestations imprévisibles des infirmités dont le pensionné est atteint, soit à des soins dont l'accomplissement ne peut être subordonné à un horaire préétabli, et dont l'absence mettrait sérieusement en danger l'intégrité physique ou la vie de l'intéressé. D'autre part, le bénéfice de l'article L. 133-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre en faveur des invalides que leurs infirmités rendent incapables de se mouvoir, de se conduire ou d'accomplir les actes essentiels à la vie ne peut être accordé que si la nécessité de l'aide constante d'une tierce personne est la conséquence directe et exclusive d'affections imputables au service.

13. Au cas de l'espèce, il résulte des termes de l'expertise médicale du docteur B... du 3 octobre 2018, expert mandaté par l'administration, que M. E... se déplace en fauteuil roulant et qu'il est incapable de sortir de chez lui. S'il peut réaliser les actes de la vie courante, il doit être assisté au quotidien en raison de sa faible endurance à l'effort. S'il peut passer du fauteuil au lit, du lit au fauteuil, et faire sa toilette, il doit être installé dans la salle de bains et être aidé, et il ne peut pas préparer ses repas ou mettre la table. L'expert indique que l'état de santé de M. E... requiert l'assistance d'une tierce personne à hauteur de six heures par jour. Ainsi, il résulte de l'instruction que la possibilité de prodiguer l'aide nécessaire à M. E..., qui reste autonome pour une partie des actes de la vie courante, peut être dispensée à des horaires préétablis. Dans ces conditions, l'appelant n'est pas fondé à soutenir qu'il a droit à la majoration prévue à l'article L. 133-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre dont les conditions sont strictement entendues.

14. Il résulte de tout ce qui précède que M. E... n'est pas fondé
à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa requête n° 2010344, en tant qu'il a rejeté sa demande d'obtention de la majoration pour assistance à tierce personne.


Sur les frais exposés à l'occasion du litige :

15. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens (...) ". Il résulte de ces dispositions que le paiement des sommes exposées et non comprises dans les dépens ne peut être mis à la charge que de la partie qui perd pour l'essentiel.

16. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre une somme à la charge de l'Etat au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.


















D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. E... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... E..., au ministre des armées et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté.


Délibéré après l'audience du 21 juin 2022, où siégeaient :

- M. Badie, président,
- M. Revert, président assesseur,
- M. Ury, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 juillet 2022




N° 21MA040232