CAA de MARSEILLE, 5ème chambre, 19/09/2022, 19MA04321, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler l'arrêté du maire de Narbonne du 30 mars 2018 l'admettant à la retraite pour invalidité en tant qu'il ne prévoit pas que celle-ci est imputable au service, ainsi que la décision du 18 juillet 2018 rejetant son recours gracieux.
Par un jugement n° 1804348 du 18 juillet 2019, le tribunal administratif de Montpellier a fait droit aux conclusions de Mme C....
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 14 septembre 2019 et le 23 mars 2020, la commune de Narbonne, représentée par la SCP Juris Excell, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 18 juillet 2019 du tribunal administratif de Montpellier ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme C... en première instance ;
3°) de mettre les dépens à la charge de Mme C..., ainsi que la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision du 18 juillet 2018 n'est pas entachée d'incompétence ;
- l'invalidité de Mme C... n'est pas imputable au service.
Par deux mémoires en défense, enregistrés le 25 octobre 2019 et le 27 mars 2020, Mme C..., représentée par la SELARL Lysis avocats, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête présentée par la commune de Narbonne ;
2°) de faire droit à ses conclusions de première instance ;
3°) de mettre les dépens à la charge de la commune de Narbonne, ainsi que la somme de 2 500 euros à verser à la SELARL Lysis avocats sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- la décision du 18 juillet 2018 est entachée d'incompétence ;
- son invalidité est imputable au service.
Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 29 novembre 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le décret n° 2003-1306 du 26 décembre 2003 ;
- le code de justice administrative.
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. A...,
- les conclusions de M. Pecchioli, rapporteur public,
- et les observations de Me Noel, substituant la SCP Juris Excell, avocat de la commune de Narbonne.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C... a été engagée en tant qu'agent contractuel de la fonction publique territoriale par le centre communal d'action sociale (CCAS) de Narbonne, puis par la commune de Narbonne. Elle a été titularisée dans le cadre d'emplois des adjoints administratifs territoriaux à compter du 1er mai 2010 par un arrêté du 25 avril 2010. Elle a été placée en congé de longue maladie, puis en congé de longue durée, du 14 juin 2011 au 13 juin 2016.
2. Par un jugement du 18 juillet 2019, le tribunal administratif de Montpellier, saisi par Mme C..., a annulé l'arrêté du maire de Narbonne du 30 mars 2018 l'admettant à la retraite pour invalidité, en tant que cet arrêté ne prévoit pas que l'invalidité est imputable au service, ainsi que la décision du 18 juillet 2018 rejetant son recours gracieux. Le tribunal a également enjoint au maire de Narbonne de réexaminer l'imputabilité au service de l'invalidité de Mme C... dans un délai de trois mois. La commune de Narbonne fait appel de ce jugement.
Sur le fond :
3. L'article 37 du décret du 26 décembre 2003 relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales prévoit que : " I.- Les fonctionnaires qui ont été mis à la retraite dans les conditions prévues à l'article 36 ci-dessus bénéficient d'une rente viagère d'invalidité cumulable, selon les modalités définies au troisième alinéa du I de l'article 34, avec la pension rémunérant les services prévus à l'article précédent. /Le bénéfice de cette rente viagère d'invalidité est attribuable si la radiation des cadres ou le décès en activité interviennent avant que le fonctionnaire ait atteint la limite d'âge sous réserve de l'application des articles 1er-1 à 1er-3 de la loi du 13 septembre 1984 susvisée et sont imputables à des blessures ou des maladies survenues dans l'exercice des fonctions ou à l'occasion de l'exercice des fonctions, ou résultant de l'une des autres circonstances énumérées à l'article 36 ci-dessus. "
4. Il ressort des pièces du dossier que Mme C... a été victime de harcèlement moral par sa responsable hiérarchique de 1999 à 2009, ce que la commune de Narbonne ne conteste pas. Selon le rapport réalisé par un expert psychiatre en février 2016 et l'avis de la commission de réforme des fonctionnaires des collectivités territoriales de l'Aude du 16 novembre 2016, l'invalidité de Mme C... résulte de troubles dépressifs trouvant leur origine dans la situation persistante de harcèlement professionnel qu'elle a subie au CCAS de Narbonne. Il ressort également des pièces du dossier que l'évolution de cette pathologie, déjà présente, a conduit à l'inaptitude de l'agent à compter du 14 juin 2011, date que la commission de réforme a regardée comme étant celle d'apparition des symptômes. Contrairement à ce que soutient la commune de Narbonne, ces éléments sont cohérents et permettent par eux-mêmes d'établir un lien direct entre les conditions de travail de Mme C... au CCAS de Narbonne et la pathologie à l'origine de sa mise à la retraite. Par ailleurs, il est constant que les congés maladie de l'intéressée pour la période comprise entre 1996 et 2000 ne sont pas en lien avec la maladie à l'origine de l'invalidité définitive. Enfin, si la commune fait valoir que la pathologie de Mme C... s'accompagne d'éléments psychotiques préexistants liés à des troubles bipolaires, ces éléments ne suffisent pas pour remettre en cause l'existence d'un lien direct entre sa pathologie et le service, dès lors qu'un tel lien ne revêt pas nécessairement un caractère exclusif. A même supposer que ces éléments aient été préexistants, ils ont en tout état de cause été aggravés par les conditions d'exercice des fonctions, ce qui est également de nature à justifier la reconnaissance de l'imputabilité au service. Le tribunal a retenu ce moyen à juste titre.
5. Il résulte de ce qui précède que la commune de Narbonne n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a annulé l'arrêté du 30 mars 2018 et la décision du 18 juillet 2018.
Sur l'injonction :
6. Les conclusions à fin d'injonction présentées par Mme C..., identiques à celles déjà présentées en première instance, ne sont assorties d'aucun moyen critiquant utilement la solution retenue par les premiers juges. Ces conclusions doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
7. Aucuns dépens n'ont été exposés dans le cadre du présent litige.
8. Mme C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Narbonne le versement de la somme de 2 000 euros à la SELARL Lysis avocats, avocat de Mme C..., sous réserve que l'avocat renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
9. En revanche, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées par la commune de Narbonne au titre des frais qu'elle a exposés et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la commune de Narbonne est rejetée.
Article 2 : La commune de Narbonne versera la somme de 2 000 euros à la SELARL Lysis avocats en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que celle-ci renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État.
Article 3 : Le surplus des conclusions de Mme C... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Narbonne, à Mme B... C... et à la SELARL Lysis avocats.
Délibéré après l'audience du 5 septembre 2022, où siégeaient :
- M. Bocquet, président,
- Mme Vincent, présidente assesseure,
- M. Mérenne, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 septembre 2022.
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No 19MA04321