CAA de DOUAI, 3ème chambre, 04/10/2022, 21DA02859, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision04 octobre 2022
Num21DA02859
JuridictionDouai
Formation3ème chambre
PresidentMme Borot
RapporteurM. Frédéric Malfoy
CommissaireM. Carpentier-Daubresse
AvocatsSOCIETE D'AVOCATS VEDESI

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner le département du Pas-de-Calais à lui verser la somme de 39 791,80 euros en réparation de son préjudice résultant de l'illégalité de la décision du 6 juillet 2017 la plaçant en congé de longue durée à demi-traitement et des décisions des 15 juin 2018, 24 septembre 2018 et 5 février 2019 la plaçant en disponibilité d'office à demi-traitement et de mettre à la charge du département du Pas-de-Calais la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1908862 du 17 novembre 2021, le tribunal administratif de Lille a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés le 14 décembre 2021, le 4 mars 2022 et le 16 juin 2022, Mme A..., représentée par Me Leuliet, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler la décision implicite du président du conseil départemental du Pas-de-Calais du 18 août 2019 rejetant sa demande indemnitaire reçue le 18 juin 2019 ;

3°) de condamner le département du Pas-de-Calais à lui verser la somme de 39 791,80 euros en réparation du préjudice résultant de l'illégalité de l'arrêté du 6 juillet 2017 la plaçant en congé de longue durée à demi-traitement à compter du 21 juin 2017 jusqu'au 20 décembre 2017 et des arrêtés des 15 juin 2018, 24 septembre 2018 et 5 février 2019 la plaçant en disponibilité d'office à demi-traitement pour une période comprise entre le 21 juin 2018 et le 31 mars 2019 ;

4°) de mettre à la charge du département du Pas-de-Calais, la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
- c'est à tort que les premiers juges ont estimé irrecevable sa demande fondée sur l'illégalité des arrêtés des 6 juillet 2017 et 15 juin 2018, alors, d'une part, qu'ils ne constituent pas des décisions à objet purement pécuniaire et, d'autre part, que le département n'apporte pas la preuve que ces décisions sont devenues définitives ;
- la prescription quadriennale ne peut être soulevée pour la première fois en appel ;
- le jugement considère à tort que la consolidation de son état de santé fixée par une décision du 21 octobre 2013 devenue définitive fait obstacle au bénéfice du régime applicable aux congés accordés à la suite d'un accident de service ;
- tous ses arrêts maladie postérieurs à la consolidation sont consécutifs à l'accident de service dont elle a été victime le 18 novembre 2010 et devaient dès lors ouvrir droit au maintien de sa rémunération à plein traitement, conformément aux dispositions du 2° de l'article 57 de la loi du 26 janvier 1984 ;
- l'illégalité du refus du département du Pas-de-Calais de reconnaître l'imputabilité au service de sa pathologie emporte, par voie de conséquence, l'illégalité des arrêtés subséquents du 6 juillet 2017 la plaçant en congé de longue durée à demi-traitement et des 15 juin 2018, 24 septembre 2018 et 5 février 2019 la plaçant en disponibilité d'office à demi-traitement ;
- le refus du département de lui proposer un temps partiel thérapeutique est susceptible d'engager la responsabilité de ce dernier dans la mesure où l'absence de proposition adaptée à son état de santé est à l'origine des arrêtés illégaux qui ont suivi ;
- elle a subi un préjudice de 39 791,80 euros correspondant à la perte d'un demi-traitement de juillet 2016 à mars 2019.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 16 février 2022 et le 8 juin 2022, le département du Pas-de-Calais, représenté par Me Vergnon, conclut :
- à titre principal, au rejet de la requête d'appel en raison du caractère inopérant de l'exception d'illégalité de la décision individuelle refusant de reconnaître l'imputabilité au service de la maladie ;
- à titre subsidiaire, au rejet de la requête d'appel et à la confirmation intégrale du jugement contesté en ce qu'il a rejeté comme irrecevables les conclusions indemnitaires formées à l'encontre des arrêtés des 6 juillet 2017 et 15 juin 2018 et comme infondées celles formées à l'encontre des arrêtés des 24 septembre 2018 et 5 février 2019 ;
- à titre infiniment subsidiaire, en cas de condamnation, à la réduction de la somme à verser par déduction des sommes relatives au régime indemnitaire ;
- à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de Mme A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Il soutient que :
- les conclusions indemnitaires sont irrecevables dès lors qu'elles se rattachent à des arrêtés devenus définitifs, qui n'ont pas été contestés par Mme A... dans le délai raisonnable d'un an ;
- les conclusions indemnitaires fondées sur l'illégalité des arrêtés du 6 juillet 2017 et du 15 juin 2018 sont prescrites depuis le 31 décembre 2018, sur le fondement des dispositions de la loi du 31 décembre 1968 ;
- les moyens soulevés dans la requête ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 17 juin 2022, la clôture d'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 13 juillet 2022 à 12 heures.

En application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, les parties ont été informées, par courrier du 13 septembre 2022, que l'arrêt à intervenir était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions, présentées pour la première fois en appel, par lesquelles Mme A... invoque un nouveau fait générateur de responsabilité, fondé sur l'absence de proposition de reprise à temps partiel thérapeutique. Il s'agit d'un fait générateur distinct du préjudice invoqué devant les premiers juges, fondé sur l'illégalité fautive des arrêtés la plaçant en congé de longue durée à demi-traitement puis en disponibilité d'office pour raison de santé à demi-traitement et pour l'indemnisation duquel Mme A... avait formulé une demande préalable le 10 juin 2019.

Mme A..., représentée par Me Leuliet, a répondu le 14 septembre 2022. Cette réponse a été communiquée au département du Pas-de-Calais.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 modifiée ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 modifiée ;
- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
- le décret n° 87-602 du 30 juillet 1987 modifié ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Frédéric Malfoy, premier conseiller,
- les conclusions de M. Nil Carpentier-Daubresse, rapporteur public,
- et les observations de Me Leuliet représentant Mme A..., et de Me Laurent représentant le département du Pas-de-Calais.


Considérant ce qui suit :

1. Mme B... A..., assistante socio-éducative, employée par le département du Pas-de-Calais, a été victime, le 18 novembre 2010, d'une agression sur son lieu de travail qui lui a occasionné des contusions sur la jambe droite et un syndrome dépressif réactionnel. Cet accident ayant été reconnu imputable au service, Mme A... a bénéficié d'un congé de maladie imputable au service avec maintien intégral de son traitement jusqu'au 20 juin 2013. Par une décision du 21 octobre 2013, le département du Pas-de-Calais a fixé la date de consolidation au 21 juin 2013 et a considéré que la pathologie de Mme A... ne serait plus reconnue imputable au service à compter de ce jour. A compter de cette même date, l'administration l'a placée en congé de longue maladie non imputable au service jusqu'au 20 juin 2014 et l'a rémunérée à plein traitement. Mme A... a ensuite été placée en congé de longue durée du 21 juin 2014 au 20 juin 2016 à plein traitement. Par un arrêté du 11 octobre 2016, le président du conseil départemental du Pas-de-Calais a prolongé son congé de longue durée du 21 juin 2016 au 20 décembre 2016 à demi-traitement. Un arrêté du 12 janvier 2017 a prolongé le congé de longue durée du 21 décembre 2016 au 20 juin 2017, à demi-traitement. Une décision du 6 juillet 2017 a prolongé le congé de longue durée du 21 juin 2017 au 20 décembre 2017, à demi-traitement.

2. Par un arrêté du 15 juin 2018, Mme A... a ensuite été placée en disponibilité d'office pour raison de santé, du 21 juin 2018 au 30 novembre 2018, à demi-traitement. Un arrêté du 24 septembre 2018 a prolongé cette disponibilité d'office du 1er décembre 2018 au 31 janvier 2019, à demi-traitement. Un arrêté du 5 février 2019 a prolongé la disponibilité d'office du 1er février 2019 au 31 mars 2019, à demi-traitement. Enfin, un second arrêté du 5 février 2019 l'a mise à la retraite pour invalidité à compter du 1er avril 2019.

3. Par une lettre du 10 juin 2019, notifiée le 18 juin, Mme A... a sollicité du département du Pas-de-Calais le versement d'une indemnité réparant le préjudice qu'elle estime avoir subi, résultant de l'illégalité de l'arrêté du 6 juillet 2017 prolongeant son congé de longue durée et des arrêtés des 15 juin 2018, 24 septembre 2018 et 5 février 2019 la plaçant en disponibilité d'office pour raison de santé, qui l'ont selon elle indûment privée du maintien de son plein traitement. Mme A... relève appel du jugement du 17 novembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa requête.

Sur la recevabilité de la requête d'appel :

4. Mme A... soutient devant la cour que le refus du département de lui proposer un temps partiel thérapeutique, au moment de sa reprise de fonctions envisagée en 2012, est également susceptible d'engager la responsabilité de ce dernier.

5. Il résulte de l'instruction que si, dans sa requête de première instance, Mme A... a demandé au tribunal la condamnation du département du Pas-de-Calais au versement d'une indemnité tendant à la réparation des préjudices résultant de l'illégalité fautive de l'arrêté du 6 juillet 2017 la plaçant en congé de longue durée à demi-traitement et des arrêtés des 15 juin 2018, 24 septembre 2018 et 5 février 2019 la plaçant en disponibilité d'office à demi-traitement, elle n'a toutefois pas sollicité l'indemnisation d'un préjudice en lien avec le refus que le département aurait opposé à sa demande tendant à bénéficier d'une reprise à temps partiel thérapeutique. Dès lors, ses conclusions à fin d'indemnisation des préjudices qui résulteraient de l'illégalité de cette dernière décision, qui constitue un fait générateur distinct de celui invoqué devant les premiers juges et pour la seule indemnisation desquels elle avait formulé une demande préalable le 10 juin 2019, doivent être rejetées comme irrecevables, ainsi qu'en ont été informées les parties.

Sur la régularité du jugement :

6. L'expiration du délai permettant d'introduire un recours en annulation contre une décision expresse dont l'objet est purement pécuniaire fait obstacle à ce que soient présentées des conclusions indemnitaires ayant la même portée.

7. Il ressort des termes du jugement contesté que, pour rejeter les conclusions indemnitaires présentées par Mme A..., le tribunal administratif de Lille a retenu que l'intéressée avait été rendue destinataire d'un premier arrêté du 6 juillet 2017 du président du département du Pas-de-Calais prolongeant sa période de congé de longue durée du 21 juin 2017 au 20 décembre 2017 puis d'un deuxième arrêté en date du 15 juin 2018 la plaçant en disponibilité d'office du 21 juin 2018 au 30 novembre 2018 et que l'intéressée n'ayant exercé aucun recours juridictionnel à leur encontre, ces deux décisions étaient devenues définitives, de sorte que ses conclusions indemnitaires, qui n'avaient pas d'autre objet que de remettre en cause rétroactivement les effets pécuniaires de ces deux arrêtés dont elle avait fait l'objet, n'étaient pas recevables. Toutefois, les arrêtés qui placent un agent en congé de longue durée et en disponibilité d'office en raison de son état de santé, emportent des effets juridiques sur sa situation individuelle qui ne sont pas exclusivement financiers, de sorte qu'ils ne sauraient être regardés comme ayant un objet purement pécuniaire. Dès lors, sans qu'il soit besoin de rechercher si ces arrêtés avaient ou non des effets pécuniaires, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif de Lille, Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, ce tribunal a rejeté, comme irrecevables, ses conclusions indemnitaires fondées sur l'illégalité des deux arrêtés pris les 6 juillet 2017 et 15 juin 2018 et à demander l'annulation de ce jugement en tant qu'il rejette, pour ce motif, ces conclusions.

8. Il y a ainsi lieu de statuer immédiatement par la voie de l'évocation sur les conclusions indemnitaires de Mme A... fondées sur l'illégalité des décisions du 6 juillet 2017 et du 15 juin 2018 puis par la voie de l'effet dévolutif de l'appel en ce qui concerne ses conclusions indemnitaires tirées de l'illégalité des décisions des 24 septembre 2018 et 5 février 2019 prolongeant sa disponibilité d'office pour raison de santé.

Sur les conclusions indemnitaires fondées sur l'illégalité des décisions du 6 juillet 2017 et du 15 juin 2018 :

Sur la fin de non-recevoir opposée par le département du Pas-de-Calais :

9. Il résulte du principe de sécurité juridique que le destinataire d'une décision administrative individuelle qui a reçu notification de cette décision ou en a eu connaissance dans des conditions telles que le délai de recours contentieux ne lui est pas opposable doit, s'il entend obtenir l'annulation ou la réformation de cette décision, saisir le juge dans un délai raisonnable, qui ne saurait, en règle générale et sauf circonstances particulières, excéder un an. Toutefois, cette règle ne trouve pas à s'appliquer aux recours tendant à la mise en jeu de la responsabilité d'une personne publique qui, s'ils doivent être précédés d'une réclamation auprès de l'administration, ne tendent pas à l'annulation ou à la réformation de la décision rejetant tout ou partie de cette réclamation mais à la condamnation de la personne publique à réparer les préjudices qui lui sont imputés. La prise en compte de la sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause indéfiniment des situations consolidées par l'effet du temps, est alors assurée par les règles de prescription prévues par la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics ou, en ce qui concerne la réparation des dommages corporels, par l'article L. 1142-28 du code de la santé publique.

10. Le département du Pas-de-Calais fait valoir que le caractère définitif de la décision du 21 octobre 2013 refusant de reconnaître l'imputabilité au service des arrêts maladie de Mme A... à compter du 21 juin 2013 fait obstacle à ce que l'intéressée invoque l'illégalité de cette décision au soutien de sa demande indemnitaire. Toutefois, ainsi qu'il a été dit au point précédent, aucun délai raisonnable n'est opposable à un recours tendant à la mise en jeu de la responsabilité de personnes publiques. Il s'ensuit que la fin de non-recevoir opposée par le département doit être écartée.

Sur le bien-fondé des demandes indemnitaires tirées de l'illégalité des arrêtés des 6 juillet 2017 et 15 juin 2018 :

11. Mme A... demande l'indemnisation du préjudice financier qu'elle estime avoir subi du fait de l'illégalité de l'arrêté du 6 juillet 2017 la plaçant en congé de longue durée à demi-traitement du 21 juin au 20 décembre 2017 et de l'arrêté du 15 juin 2018 la plaçant en disponibilité d'office à demi-traitement pour une période allant du 21 juin au 30 novembre 2018, en tant que ces deux arrêtés ne lui ont pas fait application du régime applicable lorsque la pathologie résulte d'un accident imputable au service.

12. Aux termes de l'article 57 de la loi du 26 janvier 1984 applicable au litige : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. (...) / Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite ou d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à la mise à la retraite. (...) / 3° A des congés de longue maladie d'une durée maximale de trois ans dans les cas où il est constaté que la maladie met l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions, rend nécessaires un traitement et des soins prolongés et présente un caractère invalidant et de gravité confirmée. Le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement pendant un an ; le traitement est réduit de moitié pendant les deux années qui suivent. (...) / Les dispositions des deuxième, troisième et quatrième alinéas du 2° du présent article sont applicables aux congés de longue maladie ; 4° A un congé de longue durée, en cas de tuberculose, maladie mentale, affection cancéreuse, poliomyélite ou déficit immunitaire grave et acquis, de trois ans à plein traitement et de deux ans à demi-traitement. (...) / Si la maladie ouvrant droit à congé de longue durée a été contractée dans l'exercice des fonctions, les périodes fixées ci-dessus sont respectivement portées à cinq ans et trois ans. / Sauf dans le cas où le fonctionnaire ne peut être placé en congé de longue maladie à plein traitement, le congé de longue durée ne peut être attribué qu'à l'issue de la période rémunérée à plein traitement d'un congé de longue maladie. Cette période est réputée être une période du congé de longue durée accordé pour la même affection. Tout congé attribué par la suite pour cette affection est un congé de longue durée. (...) ". Aux termes de l'article 72 de cette loi : " La disponibilité est la position du fonctionnaire qui, placé hors de son administration ou service d'origine, cesse de bénéficier, dans cette position, de ses droits à l'avancement et à la retraite. / (...) La disponibilité est prononcée, (...) soit d'office à l'expiration des congés prévus aux 2°, 3° et 4° de l'article 57. (...) ".

13. D'une part, une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service.


14. Lorsque la maladie d'un fonctionnaire a été contractée ou aggravée dans l'exercice de ses fonctions, ce dernier conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à sa mise à la retraite et bénéficie du remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par cette maladie, y compris, le cas échéant, s'ils sont exposés postérieurement à la date de consolidation constatée par l'autorité compétente. Le droit à la prise en charge au titre de la maladie contractée en service des arrêts de travail et des frais de soins postérieurs à la consolidation demeure toutefois subordonné, non pas à l'existence d'une rechute ou d'une aggravation, mais au caractère direct et certain du lien entre l'affection et la maladie imputable au service.

15. En outre, en vertu des dispositions de l'article 57 de la loi du 26 janvier 1984 précité, dans sa rédaction alors applicable, le fonctionnaire en activité a droit à un congé de longue durée en cas de maladie mentale, lui ouvrant droit à un plein traitement durant trois ans et à un demi-traitement durant deux ans. En application de ces mêmes dispositions, dans le cas où la maladie ouvrant droit à congé de longue durée a été contractée dans l'exercice des fonctions, les deux périodes précitées sont respectivement portées à cinq ans et trois ans.

16. D'autre part, la date de consolidation de l'état de santé d'un agent correspond, sauf en matière de pathologie évolutive, non à la date de la guérison, mais à celle à laquelle l'état de santé peut être considéré comme définitivement stabilisé. La circonstance que l'état de santé de l'agent soit consolidé ne fait pas obstacle à ce que les arrêts de travail postérieurs à la date de cette consolidation puissent être pris en charge au titre de l'accident de service, s'ils sont directement liés aux séquelles résultant de cet accident.

17. Il résulte de l'instruction, qu'à la suite de l'agression dont Mme A... a été victime sur son lieu de travail le 18 novembre 2010, le département du Pas-de-Calais, a sollicité l'avis de la commission de réforme, d'une part, sur l'octroi d'un temps partiel thérapeutique à 50 % et, d'autre part, sur l'imputabilité de l'accident au service. Réunie le 16 mars 2012, la commission a rendu un avis favorable sur ces deux points et le département a ensuite placé son agent en congé de maladie ordinaire imputable au service avec maintien du plein traitement et l'a invitée à prendre contact avec la conseillère mobilité et insertion professionnelle en vue d'étudier les modalités de sa reprise de travail. Mme A... ayant fait savoir que son état de santé ne lui permettait pas une reprise du travail, le département a ensuite de nouveau sollicité l'avis de la commission de réforme, laquelle s'est réunie le 20 septembre 2013 et a estimé que la consolidation devait être fixée au 12 janvier 2012, que le temps partiel thérapeutique n'était pas médicalement justifié au titre de l'accident survenu le 18 novembre 2010 et que toutes les conditions " médicales et administratives " étant réunies pour une reprise du travail, l'arrêt de travail à compter du 6 août 2012 n'était pas à prendre en compte au titre de l'accident.

18. Dans le prolongement de l'avis de la commission de réforme, par un courrier du 21 octobre 2013, le président du département du Pas-de-Calais a porté à la connaissance de Mme A... sa décision de fixer la consolidation de son état de santé au 21 juin 2013 avec un taux d'IPP de 20 % et lui a fait savoir que, dans l'attente des conclusions du comité médical départemental et du médecin de prévention, ses arrêts de travail à partir du 21 juin 2013 étaient repris au titre de la maladie ordinaire. A cet effet, Mme A... s'est vu notifier un arrêté du 23 octobre 2013 décidant son placement en congé de maladie ordinaire rémunéré à demi-traitement à réception duquel elle a formé, le 12 novembre 2013, un recours gracieux au motif que le médecin expert l'ayant examinée en janvier 2013 avait indiqué à son médecin traitant la nécessité de prolonger ses arrêts en accident de service.

19. Ce recours gracieux établit de manière certaine que Mme A... avait acquis, dès cette date, la connaissance de la décision du département du Pas-de-Calais de mettre fin à la reconnaissance de l'imputabilité au service des conséquences de son accident à la date correspondant à la consolidation de son état de santé. Si Mme A... n'est plus fondée à demander l'annulation de cette décision devenue définitive, elle peut toutefois utilement faire valoir, au soutien de ses conclusions à fin d'indemnisation, dès lors que la date de consolidation ne fait pas obstacle à la prise en charge au titre de l'accident de service, que les arrêts de travail postérieurs à cette dernière date, sont susceptibles d'être en relation avec sa pathologie initialement prise en charge et de lui ouvrir droit au bénéfice des dispositions du 4° de l'article 57 de la loi du 26 janvier 1984 permettant la prolongation de la période de congé de longue durée et le maintien du plein traitement en cas de maladie résultant d'un accident de service.

20. Conformément à ce qui a été dit aux points 14 et 15, le maintien du plein traitement, durant cinq ans, n'est dû au fonctionnaire placé en congé de longue durée que si les arrêts de travail dont il a bénéficié continuent d'être en lien avec sa pathologie reconnue comme imputable au service.

21. En l'espèce, il résulte de l'instruction qu'à compter du 21 juin 2013, le département du Pas-de-Calais a décidé que les arrêts maladie de Mme A... seraient repris au titre de la maladie ordinaire. Il ressort du procès-verbal de la séance du 27 mars 2014 du comité médical départemental, que ses membres ont émis un avis favorable à l'octroi à Mme A... d'un congé de longue maladie de douze mois du 21 juin 2013 au 20 juin 2014, préconisations que le département du Pas-de-Calais a décidé de suivre par un arrêté en date du 2 avril 2014 accordant à son agent un congé de longue maladie à plein traitement durant cette période. A compter du 21 juin 2014, Mme A... a été placée en congé de longue durée à raison de son affection. Si elle se prévaut des expertises du médecin psychiatre qui l'a examinée à trois reprises entre 2012 et 2013, et dont la dernière expertise réalisée le 14 janvier 2013 indiquait que son état de santé psychique ne s'était pas amélioré depuis le précédent examen et que s'agissant de complications classiques du syndrome de stress traumatique sans état pathologique antérieur ses arrêts devaient être pris en accident de service, cette seule expertise ne suffit pas à remettre en cause l'avis ultérieur rendu le 20 septembre 2013 par la commission de réforme s'opposant à une telle prise en charge ainsi que tous les avis du comité médical départemental qui ont suivi. Si, pour relier ses arrêts de travail à sa maladie, Mme A... invoque également une expertise psychiatrique en date du 21 février 2014 qui diagnostiquait " un état de névrose post traumatique avec dépression sévère, douleur morale importante et vécu sensitif " puis concluait que son état de santé justifiait l'attribution d'un congé de longue maladie d'un an à partir du 21 juin 2013, cette pièce n'est pas davantage de nature à établir que les soins et arrêts ordonnés à partir du 21 juin 2014, correspondant à la période durant laquelle l'intéressée a ensuite été placée en congé de longue durée, étaient toujours en lien direct avec sa pathologie initialement reconnue imputable au service. Par suite, en l'absence au dossier de toute pièce médicale contemporaine à la période durant laquelle Mme A... a ensuite été placée en congé de longue durée jusqu'au 21 décembre 2017 puis en disponibilité d'office jusqu'au 30 novembre 2018 et alors qu'en vertu des dispositions alors applicables à sa situation, l'imputabilité au service ne peut être présumée, aucun élément ne permet d'établir que les arrêts de travail ordonnés à partir du 21 juin 2014 seraient en lien avec l'accident de service survenu le 18 novembre 2010.

22. Enfin, contrairement à ce que soutient Mme A..., l'avis favorable rendu le 14 septembre 2018 par la commission de réforme à sa mise à la retraite pour invalidité consécutivement à son inaptitude absolue et définitive à toutes fonctions ne saurait en aucun cas établir le lien entre le service et sa maladie.

23. Dans ces conditions, après avoir constaté que Mme A... avait bénéficié, du 21 juin 2013 au 21 juin 2014 d'un congé de longue maladie d'une durée d'un an à plein traitement, puis d'un congé de longue durée de deux ans rémunéré à plein traitement du 21 juin 2014 au 21 juin 2016, le président du département du Pas-de-Calais n'a pas fait une application erronée à sa situation des dispositions des alinéas 3° et 4° de l'article 57 de la loi du 26 janvier 1984, en la plaçant en congé de longue durée à demi-traitement du 21 juin 2016 au 21 juin 2018. Il n'a pas davantage méconnu les dispositions de l'article 72 de cette même loi, en décidant que Mme A..., ayant épuisé ses droits statutaires à congé de longue maladie et de longue durée, elle devait être placée en disponibilité d'office à demi-traitement du 21 juin au 30 novembre 2018.

24. Il s'ensuit que ni l'arrêté du 6 juillet 2017 plaçant Mme A... en congé de longue durée à demi-traitement, ni celui du 15 juin 2018 la plaçant en disponibilité d'office à demi-traitement ne sont entachés d'illégalité.

25. Dès lors qu'aucune faute en lien direct avec ces deux décisions ne peut engager la responsabilité du département du Pas-de-Calais, les conclusions indemnitaires de Mme A... fondées sur leur illégalité, doivent être rejetées, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité de l'exception de prescription quadriennale opposée pour la première fois en appel par le département du Pas-de-Calais.

Sur les demandes indemnitaires tirées de l'illégalité des arrêtés des 24 septembre 2018 et 5 février 2019 :

26. Mme A... demande l'indemnisation du préjudice financier qu'elle estime avoir subi du fait de l'illégalité de l'arrêté du 24 septembre 2018 la plaçant en disponibilité d'office à demi-traitement pour une période allant du 1er décembre 2018 au 31 janvier 2019 et de l'arrêté du 5 février 2019 prolongeant du 1er février au 31 mars 2019 son placement dans cette position et les effets sur le traitement versé, en tant que ces deux arrêtés ne lui ont pas fait application du régime applicable lorsque la pathologie résulte d'un accident imputable au service.

27. Pour rejeter ses demandes, le tribunal a estimé que " Mme A... n'est pas fondée à soutenir que l'administration ne pouvait pas mettre fin à la reconnaissance de l'imputabilité au service de sa pathologie à compter de sa date de consolidation dès lors que cette décision, prise le 21 octobre 2013, est devenue définitive faute d'avoir été contestée en temps utile devant le tribunal ".

28. Comme il a été dit au point 16, la consolidation de l'état de santé de l'agent ne fait pas obstacle à ce que les arrêts de travail postérieurs à la date de cette consolidation puissent être pris en charge au titre de l'accident de service, s'ils sont directement liés aux séquelles résultant de cet accident. Dès lors, comme le soutient l'appelante, les premiers juges ne pouvaient rejeter sa requête au seul motif de l'absence de contestation de la décision du 21 octobre 2013, sans rechercher s'il existait ou non un lien direct entre l'accident de service et les arrêts de travail postérieurs à la date de consolidation.

29. Toutefois, il y a lieu de substituer à ce motif erroné les motifs retenus aux points 21 à 24, tirés de l'absence de lien direct entre la maladie et les arrêts de travail, y compris ceux entraînant le placement en disponibilité d'office à demi-traitement de Mme A... à compter du 1er décembre 2018 sur le fondement des dispositions de l'article 72 de la loi du 26 janvier 1984.

30. Il s'ensuit que les arrêtés du 24 septembre 2018 et du 5 février 2019 plaçant Mme A... en disponibilité d'office pour raison de santé à demi-traitement ne sont entachés d'aucune illégalité.

31. Dès lors qu'aucune faute en lien direct avec ces deux décisions ne peut engager la responsabilité du département du Pas-de-Calais, les conclusions indemnitaires de Mme A... fondées sur leur illégalité, doivent être rejetées.

32. Il en résulte que Mme A... n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté sa demande indemnitaire.

Sur les frais liés au litige :

33. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du département du Pas-de-Calais, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par Mme A..., au titre des frais qu'elle a exposés et non compris dans les dépens. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme A..., la somme demandée par le département du Pas-de-Calais au titre de ces mêmes dispositions.





DÉCIDE :


Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Lille du 17 novembre 2021 est annulé en tant qu'il rejette comme irrecevables les demandes indemnitaires de Mme A... en lien avec les décisions des 6 juillet 2017 et 15 juin 2018.

Article 2 : Les conclusions indemnitaires en lien avec les décisions des 6 juillet 2017 et 15 juin 2018 présentées par Mme A... devant le tribunal administratif de Lille sont rejetées.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête d'appel est rejeté.

Article 4 : Les conclusions présentées par Mme A... et par le département du Pas-de-Calais au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.






Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au département du Pas-de-Calais.


Délibéré après l'audience publique du 20 septembre 2022 à laquelle siégeaient :

- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,
- M. Marc Lavail Dellaporta, président-assesseur,
- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.


Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 octobre 2022.

Le rapporteur,
Signé : F. MalfoyLa présidente de chambre,
Signé : G. Borot
La greffière,
Signé : C. Huls-Carlier
La République mande et ordonne au préfet du Pas-de-Calais en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
La greffière,
C. Huls-Carlier
N° 21DA02859 2