CAA de LYON, 3ème chambre, 23/11/2022, 20LY02728, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand :
1°) d'annuler la décision du 4 septembre 2018 par laquelle la directrice du centre hospitalier de Billom a rejeté sa demande de reconnaissance d'une maladie professionnelle, ainsi que la décision implicite de rejet née du silence gardé sur son recours gracieux du 30 octobre 2018 ;
2°) d'enjoindre au centre hospitalier de reconnaître l'imputabilité de sa pathologie au service, de la placer en congé maladie imputable au service à compter du 2 septembre 2017 et de la rétablir dans ses droits financiers, dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;
3°) de condamner le centre hospitalier de Billom à lui verser la somme totale de 60 000 euros, dont 50 000 euros en réparation de son préjudice financier et 10 000 euros au titre de son préjudice moral ;
4°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise avant-dire droit ;
5°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Billom la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1900428 du 20 juillet 2020, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a annulé ces décisions, a enjoint à la directrice du centre hospitalier de Billom de reconnaître l'imputabilité au service de la pathologie de Mme B... à compter du 2 septembre 2017, et de la rétablir dans ses droits financiers à compter de cette date, a mis à la charge du centre hospitalier de Billon le versement d'une somme de 1 500 euros à Mme B... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions des parties.
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 18 septembre 2020 et un mémoire en réplique, non communiqué, enregistré le 15 avril 2021, le centre hospitalier de Billom, représenté par l'AARPI Publica Avocats, agissant par Me de Froment, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 20 juillet 2020 ;
2°) de rejeter les demandes présentées par Mme B... devant ce tribunal, ou, subsidiairement, d'ordonner une expertise avant-dire droit ;
3°) de mettre une somme de 2 000 euros à la charge Mme B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la présomption d'imputabilité n'étant pas irréfragable, c'est à tort que le tribunal administratif annulé le refus de reconnaître l'imputabilité au service de la maladie de Mme B... ; compte tenu des rapports d'expertise des docteurs D... et C... ;
- les autres moyens de Mme B... soulevés en première instance sont infondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 novembre 2020, Mme B..., représentée par Me Dubreuil, conclut au rejet de la requête ou, subsidiairement, d'ordonner une expertise avant-dire droit. Elle demande à la cour de faire droit à ses demandes indemnitaires et d'annuler le jugement en ce qu'il a rejeté le surplus de ses demandes et qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge du centre hospitalier de Billom en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision attaquée est insuffisamment motivée ;
- elle a été prise au terme d'une procédure irrégulière dès lors qu'elle a été privée des garanties prévues par l'article 16 de l'arrêté du 4 août 2004 relatif aux commissions de réforme ;
- le syndrome du canal carpien, qui a justifié ses arrêts de travail, constitue une maladie inscrite au tableau des maladies professionnelles ; l'administration ne justifie pas d'éléments lui permettant de renverser la présomption d'imputabilité de cette pathologie au service ; il suffit que la pathologie ait été aggravée par le service.
- l'administration a commis une faute de nature à engager sa responsabilité ; elle a été contrainte de rembourser les sommes indûment versées et a subi un préjudice économique à hauteur de 50 000 euros ; son préjudice moral doit être réparé par le versement d'une indemnisation de 10 000 euros.
Par ordonnance du 17 juin 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 20 septembre 2021.
Par un courrier du 7 novembre 2022, les parties ont été informées de ce que, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, l'arrêt de la cour est susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de l'irrecevabilité des conclusions présentées par Mme B..., par la voie de l'appel incident, qui soulèvent un litige distinct de celui de l'appel principal et qui ont été présentées après l'expiration du délai de recours contentieux.
Par un mémoire enregistré le 14 novembre 2022, Mme B... a présenté des observations en réponse à ce moyen d'ordre public.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la loi n° 86-33 du 9 janvier ;
- l'ordonnance n° 2017-53 du 19 janvier 2017 ;
- le décret n° 2020-566 du 13 mai 2020 ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bénédicte Lordonné, première conseillère ;
- les conclusions de M. Samuel Deliancourt, rapporteur public ;
- et les observations de Me Gevaudan pour le centre hospitalier de Billom et de Me Dubreuil pour Mme B....
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... B... exerce depuis 2005 les fonctions d'aide-soignante au centre hospitalier de Billom. Souffrant d'un syndrome du canal carpien, elle a formulé, le 7 avril 2017, une demande de reconnaissance de l'imputabilité de sa maladie au service. Par une décision du 4 septembre 2018, la directrice du centre hospitalier a rejeté sa demande. Le recours gracieux formé par Mme B... le 30 octobre 2018 est resté sans réponse, faisant naître une décision implicite de rejet. Par un jugement du 20 juillet 2020, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a annulé ces décisions, a enjoint à la directrice du centre hospitalier de Billom de reconnaître l'imputabilité au service de la pathologie de Mme B... à compter du 2 septembre 2017, et de la rétablir dans ses droits financiers à compter de cette date, a mis à la charge du centre hospitalier de Billon le versement d'une somme de 1 500 euros à Mme B... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions des parties. Le centre hospitalier de Billom relève appel de ce jugement, de même que Mme B..., par la voie de l'appel incident, en ce qu'il a rejeté ses conclusions indemnitaires.
Sur l'appel principal :
Sur le bien-fondé du motif d'annulation retenu par les premiers juges :
2. Les dispositions de l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale instituant une présomption d'origine professionnelle pour toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans des conditions mentionnées à ce tableau ont été rendues applicables aux fonctionnaires relevant de la fonction publique hospitalière par l'article 10 de l'ordonnance du 19 janvier 2017 portant diverses dispositions relatives au compte personnel d'activité, à la formation et à la santé et la sécurité au travail dans la fonction publique. L'application de ces dispositions résultant de l'ordonnance du 19 janvier 2017 est manifestement impossible en l'absence d'un texte réglementaire fixant, notamment, les conditions de procédure applicables à l'octroi de ce nouveau congé pour invalidité temporaire imputable au service. L'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 n'est donc entré en vigueur, en tant qu'il s'applique à la fonction publique hospitalière, qu'à la date d'entrée en vigueur, le 16 mai 2020, du décret n° 2020-566 du 13 mai 2020 par lequel le pouvoir réglementaire a pris les dispositions réglementaires nécessaires pour cette fonction publique et dont l'intervention était, au demeurant, prévue, sous forme de décret en Conseil d'Etat, par le VI de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 résultant de l'article 10 de l'ordonnance du 19 janvier 2017. Il en résulte que les dispositions de l'article 41 de la loi du 9 janvier 1986 dans leur rédaction antérieure à celle résultant de l'ordonnance du 19 janvier 2017 sont demeurées applicables jusqu'à l'entrée en vigueur du décret du 13 mai 2020.
3. Il s'ensuit que les dispositions de l'article 41 de la loi du 9 janvier 1986 dans leur rédaction antérieure à celle résultant de l'ordonnance du 19 janvier 2017 sont applicables au présent litige.
4. Aux termes de ce texte : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. (...). Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite, à l'exception des blessures ou des maladies contractées ou aggravées en service, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à la mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident, même après la date de radiation des cadres pour mise à la retraite. Dans le cas visé à l'alinéa précédent, l'imputation au service de l'accident ou de la maladie est appréciée par la commission de réforme instituée par le régime des pensions des agents des collectivités locales ".
5. Une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service.
6. Il ressort des pièces du dossier que, comme l'ont relevé les premiers juges, les fonctions de Mme B..., qui exerce comme aide-soignante en milieu gériatrique, " comport[e]nt de façon habituelle des mouvements d'extension du poignet et de préhension des mains, lors des transferts de patients et des toilettes de patients notamment " comme l'atteste d'ailleurs le médecin du travail dans son rapport du 5 mai 2017, de sorte que le syndrome du canal carpien dont souffre Mme B... présente un lien direct avec l'exercice de ses fonctions. Le premier rapport d'expertise du docteur D... a relevé, sans autre précision, une " pathologie indépendante, évoluant pour son propre compte ". S'estimant insuffisamment informée par cette expertise, la commission de réforme s'est prononcée en faveur d'une contre-expertise à l'issue de la séance du 27 octobre 2017. Le docteur C... a conclu, sans autre précision, que " la demande de prise en charge au titre de la maladie professionnelle ne peut pas être justifiée ". Eu égard aux termes dans lesquels sont rédigés ces deux rapports d'expertises et si comme le fait valoir le centre hospitalier de Billom, l'employeur n'est pas lié par l'avis de la commission de réforme, il n'existe, en l'espèce, aucun élément médical sérieux susceptible de démontrer l'existence d'un état de santé antérieur préexistant ou toute circonstance particulière conduisant à détacher la survenance de la maladie du service.
7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise, que le centre hospitalier de Billom n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a annulé la décision du 4 septembre 2018 par laquelle sa directrice a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de la pathologie de Mme B..., ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux.
Sur les conclusions à fin d'injonction de Mme B... :
8. L'exécution du présent arrêt n'appelle pas d'autre mesure d'exécution que celles que les premiers juges ont déjà enjoint au centre hospitalier de Billom de prendre.
Sur l'appel incident :
9. Par la voie de l'appel incident, Mme B... demande, après l'expiration du délai d'appel, l'annulation de l'article 4 du dispositif du jugement en tant qu'il rejette le surplus des conclusions de sa demande. Devant le tribunal administratif, Mme B... a demandé la réparation des préjudices ayant prétendument résulté pour elle, non seulement de l'illégalité de la décision du 4 septembre 2018, mais également de la faute consistant pour le centre hospitalier à continuer à lui verser indûment l'intégralité de son traitement, pour lui en réclamer ensuite le remboursement. Ces conclusions, soulèvent un litige distinct de celui faisant l'objet de l'appel principal, et ne sont, par suite, pas recevables.
[0]Sur les frais liés au litige :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme que le centre hospitalier de Billom demande au titre des frais qu'il a exposés soit mise à la charge de l'intimée, qui n'est pas partie perdante. En application de ces mêmes dispositions, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier de Billom le versement d'une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme B....
D E C I D E :
Article 1er : La requête du centre hospitalier de Billom est rejetée.
Article 2 : Le centre hospitalier de Billom versera la somme de 1 500 euros à Mme B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : L'appel incident de Mme B... et le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier de Billom et à Mme A... B....
Délibéré après l'audience du 15 novembre 2022 à laquelle siégeaient :
M. Gilles Fédi, président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
Mme Bénédicte Lordonné, première conseillère,
Mme Sophie Corvellec, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 novembre 2022.
La rapporteure,
Bénédicte LordonnéLe président,
Gilles Fédi
La greffière,
Sandra Bertrand
La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 20LY02728