CAA de DOUAI, 2ème chambre, 28/03/2023, 22DA00485, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... C... a demandé au tribunal des pensions militaires d'invalidité de Rouen d'annuler la décision du 7 janvier 2019 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande d'octroi d'une pension militaire d'invalidité.
Par courrier en date du 21 novembre 2019, M. C... a été informé qu'en application de la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 et de son décret d'application n° 2018-1291 du 28 décembre 2018, sa requête avait été transmise au tribunal administratif de Rouen.
Par un jugement n° 1904164 du 28 décembre 2021, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 28 février et 8 décembre 2022, M. C..., représenté par Me Aïda Moumni, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler la décision du 7 janvier 2019 de la ministre des armées ;
3°) d'enjoindre au ministre des armées de lui attribuer une pension militaire d'invalidité au taux de 30 % ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement, à son avocat, d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de la renonciation par celui-ci à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Il soutient que la décision attaquée est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors que, d'une part, les douleurs invalidantes qu'il présente sont consécutives à l'accident dont il a été victime le 12 mai 2012 et ne sont pas assimilables à ses antécédents et, d'autre part, les pièces médicales produites démontrent que le taux d'invalidité résultant de cet accident doit être évalué à minima à 10 % ;
Par des mémoires en défense, enregistrés les 25 octobre 2022 et 9 janvier 2023, le ministre des armées demande à la cour de rejeter la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par M. C... ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 10 janvier 2023, la date de clôture de l'instruction a été fixée au 14 février 2023 à 12 heures.
M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 28 février 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Sylvie Stefanczyk, première conseillère,
- et les conclusions de M. Guillaume Toutias, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... C..., né le 29 avril 1986, militaire engagé dans l'armée de terre à compter du 5 avril 2011, a été radié des contrôles le 5 avril 2014. Le 9 août 2013, l'intéressé a sollicité le bénéfice d'une pension militaire d'invalidité pour une infirmité consécutive à des séquelles de lombosciatique S1 gauche qu'il rattache à une chute survenue le 21 mai 2012 dans son lieu d'hébergement. Par une décision du 7 janvier 2019, la ministre des armées a rejeté cette demande aux motifs que la lombosciatique S1 gauche sur discopathie L5-S1 avec arthrose interapophysaire déficitaire évaluée globalement au taux de 30 % résultait, d'une part, d'une maladie sans lien avec le service et, d'autre part, d'un accident du 21 mai 2022 dont les séquelles entraînaient un degré d'invalidité inférieur à 10 %, taux minimum requis pour la prise en considération d'une infirmité. M. C... relève appel du jugement du 28 décembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, dans sa rédaction applicable à l'espèce : " Ouvrent droit à pension : / 1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'évènements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service ; / 2° Les infirmités résultant de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service ; / 3° L'aggravation par le fait ou à l'occasion du service d'infirmités étrangères au service ; (...) ". Aux termes de l'article L. 4 du même code : " Les pensions sont établies d'après le degré d'invalidité. / Sont prises en considération les infirmités entraînant une invalidité égale ou supérieure à 10 %. / Il est concédé une pension : / 1° Au titre des infirmités résultant de blessures, si le degré d'invalidité qu'elles entraînent atteint ou dépasse 10 % ; 2° Au titre d'infirmités résultant de maladies associées à des infirmités résultant de blessures, si le degré total d'invalidité atteint ou dépasse 30 % ; 3° Au titre d'infirmité résultant exclusivement de maladie, si le degré d'invalidité qu'elles entraînent atteint ou dépasse : 30 % en cas d'infirmité unique ; 40 % en cas d'infirmités multiples. / En cas d'aggravation par le fait ou à l'occasion du service d'une infirmité étrangère à celui-ci, cette aggravation seule est prise en considération, dans les conditions définies aux alinéas précédents. / Toutefois, si le pourcentage total de l'infirmité aggravée est égal ou supérieur à 60 %, la pension est établie sur ce pourcentage ". Pour l'application de ces dispositions, une infirmité doit être regardée comme résultant d'une blessure lorsqu'elle trouve son origine dans une lésion soudaine, consécutive à un fait précis de service. Dans le cas contraire, elle doit être regardée comme résultant d'une maladie.
3. Il résulte de l'instruction que le docteur B..., expert médical diligenté pour l'instruction de la demande de pension de M. C..., a estimé dans son rapport du 30 novembre 2016 que l'intéressé présentait une sciatalgie S1 gauche paraissant secondaire à un traumatisme lombo-sacré résultant d'une chute survenue le 21 mai 2012 avec douleurs neurogènes nettement prédominantes d'évolution chronique, invalidantes avec un retentissement fonctionnel majeur, un impact très important sur la vie personnelle, professionnelle et l'autonomie du patient dans sa vie courante. L'expert a décrit ainsi un patient hyperalgique avec impossibilité de marcher plus de quelques mètres sans canne, présentant une atrophie du mollet à gauche, un Laségue à 45, une démarche lente et un déficit de l'extenseur du gros orteil. Il a également relevé que l'intéressé n'avait pas d'antécédent particulier en dehors de pied plat et d'une certaine laxité ligamentaire, sans événement pathologique avant 2012. Au regard de ces éléments, il a évalué le taux d'invalidité de l'infirmité à 30 % après avoir indiqué précisément que ce taux était " en conformité avec le barème des pensions militaires ". A la suite d'un complément d'étude demandé le 20 avril 2018 par la commission consultative médicale, le docteur D..., chargé de réaliser la seconde expertise de M. C..., a noté dans son rapport du 30 juin 2018 que la gêne de l'intéressé ne s'était pas atténuée, celui-ci ne pouvant pas conduire, ni courir et prenant parfois une canne pour marcher. Il a estimé que l'ensemble des symptômes mettait en évidence un " tableau de lomboradiculalgies chronicisées sans hernie " et a conclu néanmoins à un taux d'invalidité de 10 %, en précisant que le taux antérieur ou étranger au service était de 0 %. Si la commission consultative médicale a émis un avis le 20 août 2018 indiquant que l'accident du 21 mai 2012 s'était compliqué d'une sciatique gauche avec paralysie du releveur du pied gauche qui était en lien direct et déterminant avec la maladie arthrosique du rachis lombaire dont l'évolution progressive avait pu être précipitée par les traumatismes de 2011 et 2012, cet avis est toutefois contradictoire avec les conclusions des deux experts nommés par la commission, qui n'ont pas retenu d'état antérieur. En outre, aucune pièce médicale versée au dossier en première instance comme en appel ne permet d'établir que la discopathie L5-S1 et l'arthrose inter-apophysaire mises en évidence le 11 octobre 2011 lors de la prise en charge aux urgences de l'hôpital Manchester de Charleville-Mézières, aurait participé au processus douloureux faisant suite à la chute de M. C... le 21 mai 2012, alors que l'IRM dorso-lombaire réalisée le 6 juin 2012 ne mettait en évidence qu'une discopathie dégénérative L5-S1 modérée avec une petite protusion discale postérieure médiane mais non conflictuelle. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que M. C... doit être regardé comme souffrant d'une infirmité provoquée uniquement par une blessure résultant d'une lésion soudaine consécutive à un fait précis du service, et non d'une infirmité résultant d'une maladie associée à une blessure, dont le taux d'invalidité doit être fixé à 30 % conformément aux conclusions du premier rapport d'expertise. Par suite, c'est à tort que la ministre des armées a estimé, par la décision attaquée du 7 janvier 2019, que l'infirmité de M. C... évaluée globalement au taux de 30 % n'était pas de nature à lui ouvrir droit à une pension d'invalidité dès lors qu'elle résultait d'une maladie sans lien avec le service et d'un accident du 21 mai 2012 dont les séquelles entraînaient un degré d'invalidité inférieur à 10 %.
4. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 7 janvier 2019 de la ministre des armées. Il y a donc lieu de prononcer l'annulation du jugement du 28 décembre 2021 du tribunal administratif de Rouen et l'annulation de la décision du 7 janvier 2019 de la ministre des armées.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
5. Il résulte de ce qui a été dit au point 4 qu'il y a lieu d'enjoindre au ministre des armées de procéder à la liquidation de la pension de M. C... dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt, en prenant en compte le taux de 30 % applicable à son infirmité à compter du 14 août 2013, date de réception de sa première demande de concession de pension.
Sur les frais liés à l'instance :
6. M. C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Moumni de la somme de 1 500 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de sa renonciation à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1904164 du tribunal administratif de Rouen et la décision du 7 janvier 2019 de la ministre des armées sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre des armées de concéder à M. C... une pension militaire d'invalidité en tenant compte de son infirmité de 30 % à la date du 14 août 2013, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera la somme de 1 500 euros à Me Moumni en application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle, sous réserve que cette avocate renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C..., au ministre des armées et à Me Aïda Moumni.
Délibéré après l'audience publique du 14 mars 2023 à laquelle siégeaient :
- Mme Anne Seulin, présidente de chambre,
- M. Marc Baronnet Guillaume, président-assesseur,
- Mme Sylvie Stefanczyk, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 mars 2023.
La rapporteure,
Signé : S. StefanczykLa présidente de chambre,
Signé : A. Seulin La greffière,
Signé : A.S. Villette
La République mande et ordonne au ministre des armées, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière
Anne-Sophie Villette
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