CAA de NANTES, 6ème chambre, 03/10/2023, 21NT03724, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision03 octobre 2023
Num21NT03724
JuridictionNantes
Formation6ème chambre
PresidentM. GASPON
RapporteurMme Valérie GELARD
CommissaireMme BOUGRINE
AvocatsLOUVEL

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Rennes, devenu compétent par détermination de la loi, d'annuler la décision du 21 février 2019 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande tendant à l'alignement de sa pension militaire d'invalidité sur celle applicable aux militaires de la marine nationale ayant un grade équivalent.

Par un jugement n° 1905856 du 13 décembre 2021, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 30 décembre 2021, régularisée le 25 février 2022, et un mémoire récapitulatif enregistré au greffe de la cour le 16 novembre 2022, M. B..., représenté par Me Louvel, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 13 décembre 2021 ;

2°) d'annuler la décision du 21 février 2019 ;

3°) d'enjoindre au ministre des armées de lui verser la somme de 7 838,97 euros, au titre de ses arrérages de pension pour la période du 1er octobre 1989 au 11 octobre 2012 ;

4°) à titre subsidiaire, de lui verser la somme à 2 316,23 euros, pour la période du 1er janvier 2003 au 11 octobre 2012 ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral ;

6°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil, qui renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, d'une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Il soutient que :
- son recours devant le tribunal administratif n'était pas tardif dans la mesure où il est fondé à se prévaloir de circonstances particulières qui font obstacle à l'application de la jurisprudence du Conseil d'Etat Czabaj ; il n'a été informé qu'en 2009 qu'il pouvait prétendre à une revalorisation de sa pension ;
- la décision contestée est contraire aux stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; elle créé une discrimination entre les militaires de l'armée de terre et ceux de la marine nationale ainsi qu'entre lui et ses collègues placés dans une situation similaire qui ont bénéficié de cette revalorisation ;
- il justifie d'un préjudice moral résultant de la discrimination subie par rapport à ses " frères d'armes ".

Par des mémoires en défense, enregistrés les 14 octobre et 1er décembre 2022, le ministre des armées conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés et que c'est à juste titre que le tribunal administratif a jugé que sa requête était tardive et par suite irrecevable.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 24 janvier 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- le décret n° 59-327 du 20 février 1959 ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Gélard,
- les conclusions de Mme Bougrine, rapporteure publique,
- et les observations de Me Louvel, représentant M. B....


Considérant ce qui suit :

1. M. B..., adjudant-chef dans l'armée de terre, bénéficie depuis le 3 mars 1988 d'une pension militaire d'invalidité. A plusieurs reprises, l'intéressé a sollicité la revalorisation de cette pension sur la base de l'indice, plus favorable, appliqué aux militaires de la marine nationale. Par une décision du 21 février 2019, la ministre des armées a rejeté sa demande. M. B... relève appel du jugement du tribunal administratif de Rennes du 13 décembre 2021, rejetant sa requête tendant à la revalorisation de sa pension et à l'indemnisation de son préjudice moral.

Sur la tardiveté de la demande de M. B... :

2. Aux termes de l'article 78 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, repris à l'article L. 154-4 du même code : " I- Les pensions définitives ou temporaires attribuées au titre du présent code peuvent être révisées dans les cas suivants : 1° Lorsqu'une erreur matérielle de liquidation a été commise ; 2° Lorsque les énonciations des actes ou des pièces au vu desquels l'arrêté de concession a été pris sont reconnues inexactes, ou bien en ce qui concerne le grade ou les circonstances du décès, ou bien en ce qui concerne l'état des services, ou bien en ce qui concerne l'état civil ou la situation de famille, ou bien en ce qui concerne le droit au bénéfice d'un statut légal générateur de droits. / Dans tous les cas, la révision a lieu sans condition de délai (...) ".

3. M. B... ne conteste ni une erreur matérielle de liquidation de sa pension, ni une erreur dans les faits ayant conduit à ce que cette pension lui soit concédée. Par suite, il n'entre pas dans les prévisions des dispositions précitées, lui permettant de solliciter sans délai la révision de sa pension militaire d'invalidité.

4. Par ailleurs, en vertu des dispositions de l'article 5 du décret du 20 février 1959 relatif aux juridictions des pensions, repris à l'article R. 731-2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre dans sa rédaction en vigueur jusqu'au 1er novembre 2019, les décisions individuelles prises en application des dispositions du livre premier et des titres I, II et III du livre II de ce code, à l'exception de celles entrant dans le champ d'application des dispositions citées au point 2, sont susceptibles de recours devant les juridictions compétentes dans le délai de six mois à compter de leur notification.

5. M. B... s'est vu, en dernier lieu, attribuer à titre définitif une pension militaire d'invalidité au taux de 35 % par un arrêté du 5 juillet 1994. Il aurait donc dû solliciter la révision de sa pension dans les six mois suivant la notification de cette décision. S'il n'est pas contesté que l'intéressé a eu connaissance de cette décision au plus tard le 1er septembre 1994, aucune pièce du dossier ne permet d'établir qu'il aurait été régulièrement informé des voies et délais de recours lui permettant de contester notamment l'indice retenu par l'administration pour le calcul de cette pension. Par suite, c'est à juste titre que le tribunal administratif de Rennes a jugé que ce délai de six mois, prévu par le décret du 20 février 1959 puis par le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, ne lui était pas opposable.

6. Toutefois, ainsi que l'a rappelé le tribunal administratif, le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d'une telle notification, que celui-ci a eu connaissance. En une telle hypothèse, si le non-respect de l'obligation d'informer l'intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l'absence de preuve qu'une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d'un délai raisonnable. En règle générale et sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, ce délai ne saurait, sous réserve de l'exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu'il en a eu connaissance.

7. Ainsi qu'il a été rappelé ci-dessus, il n'est pas contesté que M. B... a eu connaissance de l'arrêté du 5 juillet 1994 au plus tard le 1er septembre 1994 ainsi qu'en atteste le certificat d'inscription au grand livre de la dette publique produit en première instance par le ministre. L'intéressé soutient qu'il n'a été informé de la faculté de solliciter la révision de sa pension afin de bénéficier des modalités de calcul retenues pour les militaires de la marine nationale qu'au cours de l'année 2009 à la suite d'un jugement du tribunal des pensions de Paris rendu le 19 janvier 2005. Il se prévaut également des attestations de deux militaires de l'armée de terre, ayant également le grade de caporal-chef, qui ont bénéficié de cette revalorisation en 2015 et 2016. Ces décisions anciennes qui concernent la situation de tiers, ne sont toutefois pas de nature à établir que M. B..., qui dans la présente instance sollicite l'annulation d'une décision du 21 février 2019, était dans l'impossibilité de contester sa propre pension militaire d'invalidité concédée par l'arrêté du 5 juillet 1994 dans un délai raisonnable d'un an à compter de la date à laquelle il en a eu connaissance. Dans ces conditions, c'est à juste titre que les premiers juges ont estimé que le recours présenté par l'intéressé le 27 mai 2019 devant le tribunal des pensions militaires de Rennes était tardif et par suite irrecevable.

Sur les conclusions pécuniaires et indemnitaires présentées par M. B... :

8. M. B... sollicite d'abord la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 7 838,97 euros au titre de ses arrérages de pension pour la période du 1er octobre 1989 au 11 octobre 2012, et à titre subsidiaire, la somme à 2 316,23 euros, pour la période du 1er janvier 2003 au 11 octobre 2012 mais ces conclusions doivent être rejetées par voir de conséquence des motifs développés aux points 6 et 7 du présent arrêt. Il demande en outre de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros en réparation du préjudice moral qu'il estime avoir subi à raison de l'illégalité du refus de révision de sa pension militaire d'invalidité. Il ressort toutefois des pièces du dossier que, par des arrêtés des 14 mars 2016 et 27 mars 2017 prenant effet au 23 novembre 2013, l'intéressé a bénéficié à titre purement gracieux d'une revalorisation de sa pension militaire d'invalidité. Le requérant n'apporte aucun élément de nature à établir que cette revalorisation serait insuffisante. Au vu de ces décisions, l'intéressé ne justifie pas davantage du préjudice moral qu'il invoque. Par suite, le requérant n'est pas fondé à se plaindre de ce que par le jugement attaqué le tribunal administratif a rejeté ses conclusions indemnitaires.


Sur les frais liés au litige :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement au conseil de M. B... de la somme qu'il demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.



DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre des armées.


Délibéré après l'audience du 15 septembre 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- Mme Gélard, première conseillère.


Rendu public par mise à disposition au greffe, le 3 octobre 2023.
La rapporteure,
V. GELARDLe président,
O. GASPON
La greffière,
I. PETTON


La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.



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N° 21NT03724