CAA de TOULOUSE, 2ème chambre, 24/10/2023, 22TL21285, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner l'Etat à lui verser la somme de 9 000 euros en réparation du préjudice tenant au déficit fonctionnel temporaire subi, assortie des intérêts moratoires.
Par un jugement n° 1905852 du 22 mars 2022, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 4 juin 2022, M. A... B..., représenté par Me Lauron, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 22 mars 2022 ;
2°) d'annuler la décision implicite de rejet de la ministre des armées ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 9 000 euros en réparation de son préjudice portant sur le déficit fonctionnel temporaire subi, assortie des intérêts de retard ;
4°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 177 000 euros ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat les entiers dépens et la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- il est en droit de demander réparation du déficit fonctionnel temporaire et permanent dès lors que ces chefs de préjudices ne sont pas visés dans le protocole transactionnel signé, conformément aux articles 2048 et 2049 du code civil ;
- l'administration ayant reconnu dans le protocole transactionnel qu'il a été victime d'un accident de service, il est dès lors fondé à engager la responsabilité sans faute de l'Etat et à solliciter l'indemnisation du déficit fonctionnel temporaire et des troubles dans ses conditions d'existence ;
- la responsabilité de l'Etat est engagée en ce qu'il a commis une faute en n'imposant pas une obligation de suivi médical du rachis alors même qu'il subissait à une fréquence élevée de nombreux traumatismes du fait de la pratique du parachutisme ; contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, il met en cause la nature des examens réalisés pour s'assurer de son état de santé ;
- une somme de 9 000 euros lui sera allouée au titre de son déficit fonctionnel temporaire ;
- une somme de 177 000 euros devra lui être allouée au titre du déficit fonctionnel permanent si sa demande présentée au titre de la pension militaire d'invalidité devait être rejetée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 juillet 2023, le ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- la requête est irrecevable dès lors que M. B... a signé un protocole transactionnel le 5 août 2018 ayant pour objet l'indemnisation de ses préjudices à la suite de son accident de service ;
- la requête devant le tribunal était tardive, il en va de même de la présente requête ;
- les conclusions indemnitaires nouvelles sont irrecevables.
Par ordonnance du 10 juillet 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 4 septembre 2023.
Les parties ont été informées le 21 septembre 2023, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions nouvelles en appel tendant à la condamnation de l'Etat à verser à M. B... la somme de 177 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent, dès lors qu'elles excèdent la limite du montant total de l'indemnité chiffrée en première instance.
Des observations en réponse à ce moyen d'ordre public, présentées pour M. B..., ont été enregistrées le 2 octobre 2023 et communiquées au ministre des armées.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de la défense ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Anne Blin, présidente-assesseure,
- les conclusions de Mme Michèle Torelli, rapporteure publique,
- et les observations de Me Lauron, représentant M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., né le 27 juin 1986, qui s'est engagé au sein de l'armée de terre le 5 janvier 2010, était affecté au 8ème régiment de parachutistes d'infanterie de marine de Castres. Le 17 octobre 2016, alors qu'il participait à un entraînement sportif avec sa compagnie, il a signalé l'apparition brutale d'intenses douleurs lombaires. Il a été placé en arrêt de travail et a effectué des examens médicaux qui ont diagnostiqué une hernie discale au niveau de ses vertèbres L4 et L5. Ses douleurs ne disparaissant pas, il a subi le 9 mars 2017 une opération chirurgicale consistant à retirer le disque situé entre ces deux vertèbres et à poser, à la place, une prothèse discale lombaire. Par une décision du 26 avril 2017, il a été déclaré inapte à exercer des fonctions dans les troupes aéroportées ainsi que des fonctions de fantassin et a été reclassé sur un poste de magasinier à la compagnie de commandement et de logistique du même régiment. Il a été radié des contrôles le 27 juillet 2019. Il a présenté une demande de pension militaire d'invalidité le 27 avril 2017, laquelle a été rejetée par décision du 10 mai 2019. Il a ensuite initié une procédure transactionnelle afin d'obtenir l'indemnisation de ses préjudices. Une proposition lui a été adressée le 11 juin 2018 à hauteur de la somme de 5 000 euros. Par courrier du 6 juillet 2018, le requérant a contesté cette proposition en demandant notamment l'indemnisation de son déficit fonctionnel temporaire, laquelle a été rejetée le 30 juillet suivant. Le 5 août 2018, un protocole transactionnel a été conclu entre le requérant et la ministre des armées, afin de réparer l'ensemble des conséquences dommageables de l'accident de service du 17 octobre 2016. Le 12 décembre 2018, M. B... a transmis une nouvelle demande préalable d'indemnisation au titre de son déficit fonctionnel temporaire à l'administration, qui l'a rejetée le 8 février 2019. Le recours administratif préalable qu'il a formé, le 9 avril suivant, devant la commission de recours des militaires a ensuite été implicitement rejeté. M. B... a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner l'Etat à lui verser la somme de 9 000 euros en réparation du préjudice subi au titre de son déficit fonctionnel temporaire. Il relève appel du jugement du 22 mars 2022 qui a rejeté sa demande et présente des conclusions nouvelles tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 177 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent si sa demande présentée au titre de la pension militaire d'invalidité par une requête enregistrée sous le n° 21TL20286 devait être rejetée.
Sur la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de la requête devant le tribunal :
2. Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. / Lorsque la requête tend au paiement d'une somme d'argent, elle n'est recevable qu'après l'intervention de la décision prise par l'administration sur une demande préalablement formée devant elle. (...) ". Aux termes de l'article R. 421-5 du même code : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision. ".
3. La décision par laquelle l'administration rejette une réclamation tendant à la réparation des conséquences dommageables d'un fait qui lui est imputé lie le contentieux indemnitaire à l'égard du demandeur pour l'ensemble des dommages causés par ce fait générateur. Il en va ainsi quels que soient les chefs de préjudice auxquels se rattachent les dommages invoqués par la victime et que sa réclamation ait ou non spécifié les chefs de préjudice en question. La victime est recevable à demander au juge administratif, dans les deux mois suivant la notification de la décision ayant rejeté sa réclamation, la condamnation de l'administration à l'indemniser de tout dommage ayant résulté de ce fait générateur, y compris en invoquant des chefs de préjudice qui n'étaient pas mentionnés dans sa réclamation. Si, une fois expiré ce délai de deux mois, la victime saisit le juge d'une demande indemnitaire portant sur la réparation de dommages causés par le même fait générateur, cette demande est tardive et, par suite, irrecevable. Il n'est fait exception à ces règles que dans le cas où la victime demande réparation de dommages qui, tout en étant causés par le même fait générateur, sont nés, ou se sont aggravés, ou ont été révélés dans toute leur ampleur postérieurement à la décision administrative ayant rejeté sa réclamation. Dans ce cas, qu'il s'agisse de dommages relevant de chefs de préjudice figurant déjà dans cette réclamation ou de dommages relevant de chefs de préjudice nouveaux, la victime peut saisir l'administration d'une nouvelle réclamation portant sur ces nouveaux éléments et, en cas de refus, introduire un recours indemnitaire dans les deux mois suivant la notification de ce refus. Dans ce même cas, la victime peut également, si le juge administratif est déjà saisi par elle du litige indemnitaire né du refus opposé à sa réclamation, ne pas saisir l'administration d'une nouvelle réclamation et invoquer directement l'existence de ces nouveaux éléments devant le juge administratif saisi du litige en premier ressort afin que, sous réserve le cas échéant des règles qui gouvernent la recevabilité des demandes fondées sur une cause juridique nouvelle, il y statue par la même décision. La victime peut faire de même devant le juge d'appel, dans la limite toutefois du montant total de l'indemnité chiffrée en première instance, augmentée le cas échéant de l'indemnité demandée au titre des dommages qui sont nés, ou se sont aggravés, ou ont été révélés dans toute leur ampleur postérieurement au jugement de première instance.
4. Il ressort des pièces du dossier qu'à la suite de la transmission d'une proposition de protocole transactionnel en réparation des préjudices subis par M. B... lors de l'accident de service dont il a été victime le 17 octobre 2016, le conseil du requérant a formé une demande complémentaire par lettre du 6 juillet 2018, en sollicitant notamment une indemnisation au titre du déficit fonctionnel temporaire à hauteur de la somme de 9 000 euros. Par un courrier du 30 octobre 2018 qui a été adressé au conseil de M. B... par lettre recommandée dont il a accusé de réception le lendemain, le ministre des armées a rejeté sa demande. Ce courrier comportait la mention des voies et délais de recours, en particulier la nécessité de saisir la commission de recours des militaires instituée par l'article L. 4125-1 du code de la défense, dans un délai de deux mois préalablement à tout recours contentieux. Si le conseil de M. B... a formé une demande d'indemnisation de son déficit fonctionnel temporaire à hauteur de la même somme de 9 000 euros par lettre du 12 décembre 2018, qui a de nouveau été rejetée par le ministre des armées le 8 février 2019, cette nouvelle demande n'a pas pu avoir pour effet de rouvrir les délais de recours, alors même que M. B... aurait saisi la commission de recours des militaires le 9 avril 2019. Par suite, sa demande enregistrée devant le tribunal administratif de Toulouse le 12 octobre 2019 était irrecevable en raison de sa tardiveté.
5. M. B... demande en outre une indemnisation au titre du déficit fonctionnel permanent à hauteur de la somme de 177 000 euros si sa demande présentée au titre de la pension militaire d'invalidité dans le cadre d'une autre instance enregistrée sous le n° 21TL20286 devait être rejetée. Ces conclusions qui sont nouvelles en appel et excèdent la limite du montant total de l'indemnité chiffrée en première instance, doivent, en tout état de cause, être également rejetées par voie de conséquence de ce qui a été exposé au point précédent.
6. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
7. Les dispositions des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que M. B... demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens et, en tout état de cause, de ceux relatifs aux dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 10 octobre 2023, à laquelle siégeaient :
Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre,
Mme Blin, présidente assesseure,
M. Teulière, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 octobre 2023.
La rapporteure,
A. Blin
La présidente,
A. Geslan-Demaret
La greffière,
M-M. Maillat
La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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