CAA de VERSAILLES, 4ème chambre, 05/12/2023, 21VE01388, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision05 décembre 2023
Num21VE01388
JuridictionVersailles
Formation4ème chambre
PresidentM. BROTONS
RapporteurMme Marie-Gaëlle BONFILS
CommissaireMme VISEUR-FERRÉ
AvocatsSELAFA CABINET CASSEL

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise, dans le dernier état de ses écritures, d'une part, de désigner, par un jugement avant dire droit, un expert ayant pour mission d'actualiser l'expertise réalisée par le docteur D... le 21 août 2017 afin de tenir compte de l'évolution de ses préjudices, d'autre part, de condamner l'État à lui payer la somme de 31 950, 40 euros, majorée des intérêts moratoires au taux légal à compter du 12 février 2018, en réparation des préjudices subis du fait de l'accident de service intervenu le 7 novembre 2015, et enfin, de mettre à la charge de l'État la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1805604 du 18 mars 2021, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a condamné l'Etat à payer à M. C..., d'une part, la somme de 11 500 euros avec intérêts au taux légal à compter du 12 février 2018 en réparation de ses préjudices, d'autre part, la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, a mis les frais et honoraires de l'expertise, liquidés et taxés à la somme de 1 754,40 euros TTC par ordonnance du 13 décembre 2017, à la charge définitive de l'État, et a rejeté le surplus des conclusions de la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 18 mai 2021, M. A... C..., représenté par la S.E.L.A.F.A. Cabinet Cassel, avocat, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il a limité à la somme de 11 500 euros l'indemnité qui lui a été allouée en réparation de ses préjudices, qu'il a refusé de faire droit aux conclusions tendant à la revalorisation de ses préjudices, et en tant que de besoin, à la réalisation d'une expertise judiciaire ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 31 951,40 euros en réparation de ses préjudices, assortie des intérêts au taux légal à compter du 12 février 2018 ;

3°) en tant que de besoin, par un arrêt avant dire droit, de désigner un expert ayant pour mission d'actualiser l'expertise réalisée par le docteur D... le 21 août 2017 afin de tenir compte de l'évolution de ses préjudices ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
- la responsabilité sans faute de l'Etat est engagée ;
- son état de santé a fait l'objet d'une rechute, reconnue imputable à l'accident initial, ce qui a repoussé la date de consolidation au 2 juin 2019 et lui a causé une aggravation de ses préjudices par rapport à ceux constatés dans le rapport d'expertise du 21 août 2017 ;
- cette rechute lui a causé une aggravation des souffrances endurées, de son déficit fonctionnel et l'a affecté sur le plan psychique, nécessitant la mise en place d'un suivi psychologique au sein de la clinique du stress au travail ;
- la qualité de travailleur handicapé lui a été reconnue le 6 août 2020, soit postérieurement à l'enregistrement de sa demande de première instance ;
- le 24 septembre 2020, le médecin chargé de la prévention a estimé qu'il n'était pas apte à la reprise de son activité et qu'une nouvelle expertise devait être réalisée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 juin 2023, le garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :
- les réparations, d'une part, des déficits fonctionnels temporaire et permanent, par l'octroi d'une indemnité globale de 7 500 euros, d'autre part, des souffrances endurées, au titre desquelles M. C... s'est vu allouer une somme de 3 000 euros, comme celle du préjudice d'agrément, ont été correctement appréciées ;
- le préjudice de carrière allégué n'est aucunement établi ;
- une nouvelle expertise n'est pas utile en l'absence d'établissement de toute aggravation des préjudices de M. C... et de remise en cause des conclusions de l'expertise du 21 août 2017.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bonfils,
- et les conclusions de Mme Viseur-Ferré, rapporteure publique.


Considérant ce qui suit :

1. M. A... C..., surveillant pénitentiaire à la maison d'arrêt des Hauts-de-Seine, a déclaré avoir, le 7 novembre 2015, ressenti une vive douleur dans la jambe droite alors qu'il maîtrisait un détenu. Entre le 7 novembre 2015 et le 16 janvier 2017, M. C... a été placé, à plusieurs reprises, en congé de maladie ordinaire imputable au service. Par une ordonnance du juge des référés du 5 mai 2017, le docteur D... a été désigné comme expert. Le 2 octobre 2017, l'expert a rendu son rapport et a fixé la date de consolidation de l'état de santé de M. C... au 1er juin 2017. Par une décision implicite, née le 13 avril 2018, le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté la réclamation préalable formée par M. C... le 8 février 2018, tendant au versement d'une indemnité d'un montant total de 23 169, 40 euros en réparation des préjudices résultant de cet accident de service. M. C... relève appel du jugement du 18 mars 2021 en tant que le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a limité le montant de l'indemnisation mise à la charge de l'Etat à la somme de 11 500 euros avec intérêts au taux légal à compter du 12 février 2018 et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

Sur la responsabilité sans faute de l'Etat :

2. D'une part, aux termes de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983, alors en vigueur : " I.-Le fonctionnaire en activité a droit à un congé pour invalidité temporaire imputable au service lorsque son incapacité temporaire de travail est consécutive à un accident reconnu imputable au service, à un accident de trajet ou à une maladie contractée en service définis aux II, III et IV du présent article. Ces définitions ne sont pas applicables au régime de réparation de l'incapacité permanente du fonctionnaire. / (...) II.-Est présumé imputable au service tout accident survenu à un fonctionnaire, quelle qu'en soit la cause, dans le temps et le lieu du service, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice par le fonctionnaire de ses fonctions ou d'une activité qui en constitue le prolongement normal, en l'absence de faute personnelle ou de toute autre circonstance particulière détachant l'accident du service. (...) ".

3. D'autre part, les dispositions des articles L. 27 et L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite et de l'article 65 de la loi du 11 janvier 1984, lequel était alors en vigueur, qui instituent, en faveur des fonctionnaires victimes d'accidents de service ou de maladies professionnelles, une rente viagère d'invalidité en cas de mise à la retraite et une allocation temporaire d'invalidité en cas de maintien en activité doivent être regardées comme ayant pour objet de réparer les pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par un accident de service ou une maladie professionnelle. Ces dispositions déterminent forfaitairement la réparation à laquelle les fonctionnaires concernés peuvent prétendre, au titre de ces chefs de préjudice, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions. Elles ne font en revanche obstacle ni à ce que le fonctionnaire qui subit, du fait de l'invalidité ou de la maladie, des préjudices patrimoniaux d'une autre nature ou des préjudices personnels, obtienne de la collectivité qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, ni à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre cette personne publique, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette personne.

4. Il est constant en cause d'appel que l'accident dont M. C... a été victime a eu lieu dans le temps et sur le lieu du service et à l'occasion de l'exercice des fonctions et que la hernie discale dont souffre l'intéressé est en relation directe et certaine avec cet accident de service, ainsi que cela est notamment attesté par les conclusions du rapport d'expertise établi par le docteur D... le 21 août 2017. Par suite, M. C... est fondé à demander à son employeur la réparation des préjudices patrimoniaux et personnels résultant des conséquences sur son état de santé de l'accident de service survenu le 7 novembre 2015.

Sur l'évaluation des préjudices :

5. La date de consolidation correspond au moment où les lésions se fixent et se stabilisent et acquièrent un caractère permanent, ce qui permet alors d'apprécier un taux d'incapacité permanente partielle (IPP) résultant d'une pathologie ou d'un accident. La consolidation de l'état de santé ne peut, en revanche, être assimilée à la guérison et ne constitue pas davantage une circonstance impliquant nécessairement la fin des soins nécessités par cette pathologie ou cet accident.

6. M. C... soutient que son état de santé a fait l'objet d'une rechute en 2019, sans toutefois préciser la date de celle-ci, et que, contrairement à ce qui est indiqué dans le rapport d'expertise du Dr D... du 21 août 2017, son état de santé n'était pas consolidé au 1er juin 2017 et l'a été seulement le 2 juin 2019. Au soutien de ses allégations, le requérant produit notamment un certificat médical du 19 août 2019 du Dr B..., médecin agréé exerçant au sein de la maison d'arrêt des Hauts-de-Seine, qui indique que M. C... n'était apte à reprendre ses fonctions de surveillant pénitentiaire qu'à compter du 2 juin 2019, et un avis du médecin de prévention du 24 septembre 2020, qui se montre défavorable à la reprise de l'activité de M. C... au 2 juin 2019 et demande une nouvelle expertise. Toutefois, ces documents ne sont pas de nature à remettre en cause la date de consolidation retenue par l'expert judiciaire, l'imagerie par résonance magnétique (IRM) la plus récente, réalisée le 6 janvier 2020, confirmant les conclusions du rapport d'expertise du docteur D.... En effet, s'il est constant que M. C... a continué de souffrir des douleurs liées à la hernie discale résultant de l'accident de service dont il a été victime, et qu'une opération chirurgicale a été envisagée en 2020, sans cependant que l'intéressé n'apporte dans ses écritures de précision quant à la réalisation de cette intervention, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'aggravation de la seule symptomatologie aurait été telle qu'elle conduirait à remettre en cause les souffrances qui ont été chiffrées par l'expert à 2,5 sur 7. Il n'est pas davantage établi que le besoin d'un suivi psychologique, pour traiter un syndrome post-traumatique lié à l'environnement professionnel, ou la reconnaissance du statut de travailleur handicapé, qui ne fait état d'aucun taux d'incapacité, résulterait d'une aggravation de l'état de santé de M. C... imputable à son accident initial. Dans ces conditions, nonobstant la décision de consolidation du 16 juillet 2020 de la cheffe d'établissement du centre pénitentiaire des Hauts-de-Seine, qui fixe la date de consolidation de M. C... au 2 juin 2019 au vu d'une décision médicale évoquant seulement une inaptitude temporaire aux fonctions jusqu'au 1er juin 2019, et sans qu'il soit besoin, en l'état de l'instruction, d'ordonner une nouvelle expertise judiciaire, M. C... n'est pas fondé à se prévaloir d'une date de consolidation postérieure à celle fixée au 1er juin 2017 et, pour ce seul motif, à réclamer une indemnisation complémentaire à celle d'un montant total de 11 500 euros qui lui a été accordée par le tribunal administratif de Cergy-Pontoise.

7. Il résulte de ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a mis à la charge de l'Etat la somme de 11 500 euros à verser à M. C... en réparation des préjudices résultant de l'accident de service survenu le 7 novembre 2015. Par suite, les conclusions indemnitaires de M. C..., ainsi que par voie de conséquence celles qu'il a présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête présentée par M. C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C... et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 21 novembre 2023, à laquelle siégeaient :
M. Brotons, président de chambre,
Mme Pham, première conseillère,
Mme Bonfils, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 décembre 2023.
La rapporteure,
M. -G. BONFILS
Le président,
S. BROTONS
La greffière,
S. de SOUSA
La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,

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N° 21VE01388