Conseil d'État, 7ème - 2ème chambres réunies, 28/11/2023, 467967, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
M. E... D... a demandé au tribunal administratif de La Réunion d'annuler la décision du 10 décembre 2020 par laquelle le ministre de l'économie, des finances et de la relance a rejeté sa demande de réversion de la rente d'invalidité de Mme B... B..., ainsi que la décision du 18 janvier 2021 née du silence gardé sur son recours gracieux et d'enjoindre au ministre de lui octroyer une rente d'invalidité à hauteur de 60 % du traitement de Mme B... B... ou, à défaut, de réexaminer sa demande.
Par un jugement n° 2100334 du 2 août 2022, le tribunal administratif de La Réunion a rejeté sa demande.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique enregistrés les 3 octobre et 21 décembre 2022 et 19 mai 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. D... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le premier protocole additionnel à cette convention;
- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Audrey Prince, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Nicolas Labrune, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Fabiani, Luc-Thaler, Pinatel, avocat de M. D... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le décès de Mme B... B..., professeure de lycée, survenu le 2 mars 2020, a été reconnu imputable au service par une décision de la rectrice de l'académie de La Réunion du 21 octobre 2020. Par un courriel du 3 décembre 2020, M. D..., concubin de Mme B... B..., a demandé au service des retraites de l'Etat la réversion de la rente d'invalidité due à Mme B... B.... Par une décision du 10 décembre 2020, le ministre de l'économie, des finances et de la relance a rejeté sa demande au motif que le couple formé par M. D... et Mme B... B... n'était pas marié. Par un jugement du 2 août 2022, contre lequel M. D... se pourvoit en cassation, le tribunal administratif de La Réunion a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision par laquelle le ministre de l'économie, des finances et de la relance a rejeté sa demande de réversion de la rente d'invalidité de Mme B... B....
2. Aux termes de l'article L. 38 du code des pensions civiles et militaires de retraite : " Les conjoints d'un fonctionnaire civil ont droit à une pension de réversion égale à 50 % de la pension obtenue par le fonctionnaire ou qu'il aurait pu obtenir au jour de son décès. / A la pension de réversion s'ajoutent, le cas échéant : / 1° La moitié de la rente d'invalidité dont le fonctionnaire bénéficiait ou aurait pu bénéficier (...) ". Aux termes de l'article L. 39 du même code : " Le droit à pension de réversion est subordonné à la condition : / a) Si le fonctionnaire a obtenu ou pouvait obtenir une pension accordée dans le cas prévu à l'article L. 4 (1°), que depuis la date du mariage jusqu'à celle de la cessation de l'activité du fonctionnaire, celui-ci ait accompli deux années au moins de services valables pour la retraite, sauf si un ou plusieurs enfants sont issus du mariage antérieur à ladite cessation ; / b) Si le fonctionnaire a obtenu ou pouvait obtenir une pension accordée dans le cas prévu à l'article L. 4 (2°), que le mariage soit antérieur à l'événement qui a amené la mise à la retraite ou la mort du fonctionnaire. / Toutefois, au cas de mise à la retraite d'office par suite de l'abaissement des limites d'âge, il suffit que le mariage soit antérieur à la mise à la retraite et ait été contracté deux ans et au moins avant soit la limite d'âge en vigueur au moment où il a été contracté, soit le décès du fonctionnaire si ce décès survient antérieurement à ladite limite d'âge. (...) ".
3. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 434-8 du code de la sécurité sociale : " (...), le conjoint ou le concubin ou la personne liée par un pacte civil de solidarité a droit à une rente viagère égale à une fraction du salaire annuel de la victime, à condition que le mariage ait été contracté, le pacte civil de solidarité conclu ou la situation de concubinage établie antérieurement à l'accident ou, à défaut, qu'ils l'aient été depuis une durée déterminée à la date du décès (...) ". Aux termes de l'article L. 712-1 du même code : " Les fonctionnaires en activité, soumis au statut général, et les magistrats de l'ordre judiciaire bénéficient, ainsi que leur famille, dans le cas de maladie, maternité, invalidité et décès, de prestations au moins égales à celles qui résultent de la législation relative au régime général de sécurité sociale ".
4. En premier lieu, les dispositions générales de l'article L. 712-1 du code de la sécurité sociale n'ont ni pour objet, ni pour effet, lorsque des dispositions spécifiques propres aux fonctionnaires prévoient une prestation en matière de maladie, maternité, invalidité et décès et les conditions pour l'obtenir, de faire prévaloir celles du régime général sur ces dernières. Par suite, en se fondant sur les dispositions de l'article L. 39 du code des pensions civiles et militaires de retraite pour juger que le droit à la réversion de la rente d'invalidité dont le fonctionnaire décédé bénéficiait ou aurait pu bénéficier était réservé au conjoint de celui-ci et non à son concubin, alors même que les règles du code de la sécurité sociale applicables aux salariés du secteur privé seraient plus favorables, le tribunal administratif de La Réunion, dont le jugement est suffisamment motivé, n'a pas commis d'erreur de droit.
5. En deuxième lieu, il résulte des dispositions citées au point 2 que si le droit à une fraction de la rente d'invalidité du conjoint du fonctionnaire décédé peut s'ajouter au droit à la pension de réversion, ces droits sont soumis à la même condition de mariage. Par suite, en jugeant que la circonstance que le droit du conjoint du fonctionnaire décédé à la moitié de la rente d'invalidité et le droit à la pension de réversion constitueraient des prestations distinctes était sans influence sur la légalité de la décision litigieuse, le tribunal administratif n'a pas commis d'erreur de droit.
6. En dernier lieu, en jugeant que la différence de traitement en fonction du statut de la personne défunte, selon qu'elle avait la qualité d'agent public titulaire ou de salarié du secteur privé correspond à une différence de situation entre assurés du secteur public et du secteur privé et, par suite, ne méconnaît pas les stipulations combinées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention, le tribunal administratif de La Réunion a suffisamment motivé son jugement sur ce point et n'a, au demeurant, pas commis d'erreur de droit.
7. Il résulte de ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à demander l'annulation du jugement qu'il attaque.
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de M. D... est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. E... D... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.