CAA de NANCY, 4ème chambre, 29/12/2023, 21NC03133, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision29 décembre 2023
Num21NC03133
JuridictionNancy
Formation4ème chambre
PresidentMme GHISU-DEPARIS
RapporteurMme Sophie ROUSSAUX
CommissaireM. MICHEL

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal des pensions militaires de Strasbourg d'annuler la décision du 30 juin 2017 de la ministre des armées rejetant sa demande de révision de pension militaire d'invalidité et d'ordonner avant dire droit une expertise judiciaire aux fins de se prononcer sur l'aggravation de son infirmité " séquelles de fracture de l'omoplate droite chez un droitier ".

En application du décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018, le tribunal des pensions militaires de Strasbourg a transmis, pour attribution, au tribunal administratif de Strasbourg la demande de M. A....

Par un jugement n° 2000798 du 3 novembre 2021, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé la décision du 30 juin 2017 par laquelle la ministre des armées a rejeté la demande de révision de M. A... pour l'infirmité " séquelles de fracture de l'omoplate droite chez un droitier ".
Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 6 décembre 2021, la ministre des armées demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 3 novembre 2021 ;

2°) de rejeter la demande de M. A....

Elle soutient que :
- c'est à tort que les premiers juges se sont bornés à annuler la décision du 30 juin 2017 alors qu'en raison de leur office des juges de plein contentieux, ils auraient dû se prononcer sur les droits à pension militaire d'invalidité de M. A... ;
- sa décision du 30 juin 2017 n'est pas entachée d'erreur d'appréciation car, alors que le guide barème fixe un taux de 10 % à 30 % maximum pour les raideurs articulaires, M. A... est déjà indemnisé au taux de 35 % pour ses " séquelles de fracture de l'omoplate droite (...) " depuis 2008, soit au-delà du taux maximum prévu par le guide-barème des invalidités.


M. A..., à qui la procédure a été communiquée, n'a pas produit de mémoire en défense.


Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Roussaux, première conseillère,
- et les conclusions de M. Michel, rapporteur public.


Considérant ce qui suit :

1. M. A..., né le 29 mars 1940, est titulaire d'une pension militaire d'invalidité à un taux global de 55 %, concédée par un arrêté du 4 août 2008. Cette pension recouvre les infirmités " séquelles de fracture de l'omoplate droite chez un droitier " à hauteur de 35 % et " syndrome post commotionnel " à hauteur de 20 %. Par une première demande du 23 décembre 2011, il a sollicité la révision de sa pension pour aggravation de l'infirmité " séquelles de fracture de l'omoplate droite chez un droitier ". Par une décision du 26 juin 2012, le ministre de la défense a rejeté cette demande. Par une seconde demande en date du 26 mai 2016, reçue le 27 mai 2016, M. A... a de nouveau sollicité la révision de sa pension pour aggravation de l'infirmité " séquelles de fracture de l'omoplate droite chez un droitier ". Par une décision du 30 juin 2017, la ministre des armées a rejeté cette demande. Par un jugement du 3 novembre 2021, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé cette décision. La ministre des armées relève appel de ce jugement.





Sur la régularité du jugement :

2. Lorsqu'il est saisi d'un litige en matière de pensions militaires d'invalidité, il appartient au juge administratif, en sa qualité de juge de plein contentieux, de se prononcer lui-même sur les droits de l'intéressé qu'il lui appartient de fixer.

3. Il résulte de ce qui précède qu'en annulant la décision du 30 juin 2017 de la ministre des armées rejetant la demande de révision de pension militaire d'invalidité de M. A... sans déterminer le taux d'invalidité de son infirmité, qui conditionne l'ouverture de son droit à pension, le tribunal a méconnu son obligation d'épuiser son pouvoir juridictionnel. Par suite, comme l'oppose à juste titre le ministre des armées , le jugement est irrégulier et doit être, pour ce motif, annulé.

4. Il y a lieu pour la cour d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande de M. A....

Sur la demande de pension militaire d'invalidité :

5. Aux termes de l'article L. 6 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, alors applicable : " La pension militaire d'invalidité prévue par le présent code est attribuée sur demande de l'intéressé. L'entrée en jouissance est fixée à la date du dépôt de la demande (...) ". Aux termes de l'article L. 29 du même code, en vigueur à la date de la demande de révision de la pension du requérant : " Le titulaire d'une pension d'invalidité concédée à titre définitif peut en demander la révision en invoquant l'aggravation d'une ou plusieurs des infirmités en raison desquelles cette pension a été accordée. / Cette demande est recevable sans condition de délai. / La pension ayant fait l'objet de la demande est révisée lorsque le pourcentage d'invalidité résultant de l'infirmité ou de l'ensemble des infirmités est reconnu supérieur de 10 points par rapport au pourcentage antérieur. / Toutefois, l'aggravation ne peut être prise en considération que si le supplément d'invalidité est exclusivement imputable aux blessures et aux maladies constitutives des infirmités pour lesquelles la pension a été accordée. / La pension définitive révisée est concédée à titre définitif ".

6. Aux termes de l'article L. 4 du même code : " La pension est concédée :1° Au titre des infirmités résultant de blessures, si le taux d'invalidité qu'elles entraînent atteint ou dépasse 10 % ; 2° Au titre d'infirmités résultant de maladies associées à des infirmités résultant de blessures, si le taux global d'invalidité atteint ou dépasse 30 % ; 3° Au titre d'infirmités résultant exclusivement de maladie, si le taux d'invalidité qu'elles entraînent atteint ou dépasse : a) 30 % en cas d'infirmité unique ; b) 40 % en cas d'infirmités multiples. " Aux termes de l'article L. 9 du même code : " (...) Le taux de la pension définitive ou temporaire est fixé, dans chaque grade, par référence au degré d'invalidité apprécié de 5 en 5 jusqu'à 100 %. / Quand l'invalidité est intermédiaire entre deux échelons, l'intéressé bénéficie du taux afférent à l'échelon supérieur (...) ". Enfin, aux termes de l'article L. 14 du même code : " Dans le cas d'infirmités multiples dont aucune n'entraîne l'invalidité absolue, le taux d'invalidité est considéré intégralement pour l'infirmité la plus grave et pour chacune des infirmités supplémentaires, proportionnellement à la validité restante. / A cet effet, les infirmités sont classées par ordre décroissant de taux d'invalidité. / Toutefois, quand l'infirmité principale est considérée comme entraînant une invalidité d'au moins 20 %, les degrés d'invalidité de chacune des infirmités supplémentaires sont élevés d'une, de deux ou de trois catégories, soit de 5, 10, 15 %, et ainsi de suite, suivant qu'elles occupent les deuxième, troisième, quatrième rangs dans la série décroissante de leur gravité ".

7. Il résulte de ces dispositions que le degré d'infirmité est déterminé au jour du dépôt de la demande de l'intéressé, sans qu'il soit possible de tenir compte d'éléments d'aggravation postérieurs à cette date. L'administration doit dès lors se placer à la date de la demande de pension pour évaluer le degré d'invalidité entraîné par l'infirmité invoquée. Par ailleurs, une pension acquise à titre définitif ne peut être révisée que si le degré d'invalidité résultant de l'infirmité ou de l'ensemble des infirmités est reconnu supérieur de 10 % au moins au pourcentage antérieur.

8. En l'espèce, l'arrêté du 4 août 2008 du ministre de la défense portant concession à titre définitif d'une pension militaire d'invalidité au taux global de 55 % à M. A... et pour lequel ce dernier sollicite une révision uniquement pour la 1ère infirmité, fixe le taux de la première infirmité résultant des " séquelles de fracture de l'omoplate droite chez un droitier (...) " à 35 % et de la seconde infirmité " syndrome post commotionnel, perte de mémoire de fixation, céphalées, vertiges " à 20 %, avec un correctif de 5 %. Par la décision contestée en date du 30 juin 2017, la ministre des armées a rejeté la demande de révision de la pension de M. A... au titre de l'infirmité " séquelles de fracture de l'omoplate droite chez un droitier (...) " au motif que le taux d'aggravation est inférieur à 10 %.

9. Il résulte de l'instruction et notamment de l'expertise médicale du 2 mai 2012 de la sous-direction des pensions qu'une aggravation de 10 % de l'infirmité " séquelles de fracture de l'omoplate droite chez un droitier (...) " avait déjà été constatée depuis le 4 août 2008, date de l'arrêté fixant le taux de la pension militaire d'invalidité, et que le médecin expert avait proposé un taux d'invalidité de 45 %. Cette aggravation a été confirmée lors de la nouvelle expertise médicale du 2 janvier 2017, ordonnée par la ministre des armées. Par ailleurs, le requérant produit à l'instance un certificat médical, établi le 24 mai 2016 par un médecin radiologue, dont il ressort que le requérant " présente des scapulalgies droites avec une instabilité dans les séquelles d'une fracture de l'omoplate droite " et que " comparativement à 2011, on note une aggravation de son état avec progression des lésions radiologiques d'omarthrose et d'arthrose acromio-claviculaire, persistance d'une amyotrophie des loges sus et sous épineuses, lâchage au testing de l'ensemble des tendons de la coiffe des rotateurs, diminution des amplitudes en abduction élévation antérieure de 10 à 20° ".

10. Ainsi, il résulte de l'instruction que l'infimité pensionnée " séquelles de fracture de l'omoplate droite chez un droitier (...) " sur la période comprise entre le 4 août 2008 et le 27 mai 2016, date de la demande de révision de la pension militaire d'invalidité par M. A..., s'est aggravée à hauteur de 10 %, ce qui n'est d'ailleurs plus contesté. C'est par suite , par une erreur d'appréciation des faits de l'espèce que la ministre des armes a refusé à M. A... la révision de sa pension.

11. La ministre des armées sollicite dans ses dernières écritures une substitution de motifs en faisant valoir que le taux de la pension militaire d'invalidité de 35 % déjà accordé à M. A... pour cette infirmité est déjà au-delà du taux maximum prévu par le guide-barème des invalidités. Toutefois, les recommandations du guide-barème ne sont impératives en matière de pourcentages d'invalidité que dans le cas des amputations et exérèses d'organe. En conséquence, le motif invoqué par la ministre n'est pas au nombre de ceux pouvant justifier refus de révision de la pension de M. A....

12. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de retenir un taux d'invalidité de 45 % pour l'infirmité " séquelles de fracture de l'omoplate droite chez un droitier ". Ainsi, le taux global de la pension militaire d'invalidité de M. A... doit être déterminé en retenant les infirmités et taux suivants : première infirmité résultant des " séquelles de fracture de l'omoplate droite chez un droitier (...) " au taux de 45 % et la seconde infirmité " syndrome post commotionnel, perte de mémoire de fixation, céphalées, vertiges " à hauteur de 20 %, avec un correctif de 5 %. La prise en compte successive de ces infirmités, proportionnellement à la validité restante, aboutit à un taux d'invalidité de 58,75 % (25 X 55/100 = 13,75 % pour la seconde infirmité). Ce taux d'invalidité étant intermédiaire entre deux échelons, M. A... a par conséquent droit à une pension militaire d'invalidité au taux global de 60 % avec effet au 27 mai 2016, date de réception de sa demande de révision de pension militaire d'invalidité.

13. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de procéder à une expertise médicale, que la décision du 30 juin 2017 par laquelle la ministre des armées a rejeté la demande de pension militaire d'invalidité de M. A... doit être annulée et le taux global de la pension militaire d'invalidité de M. A... fixé à 60 % avec effet au 27 mai 2016.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 3 novembre 2021 et la décision de la ministre des armées du 30 juin 2017 sont annulés.

Article 2 : Il est attribué à M. A... une pension militaire d'invalidité au taux global de 60 % avec effet au 27 mai 2016.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre des armées et à M. B... A....


Délibéré après l'audience du 19 décembre 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Ghisu-Deparis, présidente,
- Mme Samsnon-Dye, présidente assesseure,
- Mme Roussaux, première conseillère,


Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 décembre 2023.


Le rapporteur,
Signé : S. RoussauxLa présidente,
Signé : V. Ghisu-Deparis
La greffière,
Signé : M. C...
La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
M. C...
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N°21NC03133