CAA de BORDEAUX, 6ème chambre, 19/03/2024, 22BX00555, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 14 septembre 2020 par lequel le maire de Bordeaux l'a admise au bénéfice d'une pension de retraite pour invalidité à compter du 1er octobre 2020.
Par un jugement n° 2100278 du 20 décembre 2021, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 18 février 2022 et le 26 juin 2023, Mme D... A..., représentée par Me Scaillierez, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 20 décembre 2021 ;
2°) de faire droit à sa demande de première instance ;
3°) d'enjoindre au maire de Bordeaux de la réintégrer dans ses fonctions et de reconstituer sa carrière à compter du 1er octobre 2020 ;
4°) de mettre à la charge de la commune de Bordeaux la somme de 1 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement n'est pas signé par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier ;
- l'arrêté en litige a été signé par une autorité dépourvue de délégation de signature exécutoire ;
- l'arrêté n'est pas motivé ;
- dès lors qu'elle n'est pas inapte à toutes fonctions, elle ne pouvait être mise d'office à la retraite en application de l'article 39 du décret du 26 décembre 2003 ;
- elle a fait une demande de reclassement, et la proposition qui lui a été faite ne correspondait manifestement pas à ses compétences et ne pouvait aboutir qu'à un refus de sa part ; aucune autre proposition ne lui a été faite depuis 2015 ; la commune n'a fait aucune démarche loyale et concrète et ne lui a proposé aucune formation ; elle n'était pas tenue de la reclasser dans un emploi d'adjoint administratif.
Par un mémoire en défense, enregistré le 22 mai 2023, la commune de Bordeaux, représentée par la SELAS Elige Bordeaux, agissant par Me Merlet-Bonnan, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de Mme A... le versement d'une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le décret n° 85-1054 du 30 septembre 1985 ;
- le décret n° 2003-1306 du 26 décembre 2003 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Au cours de l'audience publique, ont été entendus :
- le rapport de M. B...,
- les conclusions de M. Duplan, rapporteur public ;
- et les observations de Me Scaillierez pour Mme A... et de Me Merlet-Bonnan pour la commune de Bordeaux.
Considérant ce qui suit :
1. Mme D... A..., adjointe technique territoriale de deuxième classe de la commune de Bordeaux, née le 9 mai 1963, et qui exerçait les fonctions d'agent d'entretien, a présenté des arrêts de travail à compter du 1er octobre 2012. Placée en congés de maladie imputables à une maladie contractée en service jusqu'au 19 mai 2014, puis en congés de maladie ordinaires pendant une durée de douze mois, elle a été ensuite placée en disponibilité d'office pour raisons de santé le 20 mai 2015. Le comité médical départemental réuni le 19 mars 2015 a émis un avis d'inaptitude totale et définitive de l'agent à ses fonctions. En l'absence de reclassement, le maire de Bordeaux a admis d'office Mme A... à la retraite pour invalidité à compter du 1er octobre 2020, par un arrêté du 14 septembre 2020. Mme A... a demandé l'annulation de cet arrêté au tribunal administratif de Bordeaux, qui a rejeté sa demande. Elle relève appel de ce jugement en date du 20 décembre 2021.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ". En l'espèce, il ressort des pièces du dossier de première instance que la minute du jugement attaqué a été signée conformément à ces dispositions. La circonstance que l'ampliation notifiée à Mme A... ne comportait pas les signatures exigées par ces dispositions est sans incidence sur la régularité du jugement. Par suite, le moyen doit être écarté comme manquant en fait.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 2122-18 du code général des collectivités territoriales : " Le maire est seul chargé de l'administration, mais il peut, sous sa surveillance et sa responsabilité, déléguer par arrêté une partie de ses fonctions à un ou plusieurs de ses adjoints et à des membres du conseil municipal ". Et aux termes de l'article L. 2131-1 du même code, dans sa rédaction en vigueur : " Les actes pris par les autorités communales sont exécutoires de plein droit dès qu'il a été procédé à leur publication ou affichage ou à leur notification aux intéressés ainsi qu'à leur transmission au représentant de l'Etat dans le département ou à son délégué dans l'arrondissement. (...) / La publication ou l'affichage des actes mentionnés au premier alinéa sont assurés sous forme papier (...) ".
4. Il ressort des pièces du dossier que, par un arrêté n° 202014091 du 15 juillet 2020, affiché et transmis au représentant de l'Etat le 20 juillet suivant, le maire de Bordeaux a donné délégation de signature à M. E... C..., directeur en charge de la vie administrative et de la qualité de vie au travail, à l'effet de signer, sous la surveillance et la responsabilité du maire, les documents, " relatifs aux pouvoirs propres et exécutifs du Maire et gérés par les services placés sous son autorité sans être placés directement sous l'autorité d'un Adjoint au Directeur général ou d'un Directeur de service du ressort de la Direction générale Ressources humaines et administration générale : 5 - En matière de carrière/paye/statut/ discipline, pour l'ensemble des personnels de droit public et privé : (...) les invalidités y compris retraite. " Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté en litige portant admission à la retraite pour invalidité doit être écarté comme manquant en fait.
5. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : (...) / 4° Retirent ou abrogent une décision créatrice de droits ; (...) ". Et aux termes de l'article L. 211-5 de ce code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ".
6. L'arrêté du 14 septembre 2020 vise, outre l'avis du comité médical du 19 mars 2015, la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, le décret du 26 décembre 2003 relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales, mentionne que Mme A... a été reconnue définitivement inapte à ses fonctions et, qu'en conséquence, il y a lieu de lui accorder le bénéfice d'une pension de retraite pour invalidité. Il comporte ainsi l'énoncé des considérations de fait et de droit qui en constituent le fondement.
7. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 29 du code des pensions civiles et militaires de retraite : " Le fonctionnaire civil qui se trouve dans l'incapacité permanente de continuer ses fonctions en raison d'une invalidité ne résultant pas du service et qui n'a pu être reclassé dans un autre corps (...) peut être radié des cadres par anticipation soit sur sa demande, soit d'office (...) ". Aux termes du premier alinéa de l'article 30 du décret du 26 décembre 2003 relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales : " Le fonctionnaire qui se trouve dans l'impossibilité définitive et absolue de continuer ses fonctions par suite de maladie, blessure ou infirmité grave dûment établie peut être admis à la retraite soit d'office, soit sur demande ". Et aux termes de son article 39 : " Le fonctionnaire qui se trouve dans l'incapacité permanente de continuer ses fonctions en raison d'une invalidité ne résultant pas du service peut être mis à la retraite par anticipation soit sur demande, soit d'office dans les délais prévus au troisième alinéa de l'article 30 ".
8. Contrairement à ce que soutient Mme A..., ces dispositions ne subordonnent pas la mise à la retraite d'office d'un fonctionnaire à la condition qu'il soit inapte à l'exercice de toutes fonctions. Le moyen tiré de l'erreur de droit commise par la commune de Bordeaux doit, dès lors, être écarté.
9. En dernier lieu, aux termes de l'article 81 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, dans sa version applicable : " Les fonctionnaires territoriaux reconnus, par suite d'altération de leur état physique, inaptes à l'exercice de leurs fonctions peuvent être reclassés dans les emplois d'un autre cadre d'emploi, emploi ou corps s'ils ont été déclarés en mesure de remplir les fonctions correspondantes. Le reclassement est subordonné à la présentation d'une demande par l'intéressé ". L'article 2 du décret du 30 septembre 1985 relatif au reclassement des fonctionnaires territoriaux reconnus inaptes à l'exercice de leurs fonctions précise que : " Lorsque l'état physique d'un fonctionnaire territorial, sans lui interdire d'exercer toute activité, ne lui permet pas d'exercer des fonctions correspondant aux emplois de son grade, l'autorité territoriale ou le président du centre national de la fonction publique territoriale ou le président du centre de gestion, après avis du comité médical, invite l'intéressé soit à présenter une demande de détachement dans un emploi d'un autre corps ou cadres d'emplois, soit à demander le bénéfice des modalités de reclassement prévues à l'article 82 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ".
10. La mise en œuvre de l'obligation de reclassement implique que, sauf si l'agent manifeste expressément sa volonté non équivoque de ne pas reprendre une activité professionnelle, l'employeur propose à ce dernier un emploi compatible avec son état de santé et aussi équivalent que possible avec l'emploi précédemment occupé ou, à défaut d'un tel emploi, tout autre emploi si l'intéressé l'accepte.
11. Mme A... fait valoir qu'elle a sollicité son reclassement par courrier du 5 juin 2015 mais n'a reçu qu'une seule proposition de reclassement, en 2015, qu'elle a été contrainte de refuser car inadaptée à ses compétences et soutient que la commune de Bordeaux n'a pas procédé à des recherches de reclassement de façon sérieuse et loyale.
12. Toutefois, d'une part, il ressort des pièces du dossier que dans son avis du 19 mars 2015, le comité médical départemental a estimé que Mme A... était inapte totalement et définitivement à ses fonctions. Si Mme A... reproche à la commune de Bordeaux d'avoir limité ses recherches de reclassement à des emplois d'adjoint administratif, elle n'apporte aucun élément de nature à établir que d'autres emplois d'adjoint technique auraient été compatibles avec son état de santé.
13. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que, si un poste d'agent d'accueil dans une mairie de quartier a été proposé à Mme A... au mois de juillet 2015, l'intéressée a refusé ce poste, qui exigeait des compétences en informatique qu'elle ne détenait pas. A la suite de ce refus, la commune de Bordeaux a effectué un bilan des savoirs et compétences de son agent au mois de février 2016, qui a notamment révélé son absence de maîtrise du français écrit, exigeant des cours d'alphabétisation de 200 heures minimum et empêchant également une remise à niveau en matière de bureautique. Alors que Mme A... se borne à se prévaloir de l'importance des effectifs de son employeur, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'un emploi d'adjoint administratif ne nécessitant pas la maîtrise du français écrit aurait pu lui être proposé. Enfin, compte tenu de l'ampleur de l'apprentissage nécessaire, et du caractère aléatoire de son succès, la commune de Bordeaux, après l'avis favorable émis par la commission de réforme le 16 octobre 2019, ne saurait être regardée comme ayant fait preuve de déloyauté et manqué à son obligation de reclassement.
14. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Sur les frais de l'instance :
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Bordeaux, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par Mme A..., au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme A... la somme demandée par la commune de Bordeaux au même titre.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la commune de Bordeaux sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... A... et à la commune de Bordeaux.
Délibéré après l'audience du 26 février 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Ghislaine Markarian, présidente,
M. Frédéric Faïck, président assesseur,
M. Julien Dufour, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 19 mars 2024.
Le rapporteur,
Julien B...
La présidente,
Ghislaine Markarian
La greffière,
Catherine JussyLa République mande et ordonne au préfet de la Gironde en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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