CAA de MARSEILLE, 4ème chambre, 09/04/2024, 24MA00108, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Nice, d'une part d'annuler l'arrêté du 20 juin 2023 par lequel le directeur de l'établissement public local d'enseignement et de formation professionnelle agricole " campus vert d'azur " d'Antibes a prononcé à son encontre la sanction disciplinaire du blâme, ensemble la décision du
31 août 2023 rejetant son recours gracieux, d'autre part d'enjoindre à cet établissement public local de retirer cette sanction et tout autre document faisant référence à la procédure disciplinaire et enfin de condamner cet établissement à lui verser la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Par une ordonnance n° 2305594 du 17 novembre 2023, le président de la
sixième chambre du tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 16 janvier et 20 mars 2024,
Mme A..., représentée par Me Taulet, demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) à titre principal, d'annuler cette ordonnance du 17 novembre 2023 ;
2°) d'annuler la décision de blâme ainsi que la décision tacite rejetant son recours gracieux contre cette sanction ;
3°) d'enjoindre à l'établissement public local d'enseignement et de formation professionnelle agricole " campus vert d'azur " d'Antibes de retirer cette sanction, et tout autre document faisant référence à la procédure disciplinaire ;
4°) subsidiairement, d'annuler cette ordonnance et de renvoyer l'affaire devant le tribunal administratif de Nice ;
5°) en tout état de cause, de mettre à la charge de l'administration une somme de
3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- contrairement à la notification qui lui a été faite par le tribunal de l'ordonnance attaquée, seule la Cour est compétente pour connaître de sa requête ;
- c'est à tort que le premier juge a considéré sa demande comme tardive, dès lors que le délai de recours contentieux a couru à son encontre non pas à compter de la présentation du pli à son domicile, mais à partir du jour où elle a retiré ce pli à la poste ;
- la sanction en litige est irrégulière, faute pour elle d'avoir pu accéder à l'intégralité de son dossier individuel, avant son entretien disciplinaire, en méconnaissance de l'article 44 du décret n° 86-83 du 17 janvier 1986 relatif aux dispositions générales applicables aux agents contractuels de l'Etat ;
- la sanction en litige est entachée d'une erreur de fait et s'avère disproportionnée ;
- la Cour ne pourra pas évoquer l'affaire, dès lors que les mémoires en défense, qui ne portent que sur le fond du litige, lui ont été communiqués tardivement.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 mars 2024, l'établissement public local d'enseignement et de formation professionnelle agricole " campus vert d'azur " d'Antibes, représenté par Me Urien, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de son auteure la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, en faisant valoir que les moyens d'appel relatifs à la légalité de la sanction en litige ne sont pas fondés.
Par des observations, enregistrées le 19 mars 2024, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire conclut à ce que l'Etat soit mis hors de cause dans cette instance, dès lors que seul le directeur de l'établissement public dont relève la requérante a compétence pour produire des écritures en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code des postes et des communications électroniques ;
- le code de procédure civile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Revert,
- les conclusions de Mme Balaresque, rapporteure publique,
- et les observations de Me Urien, représentant l'établissement public local d'enseignement et de formation professionnelle agricole " campus vert d'azur " d'Antibes.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., agente contractuelle dans l'établissement public local d'enseignement et de formation professionnelle agricole " campus vert d'azur " d'Antibes, a été sanctionnée d'un blâme par une décision du directeur de cet établissement du 20 juin 2023, contre laquelle elle a formé un recours gracieux le 20 juillet 2023. Par une ordonnance du
17 novembre 2023, dont Mme A... relève appel, le président de la sixième chambre du tribunal administratif de Nice, faisant application des dispositions du 4° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, a rejeté comme tardive sa demande tendant d'une part à l'annulation de ce blâme et de la décision du 31 août 2023 rejetant son recours gracieux et d'autre part au retrait de ce blâme ou de tout document mentionnant cette procédure disciplinaire.
Sur le cadre juridique applicable :
2. D'une part, aux termes de l'article R. 222-1 du code de justice administrative :
" Les présidents de tribunal administratif et de cour administrative d'appel, (...) les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours (...) peuvent, par ordonnance : / (...)
4° Rejeter les requêtes manifestement irrecevables, lorsque la juridiction n'est pas tenue d'inviter leur auteur à les régulariser ou qu'elles n'ont pas été régularisées à l'expiration du délai imparti par une demande en ce sens (...)".
3. D'autre part, aux termes de l'article R. 421-1 du même code : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée ". L'article L. 411-5 du code des relations entre le public et l'administration précise que : " Toute décision administrative peut faire l'objet, dans le délai imparti pour l'introduction d'un recours contentieux, d'un recours gracieux ou hiérarchique qui interrompt le cours de ce délai./ Lorsque dans le délai initial du recours contentieux ouvert à l'encontre de la décision, sont exercés contre cette décision un recours gracieux et un recours hiérarchique, le délai du recours contentieux, prorogé par l'exercice de ces recours administratifs, ne recommence à courir à l'égard de la décision initiale que lorsqu'ils ont été l'un et l'autre rejetés. ".
4. Enfin, l'article 5 de l'arrêté du 7 février 2007 pris en application de l'article R. 2-1 du code des postes et des communications électroniques et fixant les modalités relatives au dépôt et à la distribution des envois postaux, dispose que : " En cas d'absence du destinataire à l'adresse indiquée par l'expéditeur lors du passage de l'employé chargé de la distribution, un avis du prestataire informe le destinataire que l'envoi postal est mis en instance pendant un délai de quinze jours à compter du lendemain de la présentation de l'envoi postal à son domicile ainsi que du lieu où cet envoi peut être retiré ". Il résulte de ces dispositions que lorsque le destinataire du pli recommandé avec avis de réception le retire au bureau de poste durant le délai de mise en instance de quinze jours, la date de notification de ce pli est celle de son retrait.
En cas de retour du pli à l'administration au terme du délai de mise en instance, la notification est réputée avoir été régulièrement accomplie à la date à laquelle ce pli a été présenté à l'adresse de l'intéressé, dès lors du moins qu'il résulte soit de mentions précises, claires et concordantes portées sur l'enveloppe, soit, à défaut, d'une attestation du service postal ou d'autres éléments de preuve, que le préposé a, conformément à la réglementation en vigueur, déposé un avis d'instance informant le destinataire que le pli était à sa disposition au bureau de poste.
Sur le bien-fondé de l'ordonnance attaquée :
5. Il ressort des pièces du dossier, et plus particulièrement de la capture d'écran de la consultation du site des services postaux produite par la requérante en première instance, que si le pli recommandé avec avis de réception contenant la décision du 31 août 2023 qui rejette le recours gracieux formé par Mme A... le 20 juillet 2023 contre la décision de blâme du
20 juin 2023, laquelle comportait la mention des voies et délais de recours, lui a été présenté pour la première fois à son adresse le 5 septembre 2023, l'intéressée a retiré ce pli au bureau de poste le 11 septembre 2023, soit dans le délai de mise en instance de quinze jours prévu à l'article 5 de l'arrêté du 7 février 2007 cité au point 4. Son recours gracieux ayant valablement prorogé le délai de recours contentieux contre la décision de blâme, Mme A... disposait ainsi, à compter du 12 septembre 2023, d'un nouveau délai de deux mois pour demander au tribunal administratif de Nice l'annulation non seulement de cette décision, mais également de celle du 31 août 2023 rejetant son recours gracieux. Un tel délai, qui est un délai franc, expirait non pas le 12 novembre 2023, qui était un dimanche, mais le lendemain à minuit, conformément aux dispositions de l'article 642 du code de procédure civile. Par suite, contrairement à la mention du premier juge, selon lequel " Le fait pour Mme A... de n'avoir retiré le pli recommandé contenant la décision de rejet de son recours gracieux que le lundi
11 septembre 2023, n'a pas eu pour effet de retarder le point de départ du délai de recours contentieux ", la demande contentieuse de Mme A..., enregistrée au greffe du tribunal le
13 novembre 2023, à 21 heures 43, n'était pas tardive. Elle est donc fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le président de la sixième chambre du tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande comme irrecevable en application des dispositions du 4° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative. Il y a donc lieu d'annuler cette ordonnance et, au cas d'espèce, de renvoyer l'affaire au tribunal administratif de Nice pour qu'il statue à nouveau sur la demande de Mme A....
Sur les frais d'instance :
6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de Mme A..., qui n'est pas la partie perdante dans cette instance, au titre des frais exposés par l'établissement public local d'enseignement et de formation professionnelle agricole " campus vert d'azur " d'Antibes et non compris dans les dépens. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'établissement public local d'enseignement et de formation professionnelle agricole
" campus vert d'azur " d'Antibes, en application de ces mêmes dispositions, la somme de
1 000 euros à verser à Mme A... au titre des frais exposés par elle dans cette instance et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : L'ordonnance n° 2305594 rendue le 17 novembre 2023 par le président de la sixième chambre du tribunal administratif de Nice est annulée.
Article 2 : L'affaire est renvoyée au tribunal administratif de Nice.
Article 3 : L'établissement public local d'enseignement et de formation professionnelle agricole " campus vert d'azur " d'Antibes versera à Mme A... la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions de l'établissement public local d'enseignement et de formation professionnelle agricole " campus vert d'azur " d'Antibes tendant à l'application de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A..., à l'établissement public local d'enseignement et de formation professionnelle agricole " campus vert d'azur " d'Antibes et au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.
Délibéré après l'audience du 26 mars 2024, où siégeaient :
- M. Marcovici, président,
- M. Revert, président assesseur,
- M. Martin, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 avril 2024.
N° 24MA001082