CAA de NANCY, 1ère chambre, 16/05/2024, 23NC02015, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 21 octobre 2022 par lequel le préfet de Meurthe-et-Moselle lui a refusé le renouvellement d'un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de sa reconduite à la frontière, d'enjoindre au préfet de Meurthe-et-Moselle de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " et enfin de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Par un jugement n° 2203476 du 23 mars 2023, le tribunal administratif de Nancy a rejeté la demande de Mme B....
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 24 juin 2023 et 3 octobre 2023, Mme B..., représentée par Me Miquet, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nancy et l'arrêté du 21 octobre 2022 ;
2°) d'enjoindre au préfet de Meurthe-et-Moselle de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de quinze jours à compter de l'arrêt à intervenir sous peine d'une astreinte de 100 euros par jour de retard ou subsidiairement, d'enjoindre au préfet de réexaminer son dossier sous peine d'une astreinte de 100 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 sous astreinte de 100 euros par jour de retard.
Elle soutient que :
S'agissant de la décision portant refus de titre de séjour :
- la décision est insuffisamment motivée et entachée d'un défaut d'examen sérieux de sa situation personnelle ;
- la décision méconnaît les dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et le préfet de Meurthe-et-Moselle a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation concernant son état de santé ;
- la décision méconnaît les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentale et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision méconnaît les dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
- la décision méconnaît le pouvoir discrétionnaire dont dispose le préfet pour l'admettre au séjour.
S'agissant de l'obligation de quitter le territoire français :
- la décision est fondée sur une décision de refus de séjour qui est elle-même illégale ;
- la décision est insuffisamment motivée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 septembre 2023, le préfet de Meurthe-et-Moselle conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 22 mai 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Peton, première conseillère,
- et les observations de Me Miquet pour Mme B....
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., ressortissante marocaine née le 24 septembre 1975, déclare être entrée en France le 22 avril 2018. Après avoir obtenu deux autorisations provisoires de séjour, le 23 novembre 2021, Mme B... a sollicité le renouvellement de son titre séjour sur le fondement de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 21 octobre 2022, le préfet de Meurthe-et-Moselle a rejeté la demande de titre de séjour, fait obligation à l'intéressée de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourrait être renvoyée. Mme B... relève appel du jugement du 23 mars 2023, par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la légalité de l'arrêté du 21 octobre 2022 :
2. Aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes des dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. / L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ".
3. Mme B... soutient être entrée en France en 2018. Elle se prévaut de la présence en France de son père, lequel est en situation régulière et perçoit, en sa qualité d'ancien combattant, une pension militaire d'invalidité. A cet égard, il ressort des pièces du dossier que Mme B... est hébergée chez ses parents et qu'elle entretient des liens réguliers avec son frère et sa sœur qui sont de nationalité française. Par ailleurs, l'état de santé de Mme B..., laquelle précise souffrir d'un syndrome de Hodgkin, nécessite un soutien qui lui est apporté par ses proches présents en France. Cette dernière n'ayant par ailleurs plus de liens familiaux au Maroc à la suite de son divorce. Enfin, Mme B... est accompagnée de ses deux enfants mineurs, nés en 2009 et 2014, tous les deux scolarisés en France. En conséquence, en refusant de lui délivrer un titre de séjour, le préfet a porté au droit au respect de la vie privée et familiale de l'intéressée une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels cette décision a été prise. Dès lors, le préfet a méconnu les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
4. L'annulation de la décision portant refus de séjour emporte nécessairement l'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français.
5. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
6. Eu égard au motif d'annulation ci-dessus retenu et alors qu'il ne résulte pas de l'instruction que des éléments de fait ou de droit nouveaux justifieraient que l'autorité administrative oppose une nouvelle décision de refus, le présent arrêt implique nécessairement que le préfet de Meurthe-et-Moselle délivre à Mme B... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ". Il y a lieu d'enjoindre au préfet de Meurthe-et-Moselle de procéder à la délivrance de ce titre dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a toutefois pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés à l'instance :
7. Mme B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Miquet, avocat de Mme B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Miquet de la somme de 1 500 euros.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2203476 du tribunal administratif de Nancy est annulé.
Article 2 : L'arrêté du 21 octobre 2022 du préfet de Meurthe-et-Moselle est annulé.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de Meurthe-et-Moselle de délivrer à Mme B... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Me Miquet, avocat de Mme B... une somme de 1 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Miquet renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., à Me Miquet, et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée à la préfète de Meurthe-et-Moselle.
Délibéré après l'audience du 11 avril 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Wallerich, président de chambre,
- M. Sibileau, premier conseiller,
- Mme Peton, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 16 mai 2024.
La rapporteure,
Signé : N. PetonLe président,
Signé : M. Wallerich
La greffière,
Signé : S. Robinet
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
S. Robinet
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N° 23NC02015