CAA de NANTES, 6ème chambre, 18/03/2025, 24NT01440, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision18 mars 2025
Num24NT01440
JuridictionNantes
Formation6ème chambre
PresidentM. GASPON
RapporteurM. François PONS
CommissaireMme BAILLEUL
AvocatsCAVELIER

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision du 13 juin 2022 par laquelle la rectrice de la région académique Normandie a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de sa maladie pour les périodes du 7 au 22 novembre 2019, du 3 au 30 novembre 2020, du 1er au 25 juin 2021 et du 7 mars au 31 août 2022.

Par un jugement n°2201553 du 15 mars 2024, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 16 mai 2024 et un mémoire enregistré le 19 février 2025 qui n'a pas été communiqué, Mme B..., représentée par Me Cavelier, demande à la cour :

1°) l'annulation du jugement du 15 mars 2024 du tribunal administratif de Caen ;

2°) l'annulation de la décision du 13 juin 2022 par laquelle la rectrice de la région académique Normandie a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de sa maladie pour les périodes du 7 au 22 novembre 2019, du 3 au 30 novembre 2020, du 1er au 25 juin 2021 et du 7 mars au 31 août 2022 ;

3°) d'enjoindre à la rectrice de la région académique Normandie de réexaminer sa situation, dans un délai de deux mois suivant la notification du présent arrêt ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
- la décision en litige est insuffisamment motivée ;
- c'est à tort que le tribunal a estimé, en se fondant sur deux enquêtes administratives, qu'elle aurait eu un rôle majeur dans le contexte conflictuel à l'origine de son syndrome anxiodépressif :
* l'enquête administrative initiale était partiale et mensongère ;
* l'enquête administrative complémentaire a confirmé les conclusions de la première et aucun fait dénoncé dans l'enquête initiale n'a finalement été vérifié ;
* elles sont critiquables sur la méthodologie, sur les accusations non vérifiées relevées à son encontre et au regard du choix délibéré des parents d'élèves ayant témoigné ;
* les accusations de maltraitances venaient de ses collègues et il ne saurait lui être reproché de se défendre face à de telles accusations ;
- elle est entachée d'un détournement de pouvoir.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 février 2025, la rectrice de la région académique Normandie conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code général de la fonction publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Pons,
- les conclusions de Mme Bailleul, rapporteure publique,
- et les observations de Me Cavelier pour Mme B....

Une note en délibéré, enregistrée le 03 mars 2025, a été produite pour Mme B....

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., professeure des écoles depuis 2002, a été affectée au mois de septembre 2015 à l'école maternelle de C..., qui comporte trois classes et où elle était chargée de la classe moyenne section/grande section. Elle a été placée en congé maladie du 7 au 22 novembre 2019, du 3 au 30 novembre 2020, du 8 mars au 22 avril 2021, du 1er au 25 juin 2021 et du 7 mars au 31 août 2022. Par une déclaration du 23 avril 2021, l'intéressée a demandé la reconnaissance comme maladie professionnelle du syndrome anxiodépressif dont elle est victime et qui a justifié ses arrêts de travail. Par une décision du 13 juin 2022, la rectrice de la région académique Normandie a rejeté la demande d'imputabilité au service de la maladie de la requérante. Mme B... a alors demandé au tribunal administratif de Caen l'annulation de cette décision. Par un jugement du 15 mars 2024, dont Mme B... relève appel, le tribunal a rejeté sa demande.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. En premier lieu, il y a lieu d'écarter le moyen selon lequel la décision du 13 juin 2022 est insuffisamment motivée, par adoption des motifs retenus à bon droit par le tribunal dans les points 3 à 6 du jugement attaqué.

3. En deuxième lieu et d'une part, aux termes de l'article L. 822-21 du code général de la fonction publique : " Le fonctionnaire en activité a droit à un congé pour invalidité temporaire imputable au service lorsque son incapacité temporaire de travail est consécutive à : / 3° Une maladie contractée en service telle qu'elle est définie à l'article L. 822-20 ". Aux termes de l'article L. 822-20 du même code : " (...) Peut (...) être reconnue imputable au service une maladie non désignée dans les tableaux de maladies professionnelles mentionnés aux articles L. 461-1 et suivants du code de la sécurité sociale lorsque le fonctionnaire ou ses ayants droit établissent qu'elle est essentiellement et directement causée par l'exercice des fonctions et qu'elle entraîne une incapacité permanente à un taux déterminé et évalué dans les conditions prévues par décret en Conseil d'Etat ". ".

4. D'autre part, aux termes de l'article 47-8 du décret du 14 mars 1986 relatif à la désignation des médecins agréés, à l'organisation des comités médicaux et des commissions de réforme, aux conditions d'aptitude physique pour l'admission aux emplois publics et au régime de congés de maladie des fonctionnaires, alors en vigueur : " Le taux d'incapacité permanente servant de seuil pour l'application du troisième alinéa du même IV est celui prévu à l'article R. 461-8 du code de la sécurité sociale. / Ce taux correspond à l'incapacité que la maladie est susceptible d'entraîner... Il est déterminé par le conseil médical compte tenu du barème indicatif d'invalidité annexé au décret pris en application du quatrième alinéa de l'article L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite ". Aux termes de l'article R. 461-8 du code de la sécurité sociale : " Le taux d'incapacité mentionné au quatrième alinéa de l'article L. 461-1 est fixé à 25 % ".

5. Le syndrome anxiodépressif réactionnel à l'origine des arrêts de travail prescrits à Mme B... n'est pas mentionné par les tableaux de maladies professionnelles mentionnées aux articles L.461-1 et suivants du code de la sécurité sociale. Par suite, pour être reconnu imputable au service, il doit être susceptible d'entraîner un taux d'incapacité permanente partielle (IPP) d'au moins 25% et présenter un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service.

6. Il ressort des pièces du dossier que le climat relationnel au sein de l'équipe pédagogique de l'école maternelle où était affectée Mme B... s'est progressivement dégradé au cours de l'année scolaire 2019-2020 et a conduit à l'organisation de réunions entre les enseignants et leur hiérarchie. Une première enquête administrative a été menée le 7 septembre 2020 par l'inspecteur départemental de la circonscription et par la déléguée aux ressources humaines de la direction académique des services de l'éducation nationale (DASEN) du Calvados puis, compte tenu d'éléments nouveaux portés à la connaissance de l'adjoint au DASEN, un complément d'enquête confié à deux inspecteurs ne relevant pas de la circonscription de C... a été organisé les 7 et 8 décembre 2020. Ainsi, à compter de l'année 2019, Mme B... a été confrontée à un contexte professionnel très tendu, marqué par des relations conflictuelles avec les autres enseignantes de l'établissement, qui se sont notamment traduites par une remise en cause de ses méthodes et pratiques professionnelles et ont conduit à l'engagement d'une procédure administrative au sein de l'établissement. Mme B... a produit un rapport d'expertise établi par un médecin psychiatre le 5 novembre 2021 qui indique qu'elle " a présenté un état anxiodépressif réactionnel sévère en lien avec le service ", que "la maladie est essentiellement et directement causée par l'exercice des fonctions ". Le médecin psychiatre a également évalué le taux d'incapacité partielle susceptible d'être causé par la maladie à 25%. Ce rapport d'expertise est corroboré par un avis du médecin de prévention du 24 février 2022 qui relève que Mme B... ne présente aucun antécédent médical particulier notamment psychiatrique, qu'elle bénéficie d'un bon soutien familial, qu'au cours des consultations, son état de santé a été jugé " fortement dégradé" et que celui-ci " paraît essentiellement et directement en lien avec l'exercice de ses fonctions ", " en l'absence d'état antérieur et d'évènement de vie personnelle signalés ". Enfin, le 30 mars 2022, la commission de réforme a rendu un avis favorable à la reconnaissance de la maladie contractée dans l'exercice des fonctions. Dans ces conditions, eu égard à l'absence d'état anxiodépressif antérieur de l'intéressée, à la situation conflictuelle qu'elle a connue au sein de l'établissement, et en l'état des avis médicaux étayant l'existence d'un lien direct entre l'activité professionnelle et le syndrome anxiodépressif dont elle est atteinte, la pathologie dont souffre Mme B... peut être regardée comme présentant un lien direct avec l'exercice de ses fonctions.

7. Toutefois, il ressort des pièces du dossier, et notamment d'un compte rendu de la réunion du 20 novembre 2020 qui s'est tenue à la suite d'une alerte du maire de C... sur le contexte professionnel dégradé au sein de l'école maternelle de C..., à l'initiative de l'adjoint au directeur académique des services de l'éducation nationale chargé du premier degré, que : " Mme B... fait cavalier seul et fait en sorte que toute situation se termine en blocage (...) ", selon l'adjoint au maire de la commune. Une parente d'élève confirme : " (...) il y a moins de tension lorsque Mme B... est absente. L'ambiance est plus détendue, son absence soulage les autres ". Les relations difficiles de l'intéressée avec trois enseignantes de l'établissement ont contribué au climat général de tension au sein de l'école maternelle et plusieurs signalements portés sur le registre santé et sécurité au travail évoquent des mises en cause répétées concernant le travail de la directrice de l'école maternelle : " de la part d'une enseignante de l'école ". Si l'intéressée produit des attestations favorables établies par l'ancienne directrice de l'établissement, deux anciennes collègues et des parents d'élèves, il ressort du rapport de l'enquête administrative conduite le 7 septembre 2020 par l'inspecteur départemental de la circonscription et par la déléguée aux ressources humaines de la direction académique des services de l'éducation nationale du Calvados ainsi que du complément d'enquête confié à deux inspecteurs ne relevant pas de la circonscription de C... les 7 et 8 décembre 2020, lesquels ont été établis sur la base des témoignages des représentants de parents d'élèves, que Mme B... a, par son comportement, eu un rôle déterminant dans le contexte conflictuel qu'a connu l'établissement, notamment dans les tensions constatées avec certains parents d'élèves, le rapport complémentaire relevant que " la majorité des témoignages indique que Mme B... est le dénominateur commun " des difficultés constatées. Enfin, contrairement à ce qui est allégué par la requérante, aucun élément au dossier ne permet d'affirmer que les enquêtes administratives diligentées par l'administration auraient été partiales et mensongères. Dans ces conditions, si le syndrome anxiodépressif de Mme B... présente un lien direct avec son activité professionnelle, son comportement a participé à la création puis au maintien de tensions prolongées au sein de l'établissement dans lequel elle travaillait et a joué un rôle déterminant dans les conditions de travail dégradées dont elle a été victime à l'origine du syndrome anxiodépressif dont elle souffre, constitutif d'un fait personnel de nature à détacher la maladie du service.

8. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande. Ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par voie de conséquence, qu'être rejetées.


DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et à la ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Une copie en sera adressée à la rectrice de la région académique Normandie.
Délibéré après l'audience du 28 février 2025, à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- M. Pons, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 mars 2025.


Le rapporteur,
F. PONS
Le président,
O. GASPON

La greffière,
I. PETTON
La République mande et ordonne à la ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 24NT01440